Opinion
Une fissure dans le « partenariat sans limites » russo-chinois
Cette fissure passe à travers le Kazakhstan

Des avions militaires kazakhs survolent le défilé marquant le 80e anniversaire de la victoire remportée par l'Union soviétique sur l'Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale, dans le centre d'Astana, capitale du Kazakhstan, le 7 mai 2025.
Photo: Stanislav Filippov/AFP via Getty Images
La majeure partie du monde s’est habituée à parler dans le même sens de la Russie et de la Chine. Ce sont des alliés fidèles de l’époque de Staline et de Mao, qui, à la suite d’une dégradation temporaire de leurs relations permettant à la Chine de se transformer en une superpuissance grâce à la technologie et aux investissements occidentaux, se sont de nouveau rapprochés et ont évolué vers le « partenariat sans limites », « l’axe des autocraties », etc. Toutefois, cette image ne tient pas compte du fait que Moscou et Pékin rivalisent toujours en influence auprès de certains pays.
Il n’y a pas de meilleur endroit pour le constater que le Kazakhstan — un pays que trop peu d’étrangers peuvent situer précisément et qui, pourtant, se trouve au centre de l’Eurasie. Ce pays a la plus longue frontière terrestre continue avec la Russie (7 600 km), ainsi qu’une frontière tout aussi sensible avec la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine.

Carte de l’Asie centrale. (CC BY-SA 3.0 [https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0]/Wikimedia Commons)
Histoire du Kazakhstan
C’est le plus grand État enclavé du monde, le neuvième par sa superficie, disposant de 2 % du pétrole mondial, de 43 % de l’uranium et des gisements de presque tous les métaux dont les technologies vertes ont besoin. Il est traversé d’est en ouest jusqu’à l’Europe (en contournant la Russie) par des lignes ferroviaires du titanesque programme chinois « Initiative Ceinture et Route », ainsi que du nord au sud par des pipelines.
Ce pays a vécu une période traumatisante sous le règne de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Dans les années 1930, la collectivisation de Staline affame à mort un tiers de tous les Kazakhs ethniques — l’une des pires catastrophes démographiques du XXᵉ siècle. Une migration des Russes vers le Kazakhstan, soutenue par Moscou, a fait des Kazakhs une minorité dans leur propre pays dans les années 1970.
De 1949 à 1989, l’URSS a fait exploser 456 dispositifs nucléaires à Semipalatinsk, dans le nord-est du pays, exposant 1,5 à 2 millions de personnes aux retombées nucléaires sans jamais émettre d’avertissement. Les villageois n’ont pas été évacués ; certains ont été délibérément étudiés comme des cobayes vivants. De l’autre côté de la frontière, au Xinjiang, la Chine a fait la même chose à Lop Nur : 45 essais, dont 22 dans l’atmosphère, sur des terres occupées par des Ouïghours et des Kazakhs ethniques.
Quand le Kazakhstan est devenu indépendant en décembre 1991, il a hérité de deux leçons : ne plus jamais être un laboratoire pour une capitale lointaine et ne plus jamais faire confiance à une seule grande puissance qui partage sa frontière. La politique étrangère d’équilibrage et de diplomatie multivectorielle qui en a émergé était une question de survie.
La Russie et la Chine se rivalisent d’influence
La Russie fournit encore la moitié de l’électricité du Kazakhstan, achemine 80 % de ses exportations de pétrole et garde ses villes du nord au chaud en hiver. Quand des manifestations menaçaient de renverser le gouvernement en janvier 2022, des troupes provenant de la Russie sont arrivées en quelques heures. Le message de Moscou était bien clair : vous aurez toujours besoin de nous.
La Chine, quant à elle, est devenue le plus grand partenaire commercial du Kazakhstan et injecte des investissements qui ont augmenté de plus de 400 % rien que durant le premier semestre 2025. Chaque kilomètre de nouvelle voie ferrée et chaque pipeline lie davantage les deux économies. Le message de Pékin est plus discret mais tout aussi clair : l’avenir passe par nous.
Ce ne sont pas des pressions complémentaires mais plutôt contradictoires. Les moyens d’influence russes sont brutaux — couper l’électricité, fermer le pipeline ou agiter les provinces du nord où les Russes ethniques dominent. L’influence chinoise est plus profonde — construire l’infrastructure, financer les mines, etc. — comme résultat, vingt ans plus tard, le pays se trouvera dans notre orbite. En gros, les deux pays utilisent leurs stratégies habituelles. Le Kazakhstan ne veut pas être soumis à aucun des deux.
Il y a aussi un autre problème avec les politiques de la Chine au Xinjiang, qui mettent l’accent sur un contrôle politique rigide, des programmes de travail coercitifs, des prélèvements forcés d’organes prouvés, etc. Ces pratiques affectent directement environ 1,5 à 1,8 million de Kazakhs ethniques résidant en Chine, dont beaucoup ont des liens familiaux de l’autre côté de la frontière. Cela place le Kazakhstan dans une position délicate, équilibrant sa dépendance économique croissante envers la Chine avec la pression intérieure liée au traitement de son peuple par l’État-parti chinois.
C’est pour cela que le bloc monolithique russo-chinois se fracture au moment où l’on met le pied dans la steppe kazakhe. Chaque train de fret chinois qui contourne les voies russes érode les frais de transit de Moscou. Les projets miniers chinois diluent le contrôle russe, et le capital chinois offre une alternative à l’influence russe. La Russie observe la Chine pénétrer ce qu’elle considère encore comme son arrière-cour stratégique ; la Chine observe la Russie s’accrocher à des privilèges qu’elle ne peut plus se permettre d’accorder. Le Kazakhstan les monte l’un contre l’autre — et contre un troisième « prétendant » qui n’est apparu que récemment : l’Amérique.
Washington renforce sa présence
Pendant les trente premières années après la guerre froide, les États-Unis ont traité l’Asie centrale comme une région de second plan — à part l’Afghanistan, quelques accords énergétiques et peu de plus. Cela change rapidement après 2022. Trois réalités se sont manifestées : après l’invasion de l’Ukraine, la Russie a utilisé comme arme l’énergie et les frontières ; l’Initiative Ceinture et Route chinoise transforme le Kazakhstan en pierre angulaire du transport terrestre eurasien ; et la course pour sécuriser des minéraux critiques non chinois devient une priorité existentielle pour l’Occident.
Soudain, la capitale du Kazakhstan, Astana, accueille des sommets C5+1 (5 pays d’Asie centrale et États-Unis), des dirigeants de pays d’Asie centrale sont invités à la Maison-Blanche pour discuter de « minerais critiques », et le financement du développement américain gravite autour du corridor médian (Trans-Caspian International Transport Route) — la seule route de la Chine vers l’Europe qui évite délibérément à la fois la Russie et le détroit de Malacca.
Du point de vue du Kazakhstan, les États-Unis sont le seul des trois géants avec lequel il ne partage pas de frontière, qui n’a pas de nostalgie territoriale et qui ne demande pas de conformité idéologique ni de silence au sujet de la situation au Xinjiang. C’est le seul partenaire qui peut renforcer la souveraineté kazakhe simplement en existant comme alternative.
Rien de tout cela ne signifie nécessairement que le Kazakhstan « pivote vers l’Occident ». La diplomatie multivectorielle n’est pas une phrase vide. C’est le système de fonctionnement, au moins pour l’instant. Astana semble déterminée à continuer d’acheter du gaz russe, de construire des voies ferrées chinoises et de vendre de l’uranium aux réacteurs américains — tout en veillant à ce qu’aucun tuyau, aucune voie ou aucun contrat ne puisse étouffer le pays. L’objectif est d’avoir une possibilité de choix.
Leçons à s’inspirer
Et c’est là que réside la leçon profonde qui devrait être prise en compte par les politiciens occidentaux. Les empires qui touchaient la steppe — ceux des Qing, des tsars russes ou des Soviétiques — ont toujours fait face au même choix : traiter le pays frontalier comme une colonie à exploiter et discipliner ou le traiter comme un partenaire à courtiser et à respecter. La seconde voie est plus difficile, plus lente et infiniment plus durable. L’empereur chinois Tang Taizong l’a compris au VIIᵉ siècle lorsqu’il a recruté et placé des généraux turcs aux plus hauts rangs et a marié ses filles à des hommes des clans de la steppe. Pékin et le Moscou d’aujourd’hui l’oublient largement.
Pourtant, le Kazakhstan ne l’oublie pas. Ses dirigeants savent exactement ce qui se produit lorsqu’une grande puissance décide qu’un peuple périphérique est sacrifiable : les famines, les camps, les retombées nucléaires et les cancers qui apparaissent deux générations plus tard. Ces dirigeants croient également que la façon la plus sûre d’empêcher cette histoire de se répéter est de se rendre en même temps indispensables à tous et subordonnés à personne.
Si l’Amérique joue ses cartes avec la patience et le respect que la steppe récompense toujours, elle pourrait trouver à Astana non seulement un fournisseur de minéraux et de routes de transit, mais un partenaire fiable à long terme, ainsi qu’un endroit qui révèle les fissures dans le « partenariat sans limites » entre le Kremlin et le Parti communiste chinois.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Tamuz Itai est journaliste et chroniqueur à Tel Aviv, en Israël.
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