Opinion
Programme Evars : « L’école peut jouer un rôle sur ces questions, mais ne doit pas prendre la place des parents », alerte Michel Valadier

Photo: Crédit photo Michel Valadier
ENTRETIEN – Le programme d’Éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) entrera en vigueur au mois de septembre. Celui-ci est fortement contesté par la droite et plusieurs associations qui dénoncent un programme militant mettant à mal le rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants ; il s’appliquera de l’école maternelle à la terminale.
Michel Valadier est directeur de la Fondation pour l’école. Le programme Evars déresponsabilise les parents et ne tient pas compte de la différence de maturité des enfants, regrette-t-il.
Epoch Times : Michel Valadier, quel est votre avis sur ce programme d’éducation à la sexualité ?
Michel Valadier : Ce programme pose deux gros problèmes. Tout d’abord un problème de principe. Depuis toujours, l’on considère que les premiers éducateurs des enfants sont les parents. Quand je parle de « premier éducateur » je fais évidemment référence à la chronologie, mais aussi au fait qu’ils sont les principaux éducateurs.
Le domaine de l’éducation à la vie affective et de la transmission de la vie est un sujet éminemment sensible et intime, qui nécessite l’intervention des parents en priorité. Et leur rôle est d’autant plus important aujourd’hui, à l’heure où les questions de sexualité sont omniprésentes dans la société.
Malheureusement, le programme Evars sape le rôle essentiel des parents puisqu’il prévoit d’aborder ces sujets, encore une fois sensibles, dès l’école maternelle et jusqu’au lycée.
Mais cette vision plus que contestable ne date pas d’hier. En 2010, l’OMS prônait la mise en place d’un programme d’éducation des enfants à la sexualité directement inspiré de la « déclaration des droits sexuels » de l’IPPF, le Planning familial international.
Et l’on peut même remonter à la Révolution française.
À l’époque, une rupture anthropologique se produisit. En juillet 1793, le révolutionnaire Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau défend un texte de loi qui veut « fonder une éducation vraiment nationale, vraiment républicaine, également et efficacement commune à tous ; la seule capable de régénérer l’espèce humaine, soit par les dons physiques, soit par le caractère moral […] car l’enfant appartient à la patrie ».
Cette loi n’a jamais été appliquée en raison de la chute de Robespierre mais décrétait que de l’âge de cinq ans à douze ans, pour les garçons et jusqu’à onze ans pour les filles, tous les enfants, sans distinction, sans exception, devaient être élevés en commun aux dépens de la République.
Cette vision n’a pas disparu puisqu’en septembre 2012, Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale de François Hollande expliquait qu’il fallait être « capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familiaux, ethniques, sociaux, intellectuels et religieux pour après faire un choix ».
Par conséquent, si l’enfant appartient à l’État, l’Éducation nationale est dans son rôle de vouloir former l’enfant dans toute sa dimension. Ce n’est pas notre vision…
Et le drame est que beaucoup de parents sont heureux de voir l’école prendre en charge ces questions car cela leur évite d’aborder ces sujets délicats. Mais ce n’est pas en déresponsabilisant les parents que l’on va résoudre le problème de l’éducation des enfants.
Puis, le deuxième problème de ce programme Evars est son contenu. Sa dimension anticipatrice est lourdement critiquable.
Certains sujets intimes vont être évoqués avant même que les enfants aient fait leur puberté, je pense notamment aux notions directement sexuelles et cela est choquant.
Puis, la méthode qui consiste à aborder ces sujets dans le cadre de cours collectifs pose question car il n’est pas tenu compte de la différence de maturité des enfants, ce qui va forcément perturber des enfants.
En réalité, la vie affective et la sexualité doivent être abordées de façon individuelle. C’est ce qui se pratique dans les familles et c’est ce qui se faisait dans les pensionnats il y a encore 70 ans lorsque les élèves restaient longtemps loin de leurs parents.
Dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche, le pédopsychiatre Christian Flavigny estime que « Les parents seuls sont légitimes auprès de l’enfant dans le registre de la sexualité ». Vous rejoignez donc cette analyse ?
Oui bien sûr, c’est aux parents d’aborder ces questions en premier et de s’y prendre plutôt tôt que trop tard, notamment en raison de la prolifération des smartphones et des réseaux sociaux. Mais ils peuvent utilement se faire aider.
L’école peut jouer un rôle complémentaire en respectant quelques règles simples : forte implication des parents, création de groupes d’âge – ce qui exclut d’aborder ces questions en classe -, et enfin veiller à ce que le contenu ne choque pas et reste dans le cadre de la morale commune, ce dernier point n’étant pas le moins délicat.
Je dirige la Fondation pour l’école qui soutient les écoles libres dites hors-contrat. Ces écoles libres ne sont pas assujetties au programme Evars. Mais beaucoup d’entre-elles proposent des alternatives intéressantes.
Elles organisent notamment des conférences et des réunions pour les parents, afin de les aider et de les inciter à aborder la question sensible de la transmission de la vie avec leurs enfants. Ces réunions permettent de les rendre plus à l’aise grâce aux conseils prodigués par des parents qui sont passés par là avant eux.
Par ailleurs, ces écoles proposent des parcours pour les adolescents. Ces parcours ne sont pas organisés par classe, mais par niveau de maturité. Et enfin, à la différence du programme Evars, les parents sont informés en amont du contenu précis de ces séances.
In fine, je considère donc que l’école peut jouer un rôle complémentaire utile sur ces questions, mais ne doit pas prendre la place des parents et éviter à tout prix de choquer les enfants.
Faut-il donc, pour vous, s’inspirer des écoles hors-contrat ?
Je sais que certaines écoles sous contrat font du bon travail, mais il est clair que les établissements hors-contrat, n’étant pas contraints d’appliquer le programme Evars, proposent plus facilement des solutions pertinentes en impliquant les principaux éducateurs, c’est-à-dire les parents.
L’avantage de cette approche étant que l’école intervient en complément des familles, l’ordre des choses est ainsi respecté. Et, en tant qu’ancien directeur d’un groupe scolaire de 840 élèves, je puis vous dire combien il est rassurant pour les élèves de constater une grande cohérence entre les parents et l’école.
Le programme Evars est-il révélateur d’une « dérive idéologique » comme certains l’affirment ? La présence du terme « identité de genre » fait notamment polémique.
Il est certain que ce programme est poussé par des militants marqués idéologiquement, même s’il est vrai que certaines personnes de bonne volonté ont essayé d’œuvrer à le rendre plus acceptable.
Néanmoins, outre la volonté d’être exhaustif et explicite dans un domaine si délicat, je note deux autres problèmes de fond dans le texte. D’abord, on nous dit que la notion d’identité de genre ne figure pas dans le programme alors qu’elle est mentionnée près d’une dizaine de fois. On impose ici un regard d’adulte à des enfants.
Ensuite, tous les comportements présentés tournent autour de la notion de consentement, qui semble être devenue la norme de la nouvelle « morale ».
Alors que l’on ne peut que déplorer l’absence de la notion d’engagement. Les défenseurs du programme Evars nous présentent le consentement comme étant l’unique limite à s’imposer en oubliant le principe même d’engagement. Or, la vie sociale suppose de s’engager et de chercher à respecter cet engagement ; nous ne sommes pas libres de satisfaire toutes nos envies.
Prenons l’exemple de l’incident qui s’est produit le 16 juillet dernier lors du concert de Coldplay à Boston. Le PDG d’Astronomer Andy Byron et sa DRH Kristin Cabot ont été pris en flagrant délit d’adultère. Derrière cet incident, c’est bien la notion d’engagement et non celle de consentement qui a été abîmée.
Tout ceci pour vous dire que la philosophie du programme Evars présente l’humanité comme un ensemble d’individus ayant des droits sexuels et tend à oublier que l’homme est un animal social qui se doit de respecter les autres en respectant des lois qui le dépassent et qui ont toujours existées. Relisez Antigone de Sophocle !
Ceux qui défendent l’application de ce programme disent qu’il est nécessaire pour apprendre à connaître son corps et prévenir les violences sexuelles. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que l’expérience de la vie familiale suffit largement pour permettre aux enfants d’apprendre à connaître leur corps.
Concernant les violences sexistes et sexuelles, le sujet est complexe parce qu’il s’agit d’empêcher que des enfants soient agressés par des adultes ayant de mauvaises intentions.
Et là encore, c’est d’abord aux parents de jouer un rôle premier et de dire à leurs enfants qu’il ne faut jamais suivre un inconnu rencontré dans la rue, ou encore de parler avec leur progéniture des rencontres qu’ils peuvent faire en dehors de la maison, etc.
Cela étant, l’école doit être un sanctuaire où les élèves sont protégés. Par exemple, nous recommandons de mettre en place une charte de protection des mineurs et d’en informer tout le personnel et les familles.
Beaucoup d’écoles libres ont été pionnières en la matière et la Fondation que je dirige propose une charte aux écoles depuis plus de 10 ans. Cela se traduit par des actions concrètes : mise en place d’oculus sur toutes les portes, règlementation des trajets en dehors de l’école, signalement de tout comportement curieux, présence d’adultes pendant la journée auprès des élèves, surveillance des endroits sensibles, etc.
Mais attention, il ne faudrait pas finir par considérer que tout éducateur est un prédateur en puissance. Il faut que les directeurs soient sensibles aux signaux faibles et se donnent les moyens de repérer les adultes qui ont un comportement inapproprié. Ce qui passe par un suivi régulier de chaque membre du personnel, cela s’appelle le… management.
Et c’est pourquoi je ne crois pas que le programme Evars soit le bon outil pour faire de la prévention des violences sexuelles.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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