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Opinion

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Jean-Baptiste Leon sur l’argent public : «Tant que nous refuserons de réduire le périmètre de l’État, nous continuerons à courir après de nouvelles ponctions fiscales»

ENTRETIEN – Le directeur de publications de Contribuables Associés, Jean-Baptiste Leon vient de publier un ouvrage au titre choc : Le livre noir de l’argent public (Hugo Doc). Une véritable enquête dans laquelle il explique comment l'argent public est gaspillé.

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Photo: Crédit photo Jean-Baptiste Leon

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Durée de lecture: 10 Min.

Jean-Baptiste Leon ne se contente pas d’établir un constat, mais formule dans cet ouvrage toute une série de propositions pour que l’État français renoue avec une gestion pragmatique de l’argent public.
Epoch Times – On est saisi d’emblée par la force du titre de votre ouvrage. En parlant de « livre noir », avez-vous voulu interpeller les Français et les responsables politiques sur le gaspillage de l’argent public ?
Jean-Baptiste Leon – Oui, c’est assumé. Le titre est volontairement frontal, parce que la situation l’est. L’idée, ce n’est pas de faire peur, mais de réveiller. Je veux avec cet ouvrage illustré par des infographies, parler au plus grand nombre, sortir le débat sur la dépense publique des rapports techniques et des colonnes de chiffres pour le rendre concret, incarné.
Le Livre noir de l’argent public, c’est un voyage guidé dans les coulisses de la dépense publique : on suit l’euro du contribuable à la trace, depuis ce qu’il verse en impôts et cotisations jusqu’aux gaspillages, aux doublons et aux projets mal pilotés que je documente. Mon but est simple : que chaque Français comprenne comment son argent est utilisé – ou mal utilisé – et qu’il puisse demander des comptes.

Le Livre noir de l’argent public, de Jean-Baptiste Leon

Où est-ce que cette mauvaise gestion des deniers publics est-elle la plus visible ? Est-ce au niveau des dépenses sociales ?
Les dysfonctionnements sont partout. Mais il est vrai que les dépenses sociales occupent une place centrale : elles représentent plus de la moitié des dépenses publiques. Or, nous dépensons beaucoup, sans obtenir des résultats à la hauteur, que ce soit sur la pauvreté, le chômage ou l’accès aux soins. Pour autant, la racine du problème va au-delà du seul champ social.
C’est notamment notre organisation administrative qui alimente la dérive : un État très centralisé, paradoxalement à la fois impuissant et castrateur, des agences non contrôlées, des caisses, des échelons territoriaux qui se superposent… Ce fameux « millefeuille administratif » dont tout le monde parle, mais qu’on ne réforme jamais vraiment.
Tout cela se traduit par des sureffectifs dans certains services, des doublons, des circuits de décision interminables, des procédures qui consomment du temps et de l’argent sans créer de valeur pour le citoyen. Tant qu’on ne s’attaque pas sérieusement à cette machine bureaucratique, on restera condamnés à dépenser toujours plus pour des résultats décevants.
Pourriez-vous revenir sur le millefeuille administratif et son coût ?
Le millefeuille administratif, c’est cette superposition de strates : l’État, les régions, les départements, les intercommunalités, les communes (et aussi l’Union européenne)… À cela s’ajoutent une multitude d’agences et d’établissements publics.
Résultat : une organisation illisible pour le citoyen et coûteuse pour le contribuable. L’essayiste Emmanuel Constantin parle très justement de « plat de spaghettis » pour décrire l’enchevêtrement des compétences. Personne ne sait vraiment qui fait quoi, ni qui paye quoi. D’où les financements croisés, les subventions qui se promènent d’un niveau à l’autre, et, au passage, une opacité qui rend tout contrôle difficile. Un rapport gouvernemental, confié à Boris Ravignon, le maire de Charleville-Mézières, a permis de chiffrer une partie de ce coût : environ 7,5 milliards d’euros par an pour ce seul millefeuille territorial. C’est quasiment le budget annuel de la Justice.
Cette mauvaise gestion n’est pas sans conséquences. La dette continue de se creuser …
La France n’a pas voté un budget de l’État en équilibre depuis 1974. Depuis un demi-siècle, nous avons pris la mauvaise habitude de financer une partie de nos dépenses à crédit. Un peu ça va, beaucoup, bonjour les dégâts ! Ces déficits accumulés ont fait grimper la dette à un niveau supérieur à 115 % du PIB, soit plus de 3 400 milliards d’euros. Les seules charges d’intérêts représentent désormais plus de 60 milliards d’euros par an, davantage que le budget du ministère de la Défense.
Et ce n’est qu’un début. Ce sera plus de 100 milliards avant la fin de la décennie. C’est de l’argent qui ne finance ni nos écoles, ni nos hôpitaux, ni les infrastructures utiles. Plus la dette enfle, plus nous devenons exposés à nos créanciers étrangers et plus nous transférons la facture sur les générations qui viennent. Le cœur du Livre noir de l’argent public, c’est justement de montrer que chaque gaspillage, chaque dépense mal pilotée, finit par nourrir cette dette qui réduit nos marges de manœuvre.
Comment jugez-vous le niveau des discussions autour du PLF 2026 ? Pas à la hauteur des enjeux ?
Une partie du débat ressemble davantage à une bataille de postures qu’à une réflexion de fond sur le redressement des finances publiques. On parle beaucoup de « qui va payer quoi », très peu de « où et comment faire des économies intelligentes ». À ce stade, environ 40 milliards d’euros de hausses d’impôts ont été votés par l’Assemblée nationale.
Même si une grande partie sera retoquée par le Sénat, et cassée sans doute par les ordonnances gouvernementales à venir, ce chiffre dit quelque chose : devant le mur de la dépense, le réflexe des élus reste trop souvent d’augmenter la pression fiscale plutôt que de questionner l’efficacité de l’argent déjà dépensé.
C’est-à-dire ?
Certaines formations politiques se livrent à une véritable course à l’échalote fiscale, par pur clientélisme électoral. Beaucoup d’élus continuent de croire qu’en augmentant les impôts, on va mécaniquement améliorer la situation. Or la France n’a pas un problème de recettes : nous sommes la Miss Monde des impôts.
Notre problème, c’est le niveau et la qualité de la dépense publique. Tant que ceux qui nous gouvernent refuseront de réduire le périmètre de l’État et de revoir en profondeur les politiques inefficaces, nous continuerons à courir après de nouvelles ponctions fiscales sans jamais régler la cause du mal. C’est tout le sens de ce Livre noir de l’argent public : remettre la dépense au centre du débat.
Dans votre livre, vous revenez notamment sur les privilèges accordés à ceux qui occupent ou qui ont occupé des fonctions politiques ou administratives prestigieuses. Vous prenez l’exemple des anciens Premiers ministres, des membres du Conseil constitutionnel et de certains hauts fonctionnaires. Pour vous, une réforme est donc nécessaire ?
Oui, clairement. Qu’on rémunère correctement des responsabilités lourdes, c’est normal et même souhaitable. Mais ce je pointe dans ce livre, ce sont des avantages déconnectés de toute logique de service rendu. Ces situations nourrissent à la fois le ressentiment des contribuables et le soupçon sur l’ensemble de la haute fonction publique, y compris ceux qui travaillent énormément et servent l’État avec une réelle abnégation.
Parmi les pistes que vous évoquez pour améliorer la gestion de l’argent public, il y a les modèles néo-zélandais et canadien. Mais l’administration française serait-elle prête à accepter cette culture de l’efficacité ?
Je pense que oui, et c’est d’ailleurs un point qui m’a frappé en préparant ce livre. Beaucoup de fonctionnaires avec lesquels j’ai échangé souhaitent être davantage responsabilisés. Ils estiment eux-mêmes que la verticalité extrême des décisions et la culture de la procédure paralysent les initiatives. Mais cela suppose d’accepter une révolution tranquille : sortir de la logique où « dépenser plus » est vu comme une preuve de vertu, pour entrer dans une culture où l’on se demande d’abord : est-ce que chaque euro dépensé améliore vraiment la vie des Français ? Notre pays a des qualités à nulle autre pareille. Croyons en nous !

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.