Opinion
Affaire Élias : « La justice a institué une omerta sur ses propres dysfonctionnements », selon Régis Lemierre
ENTRETIEN – Le 24 janvier 2025, Élias, 14 ans était mortellement blessé à la machette dans le 14e arrondissement de Paris. Ses agresseurs, deux adolescents de 16 et 17 ans, étaient connus des services de police et de justice. Un rapport de l’Inspection générale de la Justice, révélé le 6 novembre par l’hebdomadaire Le Point pointe une série de défaillances dans le suivi des deux jeunes.

Fleurs en hommage à Elias, assassiné à l'âge de 14 ans le vendredi 25 janvier dans le 14e arrondissement de Paris.
Photo: RICCARDO MILANI/Hans Lucas/AFP via Getty Images
Régis Lemierre est ancien éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Un retour de l’autorité au sein de l’appareil judiciaire est nécessaire, estime-t-il.
Trois interdictions de contact ont été prononcées pour les deux jeunes, mais elles n’ont jamais été respectées. Le procureur avait également demandé qu’ils soient placés sous contrôle judiciaire, mais le juge des enfants a refusé au motif que les deux mineurs ont exprimé des regrets. Le rapport fait état d’un système complètement saturé. Comment en est-on arrivé à une telle situation ?
J’ai écouté attentivement la mère du jeune Élias, Stéphanie Bonhomme sur Europe 1 le 24 novembre. C’est une femme admirable, profondément humaniste, en aucun cas dans un esprit de revanche à l’égard des acteurs judiciaires qui ont pourtant lourdement fauté.
Mais elle cherche, de manière tout à fait légitime, des réponses. Elle veut savoir pourquoi la justice n’a pas su mettre ces deux jeunes hors d’état de nuire.
Et nous arrivons là au cœur du problème. Depuis très longtemps, la justice, aussi bien les magistrats que les administrations, ne rendent pas de comptes.
Cette problématique est relativement ancienne. Quand j’étais éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) j’ai dirigé un certain temps une organisation syndicale dont certains membres travaillaient à l’Inspection générale.
Ces membres faisaient parfois état, dans leurs rapports, des défaillances du système. Mais ces alertes n’étaient quasiment jamais prises en considération par la direction de la PJJ. La justice a institué une omerta sur ses propres dysfonctionnements.
Nous sommes en droit, et surtout les victimes de la délinquance, d’attendre de sa part, plus de transparence.
Ensuite, l’affaire Élias soulève une autre question. Celle de l’encadrement des services de la PJJ.
Des mesures prises par les juges, comme celles de l’interdiction d’entrer en contact n’ont pas été respectées par les deux adolescents de 16 et 17 ans. À l’évidence, ils n’ont pas du tout été correctement suivis. Ce qui est extrêmement grave.
Que pourriez-vous nous dire sur ces défaillances qui existaient déjà quand vous étiez éducateur à la PJJ ?
Avant mon départ à la retraite en 2015, les éducateurs souffraient déjà d’une surcharge de travail, notamment en Île-de-France. La norme de 25 mesures par éducateur fixée par la direction de la PJJ impliquait de mettre les mesures, ordonnées par les magistrats, en attente !
Autrement dit, quand un juge ordonnait une mesure, elle n’était pas toujours prise en charge par la PJJ. Cette situation ubuesque continue aujourd’hui.
Ce n’est pas à cause du manque de moyens si la PJJ est désormais dans cet état comme je l’entends souvent. Les moyens ont été largement augmentés ces quarante dernières années.
Malheureusement, ils ont surtout servi à financer le développement d’une bureaucratie territoriale privilégiant la norme et la réglementation à l’efficacité de terrain.
Je pense que si les mesures ordonnées contre les deux agresseurs d’Élias n’ont pas été prises en charge, c’est en raison de cette bureaucratie paralysante.
Ces individus étaient des multirécidivistes. Des mesures d’urgence auraient dû être prises pour les isoler.
Diriez-vous que certains magistrats et éducateurs à la PJJ ne conçoivent pas que les mineurs d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’il y a 50 ans ?
La justice est en proie à une idéologie bien-pensante depuis longtemps.
L’ordonnance de 1945, qui a été modifiée à plusieurs reprises, a été sanctuarisée par un certain nombre de magistrats.
Ils considèrent que les jeunes délinquants sont victimes de leur origine sociale et par conséquent, n’osent pas les sanctionner. Certains juges estiment également, que les adolescents auteurs de violence, en raison de leur jeune âge, ne sont pas réellement responsables de leurs actes.
Cette culture de l’excuse est dangereuse puisqu’elle laisse des jeunes dériver vers l’ultra-violence. L’assassinat d’Élias l’a montré.
Je ne dis pas que le juge ne doit pas prendre en compte l’histoire familiale et la personnalité du mineur lors du procès, mais cela ne doit pas l’empêcher de le punir.
Cette idéologie fait donc de la sanction l’exception …
Je pense qu’il doit y avoir un triptyque (prévention, traitement éducatif, sanction) dans le traitement de la délinquance des mineurs. D’abord, la prévention. Les pouvoirs publics doivent agir dès l’école maternelle. On peut repérer les enfants difficiles dès leur plus jeune âge.
Ensuite, il y a le traitement social et éducatif. Et c’est là que le mineur doit être contenu et sanctionné s’il ne respecte pas les mesures éducatives.
Sans la sanction, l’enfant ne peut pas se développer. Comme le dit très justement le pédopsychiatre, Maurice Berger, l’enfant se structure par les interdits parentaux.
La justice doit mettre en place des garde-fous, et elle ne le fait pas actuellement. Il y a un délitement du système judiciaire qui est dangereux pour tout le monde. Maintenant, c’est la famille du jeune Élias qui est condamnée à vie.
Que faudrait-il faire pour que ces défaillances ne se reproduisent plus ? Réformer profondément la justice des mineurs ?
Oui tout à fait. Je me réjouis que de plus en plus de politiques s’emparent du sujet. Je pense par exemple à Gabriel Attal qui a porté un texte de loi allant dans le bon sens, même s’il a été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel, ou encore au parti les Républicains.
À mon sens, les mineurs doivent être sanctionnés plus rapidement. Aujourd’hui, la peine est prononcée trop tardivement, notamment en raison de la césure du procès pénal qui scinde en deux le jugement.
La justice ne doit également plus hésiter à prononcer des peines plus fermes quand des jeunes commettent des actes de violence. Je pense par exemple à de courtes peines de prison.
Par ailleurs, les contrôles judiciaires doivent faire l’objet d’un meilleur suivi. Et si ces derniers ne sont pas respectés, il faut alors envisager, là encore, la solution carcérale.
De manière plus globale, et je reviens à l’idée que j’ai développée au début de notre entretien, nous devons faire en sorte que l’administration et les acteurs judiciaires soient responsabilisés. Les fautes lourdes qui ont été commises lors de la prise en charge des deux adolescents ne doivent plus se répéter.
Cela nécessite un retour de l’autorité au sein de notre appareil judiciaire, aujourd’hui en pleine dérive. Les services sont livrés à eux-mêmes et la hiérarchie ne maîtrise plus rien. Un retour de l’autorité que j’appelle sincèrement de mes vœux.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Articles actuels de l’auteur









