« Patriotisme fiscal » ou « spoliation » ? Le PS veut obliger les plus riches à prêter de l’argent à l’État sans intérêt
Face aux difficultés budgétaires et après l'abandon de la taxe Zucman, le Parti socialiste au Sénat défend l'idée d'un emprunt "forcé" ciblant l'épargne des contribuables les plus aisés. Cette proposition construite sur le modèle d'une mesure adoptée sous Pierre Mauroy en 1983, divise le gouvernement et suscite de vives critiques.
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Le président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain au Sénat, Patrick Kanner.
Le Parti socialiste a déposé un amendement au budget de l’État proposant la création d’un emprunt obligatoire de cinq ans à taux zéro. Ce dispositif concernerait environ 20.000 contribuables parmi les plus aisés : ceux dont le revenu imposable excède un million d’euros et/ou dont le patrimoine net dépasse 10 millions d’euros, selon TF1 Info.
Le mécanisme prévoit un remboursement intégral par l’État au terme prévu, mais sans versement d’intérêts. Les estimations du groupe socialiste au Sénat évaluent les recettes potentielles entre 6 et 9 milliards d’euros.
« Ce n’est pas une taxe, ce n’est pas un impôt »
Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat, défend cette initiative avec conviction : « Ce n’est pas une taxe, ce n’est pas un impôt. C’est du patriotisme fiscal, certes obligatoire, mais qui ne va impacter qu’à la marge les plus grandes fortunes », d’après l’AFP. Le sénateur du Nord la présente comme « une contribution exceptionnelle, de l’argent frais qui rentre et qu’on n’ira pas emprunter sur les marchés à des taux élevés. »
François Hollande, ancien président de la République et député PS de Corrèze, soutient également cette orientation : « Il y a des mesures fiscales à prendre sur les plus fortunés et une possibilité patriotique de leur demander de donner en plus de leurs impôts une partie de leur épargne pour l’investir dans les dépenses publiques », rapporte BFMTV.
La presse a rapidement surnommé cette initiative « amendement Mauroy » au Palais du Luxembourg, rappelant un emprunt obligatoire comparable mis en place par le gouvernement de Pierre Mauroy en 1983.
Après l’échec de la taxe Zucman sur les hauts patrimoines, les socialistes maintiennent leur pression sur le gouvernement pour ce qu’ils considèrent comme de la justice fiscale. Leur soutien reste nécessaire à l’adoption du budget.
« Je n’ai pas de problème de financement »
Les membres du gouvernement ont exprimé des positions nuancées, voire divergentes.
Roland Lescure, ministre de l’Économie, rejette fermement cette nécessité sur France Inter : « Le ministre des Finances, quand il se lève le matin, il a quand même pas mal de problèmes à régler. Heureusement, il y en a un qui ne lui pose pas de problème, c’est le financement de la dette. »
Il précise que la France a « complété cette semaine le financement de notre dette publique pour l’année 2025, plus 300 milliards d’euros qui sont passés sur les marchés. Aujourd’hui, les gens continuent à prêter à la France, et c’est tant mieux. Donc a priori pas besoin d’un emprunt. » « Surtout s’il est forcé » car « cela ne donnerait pas forcément un message très positif ».
Il ajoute cependant : « Qu’on puisse examiner toutes les formes (…) créatives, innovantes, de financement de la dette de l’État, pourquoi pas ? Mais attention, aujourd’hui, je n’ai pas de problème de financement. Je ne compte pas en avoir l’année prochaine non plus. »
À l’inverse, Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement, adopte un ton plus ouvert après le Conseil des ministres, affirmant que l’exécutif regarde cette proposition « avec bienveillance » et n’a « pas tranché de position ». Elle indique : « Il faut qu’on regarde avec les socialistes les modalités de mise en œuvre. »
Une origine floue
L’origine exacte de cette proposition reste floue.
Un amendement identique avait été initialement déposé par le groupe écologiste au Sénat avant d’être retiré. Plusieurs sénateurs centristes affirment que leur groupe aurait été « sollicité par Matignon » pour porter cette mesure, suggérant qu’elle émanerait en fait du gouvernement. L’Union centriste, alliée des Républicains au Sénat, a refusé.
Matignon conteste cette version et maintient qu’il s’agit d’une initiative socialiste. L’entourage du Premier ministre précise que celui-ci conteste principalement le caractère obligatoire du dispositif et considère que le débat fiscal « doit être aussi un débat sur l’emploi et la croissance ».
« L’État Don Corleone »
Claire Lejeune, députée Insoumise, critique vivement cette proposition qu’elle qualifie de « capitulation » des socialistes.
Éric Woerth, député EPR, affirme sur le plateau de France TV que « dans emprunt forcé, il y a emprunt, c’est de la dette. Or « la France emprunte sur les marché sans problème », ajoute-t-il, expliquant que « le vrai problème est la dette ». C’est une « mauvaise idée » qui consiste « à ne faire aucun effort », estime-t-il. « J’appelle les responsables politiques à la responsabilité et notamment le Parti socialiste. »
Du côté de la droite sénatoriale, le rejet est catégorique. Jean-François Husson, rapporteur général LR, juge la mesure « inacceptable » et dénonce la « chasse aux riches » du PS : « Il faut oublier cette mesure. »
David Lisnard dénonce sur X « l’absurde et la spoliation » par « un dispositif unique au monde où c’est le prêteur, contraint, qui paie l’intérêt. » À l’instar du dispositif « Dilico » qu’il condamne : « L’État Don Corleone » oblige des « centaines de mairies et intercommunalités » à « « prêter » et ne s’engage à rembourser… que 90 % du capital ! (c’est remboursé… ) »
Après la « contribution exceptionnelle » et la « contribution différentielle », voici maintenant l’emprunt forcé rebaptisé « contribution restituable ». Toujours plus loin dans l’absurde et la spoliation, un dispositif unique au monde où c’est le prêteur, contraint, qui paie l’intérêt.… https://t.co/RKHan5omIh
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Selon une source sénatoriale citée par l’AFP, Sébastien Lecornu aurait reconnu en marge de la séance de questions au gouvernement que la mesure risquait de « ne pas prospérer » au Parlement.
Le vote de cet amendement est prévu vendredi ou samedi, selon l’avancement de l’examen du budget de l’État. Son rejet apparaît quasi-certain.