Logo Epoch Times

Recommandation

plus-iconAutisme : enjeux et solutions

Autisme : comprendre les limites d’un diagnostic élargi et mieux accompagner les personnes concernées

Avec l’élargissement des critères de diagnostic de l’autisme, les experts s’inquiètent que la frontière entre autisme et normalité ne devienne floue, et donnent des conseils pour mieux identifier les besoins réels. Quand Adir fait une crise, cet adolescent de 125 kilos devient un danger pour lui-même et pour tous ceux qui l’entourent. Il ne peut pas parler, ne peut pas travailler et ne vivra peut-être jamais de façon autonome. Pendant ce temps, des adultes qui ne rencontrent pas les mêmes difficultés qu’Adir passent des tests en ligne et se diagnostiquent eux-mêmes.

top-article-image

Photo: Illustration by Lumi Liu

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 15 Min.

L’autisme était autrefois une condition associée à des enfants agités et non communicants, destinés à vivre ces troubles à l’âge adulte.
Pourtant, cinquante ans après l’introduction du diagnostic, les experts de l’autisme ont ressenti le besoin de créer une nouvelle appellation afin de rappeler au public à quel point ce trouble peut être profondément invalidant.
En décembre 2021, The Lancet a commandé un rapport sur la meilleure façon de prendre soin des personnes autistes. Parmi ses nombreuses propositions, l’une a particulièrement retenu l’attention.
La commission — dirigée par Catherine Lord, professeure émérite de psychiatrie et d’éducation— a recommandé d’introduire le terme « autisme profond » pour désigner les personnes qui ne pourront jamais vivre de manière indépendante, qui nécessitent une assistance 24 heures sur 24, qui parlent très peu et dont le quotient intellectuel est inférieur à 50.
« Une grande partie des médias s’est concentrée sur les personnes autistes brillantes et verbales », a expliqué Catherine Lord à Epoch Times, précisant que la même tendance se retrouve dans la recherche. Elle s’est inquiétée du fait que les personnes atteintes d’autisme profond soient négligées, soulignant que le fossé entre les deux extrémités du spectre n’a jamais été aussi large.

Deux réalités différentes

Aux États-Unis, entre 2000 et 2016, les cas d’autisme non profond chez les enfants de 8 ans ont augmenté pour atteindre 14 pour 1 000, soit une hausse de 250 %, tandis que l’autisme profond a augmenté de 70 %, selon les données des CDC. (Nous y reviendrons plus loin dans la série sur l’augmentation de l’autisme profond.)
En France, on estime qu’environ 0,7 à 1% des enfants de 8 ans présentent un TSA, dont une part significative sans déficience intellectuelle, correspondant aux cas d’autisme non profond.
Chez les enfants de 8 ans en France, l’autisme profond concerne environ 2 à 3 enfants sur 1 000, soit près d’un tiers des diagnostics de TSA de cette classe d’âge.
Type d’autismePrévalence chez les 8 ans (France)
TSA (tous types)0,7 à 1% (~8 à 10 pour 1 000)
Autisme profond0,2 à 0,3% (~2 à 3 pour 1 000)
Bien que toutes les personnes du spectre soient regroupées sous le même terme, le seul moyen officiel de les différencier dans le manuel diagnostique consiste à leur attribuer un niveau correspondant à la quantité de soutien dont elles ont besoin.

La plupart des personnes autistes ne sont pas profondément autistes. (Epoch Times)

Il existe trois niveaux de soutien. Le niveau 1 désigne une personne nécessitant un soutien minimal, tandis que le niveau 3 correspond à un besoin de soutien maximal. Le niveau 2 se situe entre les deux.
Entre ces niveaux, le contraste peut être immense. Une personne autiste de niveau 1 peut même passer pour non autiste.
Courtney Snailum est une militante autiste de niveau 1. Elle est indépendante mais doit préparer des scripts pour ses interactions sociales. Une grande partie de sa socialisation consiste à contrôler ses expressions faciales plutôt qu’à profiter de l’échange. Elle est rigide dans ses routines et réagit de manière disproportionnée aux changements de programme.
Adir, de niveau 3, dont le cas a été cité par la commission du Lancet, présentait des troubles du comportement dans l’enfance et a grandi avec les mêmes handicaps à l’âge adulte. Ses crises d’agressivité ont provoqué son renvoi de plusieurs emplois, et ses parents envisagent désormais de le placer dans un établissement spécialisé.
Selon Courtney Snailum, il devrait exister un moyen de distinguer clairement les personnes autistes capables de se défendre elles-mêmes de celles qui ne le peuvent pas.
« Au rythme où les diagnostics d’autisme augmentent et où le spectre s’élargit, je ne vois pas comment une seule étiquette peut suffire », a-t-elle déclaré à Epoch Times. « Ce n’est pas une opinion très populaire », a-t-elle ajouté, mais le fait d’avoir observé des familles s’occupant d’enfants autistes de niveau 3 l’a convaincue qu’une distinction plus nette est nécessaire.

Comment le spectre s’est-il élargi ?

Avant 1987, la principale étiquette diagnostique disponible était celle d’« autisme infantile », qui concernait les enfants présentant des manifestations claires d’autisme avant l’âge de 30 mois, avec un handicap intellectuel ou un langage limité.
L’introduction du DSM-4 en 1994 ( manuel de classification des troubles mentaux utilisé internationalement pour le diagnostic psychiatrique jusqu’à l’arrivée du DSM-5 en 2013) a ajouté le diagnostic de « trouble d’Asperger », applicable aux enfants présentant des signes d’autisme sans déficit du langage ni trouble cognitif.
Ce trouble, initialement décrit par le pédiatre Hans Asperger en 1944, concernait un petit groupe d’enfants atteints de « psychopathie autistique ». Le diagnostic d’Asperger n’a été utilisé par les cliniciens qu’à partir des années 1980, lorsque Lorna Wing a publié un article suggérant que ces personnes avaient une incapacité innée à apprendre les codes sociaux et qu’elles avaient, elles aussi, besoin d’aide.
Cette étiquette était relativement valorisante, car elle permettait aux enfants d’obtenir un soutien sans être stigmatisés par une déficience intellectuelle. Pour la première fois, des personnes recevant un diagnostic de santé mentale considéraient leur « étiquette » comme valorisante et comme un marqueur d’identité plutôt qu’un handicap.
Le diagnostic d’Asperger est donc rapidement devenu populaire — au point d’en perdre une partie de sa crédibilité.
De plus, des enfants qui auraient dû être diagnostiqués autistes recevaient à la place le diagnostic d’Asperger ou celui de « trouble envahissant du développement » (TED), car ces deux termes étaient jugés moins stigmatisants, a expliqué Catherine Lord.
Les désaccords sur le diagnostic et l’évitement délibéré de certaines étiquettes ont été en grande partie résolus avec l’introduction du DSM-5 en 2013, qui a fusionné les trois catégories sous une seule : le trouble du spectre de l’autisme.
« Là où nous ne pouvions pas parvenir à un bon consensus, c’était sur la différence entre Asperger et TED. Mais après le DSM-5, les cliniciens s’accordaient pour dire qu’ils appartiennent quelque part au spectre », a précisé Catherine Lord.

Une frontière floue

Lorsque les diagnostics d’Asperger, de TED et d’autisme ont été regroupés sous le trouble du spectre de l’autisme dans le DSM-5, une nouvelle difficulté est apparue : la frontière entre l’autisme et la normalité s’est estompée.
« Presque tout ce que font les personnes autistes, les personnes ordinaires le font aussi, mais à une fréquence moindre, avec plus de variations et une meilleure capacité à se contrôler selon les situations », a expliqué Catherine Lord. Répéter des mots ou des phrases peut être un symptôme de l’autisme, mais les personnes ordinaires peuvent également le faire. « Les gens commencent à voir comme pathologiques des comportements qui ne le sont pas. »
Le psychiatre Laurent Mottron a montré, dans une revue d’études d’imagerie cérébrale, que les différences entre les cerveaux autistes et non autistes avaient diminué jusqu’à 80 % au fil des décennies. De nouvelles études suggèrent que certains enfants auraient été surdiagnostiqués.
Une étude de 2024 portant sur 232 enfants diagnostiqués autistes à partir de dépistages a révélé que près de la moitié ne seraient pas considérés comme autistes s’ils étaient évalués par des cliniciens expérimentés.
Une autre étude de 2022 a estimé que l’échelle d’observation diagnostique de l’autisme, référence pour le diagnostic des enfants, présentait un taux de faux positifs pouvant atteindre 34 %.
Les critères diagnostiques sont subjectifs, selon le pédiatre Randall Phelps. Ainsi, le diagnostic d’autisme dépend souvent de l’interprétation du clinicien. Par exemple, l’un des critères de l’autisme est le déficit de communication, qui inclut la tendance à interpréter les idées abstraites de manière littérale.
La plupart des jeunes enfants ont des difficultés avec la pensée abstraite, mais un clinicien peu expérimenté, ignorant que celle-ci se développe à l’adolescence, pourrait interpréter cette incompréhension comme un signe d’autisme.
Pour être considéré comme un clinicien expérimenté, il faut avoir rencontré entre cinq et dix personnes du même âge et du même niveau de langage, autistes et non autistes, a précisé Catherine Lord.
« On peut avoir une grande expérience avec des personnes autistes très verbales, mais ne pas être habitué à celles qui ne parlent pas. »
En dehors du cadre clinique, un nombre croissant d’adultes s’identifient comme appartenant au spectre après avoir effectué des tests en ligne et constaté qu’ils présentent certains symptômes.
« Je ne sais pas si nous devrions les qualifier d’autistes, probablement, mais je n’en suis pas certaine. Ils ne présentent pas les déficits sociaux que nous avons toujours associés à l’autisme, donc il faut être prudent », a ajouté Catherine Lord.

Ressources limitées

L’élargissement des critères diagnostiques a créé une concurrence pour des ressources limitées.
Un diagnostic ouvre l’accès à une large gamme de traitements et de thérapies. De nombreux enfants non autistes peuvent néanmoins bénéficier de ces services, comme l’orthophonie ou les aménagements scolaires (programmes personnalisés, temps supplémentaire aux examens).
Pour les adultes, le diagnostic peut aussi permettre des adaptations dans le milieu professionnel. Ces avantages incitent de plus en plus de personnes à demander un dépistage et un diagnostic.
Cette tendance à privilégier les personnes autistes plus faciles à accompagner se reflète aussi dans la recherche. Une analyse de 301 études sur l’autisme a montré que 94 % des participants ne présentaient pas de déficience intellectuelle, traduisant une surreprésentation des autistes non profonds.

Seulement 6 % des recherches sur les personnes autistes incluent les personnes présentant une déficience intellectuelle. (Epoch Times)

« Il est plus facile d’étudier des personnes qui ne sont pas profondément autistes », a reconnu Catherine Lord. Les recherches montrent que, de 1991 à 2013, la proportion de personnes autistes sévèrement atteintes a diminué d’année en année.
Les personnes atteintes d’autisme profond ne peuvent pas plaider pour elles-mêmes. « Elles doivent être représentées par leurs parents ou d’autres personnes qui s’occupent d’elles », a souligné Catherine Lord.

Le diagnostic peut-il faire du tort ?

Cette question a été soulevée par la neurologue et neurophysiologiste Suzanne O’Sullivan dans son livre The Age of Diagnosis. Elle estime que les personnes légèrement affectées par l’autisme ont parfois plus à perdre qu’à gagner en recevant un diagnostic.
Elle met en garde contre le « glissement diagnostique », un phénomène qui se produit lorsque les critères s’élargissent pour inclure davantage de personnes, notamment celles présentant des symptômes légers.
Chez les enfants de ce groupe, un diagnostic d’autisme peut les amener à se sentir moins motivés et moins maîtres de leur vie, car ils peuvent intérioriser l’idée qu’ils souffrent d’un trouble du développement.
Le diagnostic peut aussi devenir une prophétie autoréalisatrice : certains peuvent y voir une preuve qu’ils sont incapables de faire certaines choses et ne chercheront donc même pas à essayer. Cette inquiétude est partagée par des chercheurs renommés en autisme, comme le Dr Eric Fombonne.
Cependant, Olivia Hops, militante autiste diagnostiquée à l’âge adulte, a confié à Epoch Times que son diagnostic lui avait permis de se montrer plus bienveillante envers elle-même.
Avant d’être diagnostiquée, elle se sentait souvent frustrée de ne pas pouvoir surmonter ses crises ou d’avoir besoin de plusieurs jours pour récupérer après des interactions sociales. Découvrir que ces réactions étaient liées à son autisme l’a soulagée.
En même temps, elle reconnaît que sa vie aurait pu être très différente si elle avait été diagnostiquée plus tôt. Elle n’aurait peut-être pas relevé certains défis — comme travailler avec de grandes ligues sportives ou créer sa propre entreprise — si elle avait perçu son diagnostic comme un obstacle.
« Je pense que cela va dans les deux sens », a conclu Catherine Lord.
 
Marina Zhang est rédactrice spécialisée dans la santé pour Epoch Times, basé à New York. Elle couvre principalement des articles sur le COVID-19 et le système de santé. Elle est titulaire d'une licence en biomédecine de l'université de Melbourne. Contactez-la à l'adresse marina.zhang@epochtimes.com.

Articles actuels de l’auteur