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Un « État dans l’État » : un ministre indonésien tire la sonnette d’alarme sur un aéroport chinois hors de tout contrôle
L’aéroport jouxte l’Indonesian Morowali Industrial Park, complexe métallurgique indonésien adossé à la Chine et véritable épicentre du traitement du nickel dans le pays.

Dans cette vue aérienne – l’Indonesia Morowali Industrial Park, qui emploie environ 77.000 travailleurs locaux et quelque 6000 travailleurs chinois, à Morowali, dans le centre des Célèbes (Sulawesi Tengah), en Indonésie, le 2 août 2023.
Photo: Ulet Ifansasti/Getty Images
L’absence de supervision des activités d’un aéroport privé, majoritairement détenu et exploité par des intérêts chinois dans la région indonésienne de Morowali dédiée au traitement du nickel, fait peser une menace potentielle sur la souveraineté et la stabilité économique du pays, a mis en garde le ministre de la Défense.
Sjafrie Sjamsoeddin a exprimé ses inquiétudes lors de l’exercice intégré des forces armées indonésiennes (TNI) dans la région, le 20 novembre, affirmant que l’aéroport fonctionnait « sans aucune présence d’appareil d’État » sur place.
L’absence de fonctionnaires dans une infrastructure aussi stratégique pourrait exposer le pays à des risques pour sa « souveraineté économique », a‑t‑il estimé, ajoutant qu’un site de cette importance opérant sans représentation de l’État relevait de « l’anomalie ».
« Cette république ne doit pas abriter une république en son sein. Nous devons faire respecter l’ensemble des dispositions sans considération de l’origine des acteurs en cause », a déclaré M. Sjafrie dans un communiqué écrit cité sur le site du ministère de la Défense, le 26 novembre.
Ses préoccupations ont été relayées par un membre de la Chambre des représentants d’Indonésie, T. B. Hasanuddin, qui a qualifié l’installation d’« aéroport furtif » et pointé d’éventuelles violations de la réglementation, ainsi que des risques pour la sécurité et la souveraineté.
En réponse, le ministère des Transports a assuré que l’aérodrome disposait des autorisations nécessaires et rejeté l’idée qu’il échappait à tout contrôle de l’État.
Selon les registres du ministère, l’aéroport de l’Indonesian Morowali Industrial Park (IMIP) est classé comme « aéroport spécial » domestique et appartient à la société PT IMIP, qui en assure l’exploitation.

Des responsables de l’aéroport d’IMIP inspectent un avion après son atterrissage, en janvier 2024. (Courtoisie du service des relations médias de l’IMIP.)
Quelle part du capital est chinoise ?
La structure de propriété de cette société est complexe.
Il s’agit d’une coentreprise réunissant Shanghai Decent Investment (Group) Co. Ltd., qui détient 49,69 % du capital et est elle‑même une filiale du groupe Tsingshan, l’un des plus importants sidérurgistes privés de Chine spécialisés dans l’inox ; Bintang Delapan (25,31 %), une entreprise indonésienne ; et Sulawesi Mining Investment (SMI), qui possède 25 %.
SMI est elle aussi une coentreprise, associant Shanghai Decent Investment Group et PT Bintang Delapan Group.
Dans les faits, Shanghai Decent Group (Tsingshan) contrôle 66,25 % des parts de l’exploitation de l’aéroport, contre 33,75 % pour PT Bintang Delapan.
Bien qu’il s’agisse d’une entreprise privée, les projets de Tsingshan en Indonésie ont bénéficié du soutien de l’Initiative « la Ceinture et la Route » du Parti communiste chinois, notamment via des prêts consentis par des banques d’État comme la China Development Bank et la Bank of China.
Des informations font également état de discussions avancées visant à la vente d’une partie de ses actifs indonésiens au China Baowu Steel Group, un groupe sidérurgique public chinois.
Implanté au cœur de Sulawesi central, l’IMIP a été créé dans le sillage de la décision du gouvernement indonésien d’interdire l’exportation de minerais bruts à compter de janvier 2014 ; il est aujourd’hui le plus vaste centre intégré de production d’acier inoxydable au monde et l’épicentre de la production mondiale de nickel.
Ces dernières années, le parc s’est considérablement étendu et couvre désormais 5.500 hectares.
En principe, le droit indonésien de l’aviation limite l’activité de ce type d’aéroports spéciaux au seul service des besoins opérationnels de leurs propriétaires et leur interdit d’assurer des vols internationaux directs, sauf dérogation temporaire accordée par le ministre. Or, c’est précisément ce qui s’est produit plus tôt cette année, lorsque des règlements ont désigné trois aéroports spéciaux, dont IMIP, comme aéroports internationaux.
Après l’alerte lancée par M. Sjamsoeddin, la polémique a rapidement enflé, au point que le gouvernement a révoqué sans délai, le 28 novembre, le permis conférant à l’aéroport son statut « spécial ».
Malgré cela, le Parti démocratique indonésien de lutte (PDIP) appelle le président Prabowo Subianto à diligenter une enquête approfondie.
Le député Guntur Romli a jugé, sur WhatsApp, le 30 novembre, que les déclarations de l’ancien président Joko Widodo, affirmant ne pas avoir inauguré l’aéroport, étaient « déroutantes et suspectes, car le public sait que Jokowi a inauguré PT IMIP en 2015 ».
« Est‑il plausible que, durant les dix années de l’ère Jokowi, l’État ait pu passer à côté d’un tel dossier ? », a‑t‑il lancé.
Une enquête semble désormais probable, d’autant que des personnalités proches du chef de l’État s’y montrent également favorables.
M. H. Kurniawan, président du mouvement Gerakan Cinta Prabowo (Mouvement « Aimer Prabowo »), a lui aussi fait part de ses inquiétudes face aux restrictions d’accès à l’aéroport et à l’apparente absence de représentation de l’État. « C’est pour le moins étrange, a‑t‑il estimé. Où était l’État ? J’appelle à une enquête complète, sans traitement de faveur. »
Le président de la commission promet un examen
M. Lasarus, président de la commission parlementaire chargée des transports, se montre toutefois plus circonspect.
Réagissant aux propos de Sjamsoeddin, selon lesquels IMIP fonctionnerait comme un « État dans l’État », il a indiqué que sa commission examinerait si ces préoccupations renvoient effectivement à des violations du droit ou découlent plutôt d’une méconnaissance du fonctionnement des aéroports privés.
Il a assuré que, même en l’absence de représentants de l’État sur site, les mouvements d’avions dans tout aéroport restent traçables.
« Tout appareil souhaitant décoller doit demander une autorisation. L’ensemble de ces données est enregistré par le contrôle aérien national », a expliqué M. Lasarus.
Il a cité l’exemple de pistes exploitées par des missions en Papouasie, qui fonctionnent de manière similaire, sans présence gouvernementale permanente sur place.
« Tant qu’il n’y a pas de vols internationaux, cela n’est pas intrinsèquement problématique », a‑t‑il ajouté.
Le Business and Human Rights Resource Centre recense de nombreux motifs de préoccupation concernant le projet IMIP, dont l’aéroport fait partie. Ces critiques portent notamment sur l’ampleur des impacts environnementaux et sur des conditions de santé et de sécurité au travail jugées défaillantes, qui auraient entraîné des décès de travailleurs.
Si le gouvernement indonésien ne semble guère empressé de s’attaquer à ces problèmes, il a en revanche durci le cadre législatif encadrant son espace aérien. Le Parlement a ainsi adopté, en séance plénière, le 25 novembre, une loi sur la gestion de l’espace aérien.
Le ministre chargé de la loi, Supratman Andi Agtas, a détaillé plusieurs enjeux majeurs auxquels le texte entend répondre.
Il a notamment évoqué l’absence d’un cadre juridique global pour la gestion de l’espace aérien national, la fréquence des violations de cet espace par des aéronefs ou engins étrangers, ainsi que le manque de dispositions spécifiques encadrant ces violations dans le droit indonésien.
Le pays ne prévoit aucune incrimination pénale pour les atteintes à son espace aérien, qui n’entraînent à ce jour que des sanctions administratives.
« Nous n’en savons tout simplement rien » : un député s’alarme
Mori Hanafi, député du NasDem et membre de la commission des transports, a indiqué que l’aéroport d’IMIP n’avait jamais été mentionné lors des auditions menées avec le ministère des Transports.
« Nous sommes véritablement tombés des nues. Les licences aéroportuaires relèvent du ministère des Transports. Or, lors de toutes nos auditions, cet aéroport n’a jamais été évoqué. Soit il a échappé aux mailles du filet, soit il était suivi, mais sans que rien ne nous soit signalé. Nous n’en savons tout simplement rien », a‑t‑il confié à la presse.
M. Mori, qui siégeait également au sein de la commission spéciale chargée de rédiger la nouvelle loi sur la gestion de l’espace aérien, a averti que tout indice de vols internationaux au départ d’IMIP constituerait une violation grave, impliquant des manquements aux contrôles migratoires, à la surveillance douanière et à la sécurité nationale.
« Qui tamponne les passeports ? Comment les marchandises entrantes et sortantes sont‑elles inspectées ? Si des étrangers et des cargaisons arrivent sans contrôle douanier ni immigration, c’est une atteinte manifeste aux prérogatives de l’État », a‑t‑il souligné.
L’audition à venir devant la commission des Transports doit permettre d’établir si IMIP s’est conformé au droit aérien national, si l’aéroport a déjà assuré des liaisons transfrontalières et pourquoi son fonctionnement n’a jamais été formellement discuté au Parlement.
D’ici là, les parlementaires estiment qu’une question fondamentale demeure sans réponse : comment un aéroport opérationnel, inauguré par un président, a‑t‑il pu fonctionner pendant des années à l’insu des services de l’État chargés de le superviser comme du Parlement censé en contrôler l’action ?

Rex Widerstrom est un journaliste néo-zélandais qui a plus de 40 ans d'expérience dans les médias, y compris la radio et la presse écrite. Il est actuellement présentateur à Hutt Radio.
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