Logo Epoch Times
Collectivités départementales

« Situation de quasi-faillite » : 54 départements contraints de réduire leurs dépenses

Plus de la moitié des départements français sont au bord de l'asphyxie financière. Pris entre l'explosion de leurs charges sociales et l'effondrement de leurs recettes, ils multiplient les restrictions budgétaires qui touchent directement les services publics locaux.

top-article-image

François Sauvadet, président de l'association Départements de France et du conseil départemental de la Côte-d'Or. Illustration.

Photo: PHILIPPE DESMAZES/AFP via Getty Images

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 9 Min.

À l’occasion des 94e Assises des départements de France qui se sont achevées vendredi 14 novembre à Albi, François Sauvadet, président de l’association Départements de France (ADF) et du conseil départemental de la Côte-d’Or, a tiré la sonnette d’alarme : « Cinquante-quatre départements sont en situation de quasi-faillite », a-t-il affirmé sur France Info. Un constat alarmant qui traduit une dégradation financière sans précédent. « La situation financière des départements continue de se dégrader à vitesse grand V. Cette situation est intenable », a-t-il alerté en clôture des Assises.
Les collectivités dénoncent une double contrainte : en un peu moins de trois ans, l’État leur a imposé 6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires tout en réduisant simultanément leurs recettes de 8,5 milliards d’euros. Selon François Sauvadet, pour les allocations en faveur « des personnes âgées, des handicapés, l’État ne compense qu’à hauteur de 30% ». Les départements, ne pouvant pas avoir recours à l’impôt, « se retrouvent bien seuls et dans une impasse », déplore-t-il.

Une crise structurelle qui s’aggrave

Selon un rapport de la Cour des comptes datant de l’été 2025 cité par TF1 Info, 15 départements sont en « grande difficulté financière », dont le Pas-de-Calais, le Nord, la Loire-Atlantique, le Gard ou l’Yonne. La Charente a même été placée sous tutelle préfectorale, une situation rarissime pour une collectivité de cette taille, après l’échec du vote de son budget en l’absence de majorité politique. Symbole de cette crise, le président du conseil départemental, Philippe Bouty (Divers gauche), a démissionné en septembre dernier.
« Ça fait trois ans que j’alerte. Je leur dis « on va droit dans le mur » », avertit François Sauvadet, qui appelle les parlementaires à « être responsables » : « Arrêtez de dire débrouillez-vous les départements parce qu’on a un déficit d’État. Il faut faire face à nos responsabilités collectives. » « Si rien ne change dans cette situation, ce sont les Français qui vont être directement impactés prochainement », prévient-il.

La culture, première victime des restrictions

Les conséquences de cette crise se font déjà sentir sur le terrain. Selon un baromètre publié en octobre, 64 % des départements interrogés ont procédé à des réductions dans la culture. L’Hérault a ainsi décidé d’une coupe de 100 % du budget alloué à la culture, tandis que l’Ille-et-Vilaine a fortement diminué ses aides culturelles.
Dans l’Aisne, département rural qui cumule les fragilités, le centriste Nicolas Fricoteaux indique à l’AFP avoir « réduit considérablement la voilure dans les compétences partagées que sont le sport, l’environnement, la culture ». Hélène Sandragné, présidente PS du département de l’Aude, rapporte France Info, a réalisé 25 millions d’euros d’économies en privilégiant un « travail de dentellière » plutôt qu’en « tapant massivement sur une politique ». Les subventions aux associations ont été réorientées vers celles qui ont le moins de trésorerie.
Dans les Deux-Sèvres, la présidente Coralie Denoues (DVD) a fait le choix de préserver les budgets dédiés à la culture et au sport. En revanche, elle a modifié son mode de financement des associations environnementales en privilégiant une rémunération à la prestation plutôt que des subventions de fonctionnement

Le secteur social et médico-social également touché

Le secteur social n’est pas épargé malgré son caractère prioritaire. Sept centres de santé sexuelle ont fermé dans la Drôme, et les subventions au Planning familial ont été rabotées dans le Loiret. En août dernier, la Fondation des femmes alertait sur « le recul majeur du financement par les départements » des associations de lutte contre les violences faites aux femmes, relate TF1 Info. Elle dénonçait un phénomène d’autant plus préoccupant que « les départements en sont aujourd’hui l’un des principaux financeurs ».
En Seine-Maritime, « compte tenu de la situation financière », le président Bertrand Bellanger (Divers droite) a divisé par deux le montant du Pass Jeunes pour les inscriptions en club ou association, rapporte Le Monde. Cette décision intervient alors même que le département, très endetté il y a encore dix ans, avait réussi à réduire sa dette.
« Sur la protection de l’enfance, nous avions allongé l’âge de prise en charge des jeunes mais nous sommes revenus aux 18 ans prévus par la loi », explique Hélène Sandragné. Dans l’Aisne, Nicolas Fricoteaux a également réduit la participation du département à l’aide à domicile pour les personnes âgées, selon France Info.

Des infrastructures sacrifiées : collèges et routes en danger

Même les compétences essentielles des départements sont désormais impactées. « On réduit les investissements sur nos collèges et nos routes. C’est un peu une bombe à retardement car vous accumulez des dégradations qui vont nécessiter des coûts supplémentaires », admet Nicolas Fricoteaux.
Dans les Deux-Sèvres, Coralie Denoues a décidé de fermer deux collèges face à la baisse attendue de 3200 collégiens d’ici 2032. « Oui, cela a un coût politique, mais est-ce qu’on est élu pour s’assurer de sa réélection, ou pour inscrire un territoire dans l’avenir ? », s’interroge-t-elle dans France Info.

La Gironde, symbole d’une situation critique

Le cas de la Gironde illustre l’ampleur de la crise. Ce département a annoncé en octobre un budget présentant un déficit de 97 millions d’euros, une situation interdite qui le place au bord de la mise sous tutelle, rapporte TF1 Info. Les conséquences sont multiples, détaille Le Monde : deux projets de collèges sont annulés, un troisième reste incertain, et la collectivité comptabilisera 232 postes supprimés d’ici fin 2025, résultat du gel des recrutements et de l’absence de remplacement des départs en retraite.
La Gironde supprime également son aide d’investissement aux communes, qui représentait 30 millions d’euros en 2023 et 15 millions en 2024. Son président Jean-Luc Gleyze (PS) assume ses dépenses en matière de protection de l’enfance mais concède avoir dû renoncer aux aides municipales. Selon lui, toutes les politiques hors compétences directes – culture, sport, banques alimentaires, missions locales, centres sociaux – sont désormais sur la sellette.

Des choix douloureux entre urgence et avenir

Face à cette situation, Nicolas Lacroix, président LR du conseil départemental de Haute-Marne, estime qu’il faut couper « dans tout ce qui n’est pas obligatoire » : aide aux communes, au monde associatif, au monde agricole, au développement de la ruralité. Pour ne pas toucher au cœur des compétences que sont la solidarité, l’enfance et la dépendance, il s’interroge même sur certaines prises en charge, comme le cumul du RSA et du statut d’auto-entrepreneur, et plaide pour la suspension automatique du RSA à l’âge de la retraite.
« On va droit dans le mur », répète François Sauvadet, appelant l’État à cesser de « charger la barque des départements » qui sont « littéralement asphyxiés ».