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Séoul risque d’handicaper ses industries clés et de subir des représailles économiques en resserrant ses liens avec la Chine, préviennent des analystes
La surcapacité chinoise pénalise déjà les entreprises coréennes, tandis que la montée du sentiment anti chinois pourrait aussi déclencher un boycott des consommateurs sur le marché intérieur.

Le président sud coréen Lee Jae myung se prépare à recevoir des dirigeants pour un dîner spécial en l’honneur du président américain Donald Trump et d’autres responsables au Hilton Gyeongju de Gyeongju, le 29 octobre 2025.
Photo: Andrew Caballero Reynolds / AFP via Getty Images
À l’approche de la rencontre entre le dirigeant chinois Xi Jinping et le président sud‑coréen Lee Jae‑myung, des experts estiment que Séoul demeure exposée à la coercition économique, à la surcapacité chinoise et à un possible retour de bâton des consommateurs si les deux pays poursuivent l’approfondissement de leurs liens économiques.
Xi doit arriver en Corée du Sud le 30 octobre pour une visite d’État de trois jours — sa première en onze ans.
Si le déplacement de Xi est centré sur les réunions de la Coopération économique pour l’Asie‑Pacifique (APEC : Asia-Pacific Economic Cooperation), une rencontre avec M. Lee est également prévue le 1er novembre.
Le sommet Corée du Sud–Chine pourrait aborder des sujets tels que les relations bilatérales, la péninsule coréenne, les chaînes d’approvisionnement, la coopération technologique, l’accès au marché et les échanges entre les peuples, rapporte The Chosun Daily, l’édition anglophone du quotidien coréen Chosun Ilbo.
La Chine est restée le premier partenaire commercial de la Corée du Sud pour la 21e année consécutive en 2024, tandis que Séoul a retrouvé son rang de deuxième partenaire commercial de la Chine ; les échanges bilatéraux ont atteint 328,08 milliards de dollars cette année‑là, selon des données des médias d’État chinois CGTN montrant cela.
L’automobile coréenne menacée
Lors de la dernière visite de Xi en Corée du Sud, les relations bilatérales étaient à leur zénith, et le déplacement avait débouché sur l’entrée en vigueur, en 2015, de l’accord de libre‑échange Corée–Chine (ALE).
Cependant, Tsai Ming‑fang, professeur au département d’économie et d’économie industrielle de l’université Tamkang (Taïwan), souligne que le déficit commercial sud‑coréen de 18 milliards de dollars vis‑à‑vis de la Chine en 2023 — huit ans après l’ALE — révèle les risques potentiels pour Séoul à poursuivre l’approfondissement de ses liens économiques avec Pékin.
« Si la Corée du Sud cherche à resserrer ses liens économiques avec la Chine lors de cette rencontre, elle risque de devenir un nouveau débouché pour la surcapacité chinoise, car la Chine a aujourd’hui davantage besoin de marchés étrangers que l’inverse », a déclaré M. Tsai à Epoch Times.
La surcapacité chinoise a déjà porté un coup sévère aux industries lourdes et chimiques sud‑coréennes. Le déclin est criant chez LG Chem, géant coréen de la chimie, dont le bénéfice d’exploitation est passé de près de 1000 milliards de wons (701,2 millions de dollars) en 2022 à seulement 1,2 milliard de wons (842.330 dollars) au premier semestre 2024.
Cette pression de l’offre excédentaire chinoise a aussi contraint d’autres grands groupes, dont le fabricant de batteries Samsung SDI et Posco Future M, la branche batteries du groupe Posco, à céder des activités pour enrayer les pertes, a relevé Business Korea ici.
Selon M. Tsai, dans un contexte d’affaiblissement persistant des perspectives économiques en Chine et de droits antidumping et antisubventions imposés par l’Union européenne et les États‑Unis à diverses catégories de produits chinois, les craintes liées à la surcapacité et au déferlement des biens chinois sur les marchés mondiaux s’intensifient.
« Avec des accès restreints aux marchés de l’UE et des États‑Unis, la Chine cherchera immanquablement d’autres partenaires pour écouler ses produits. Si la Corée du Sud devient une cible, ses secteurs de l’acier et de l’automobile seront, selon moi, les plus exposés », poursuit M. Tsai.
He Jiang‑bing, commentateur financier, avertit également que la pression écrasante de la surcapacité chinoise menace d’asphyxier l’industrie automobile, fleuron de la Corée du Sud, sapant sa force exportatrice et sa compétitivité sur les marchés.
« Si les véhicules électriques chinois sont vendus à des prix excessivement bas, comme on l’a vu en Europe, les consommateurs locaux se tourneront tout simplement vers des marques chinoises comme BYD. Les ventes de voitures en Corée du Sud s’effondreront alors, au risque de dévaster le marché des VE comme celui du diesel traditionnel », a‑t‑il déclaré à Epoch Times.
Terres rares, tourisme, bannissement de la K‑Wave
Coincé entre Washington et Pékin, le ministre du Commerce Yeo Han‑koo a indiqué le 29 octobre que la Corée du Sud entend approfondir la coopération avec les États‑Unis tout en stabilisant ses chaînes d’approvisionnement avec la Chine, a rapporté Reuters.
Toutefois, Séoul se débat avec de récentes sanctions visant ses chantiers navals pour leur coopération avec les États‑Unis, illustrant la fragilité de la position sud‑coréenne alors que s’intensifie l’affrontement commercial sino‑américain pour l’influence mondiale.
Cette vulnérabilité à la pression économique chinoise avait été manifeste en 2017, lorsque le « bannissement de la K‑Wave » par Pékin — rétorsion à l’installation par Séoul du système antimissiles THAAD — a coûté quelque 22.000 milliards de wons (15,3 milliards de dollars) aux industries coréennes de la culture et du divertissement cette année‑là, selon The Korea Economic Daily.
He Jiang‑bing a estimé que si la volonté de Lee Jae‑myung de réchauffer les liens avec Pékin réduit le risque de coercition immédiate, la Chine pourrait néanmoins s’appuyer sur son contrôle des terres rares pour contraindre la fabrication de semi‑conducteurs en Corée du Sud si les relations se dégradaient.
« Les terres rares constituent l’atout décisif de la Chine face aux grands fabricants de puces sud‑coréens. Ces semi‑conducteurs sont vitaux pour les principales industries nationales, de la haute technologie à l’électroménager et à l’automobile. »
« Si la production de puces s’arrête, ces secteurs stratégiques s’effondreront, et c’est précisément la raison pour laquelle Séoul ne peut se permettre d’aliéner Pékin », a‑t‑il déclaré.
Au‑delà des terres rares, M. He ajoute que Pékin dispose de deux autres cartes maîtresses susceptibles de porter un sérieux préjudice à l’économie sud‑coréenne.
« D’autres mesures possibles incluent l’interdiction de voyages touristiques chinois en Corée du Sud et la prolongation du bannissement des dramas et artistes K‑pop en Chine, ce qui affecterait fortement les secteurs clés du tourisme et de l’entertainment coréens », explique‑t‑il.
En réponse, la Corée du Sud a lancé fin septembre une politique expérimentale d’entrée sans visa pour les groupes de touristes chinois, un programme qui doit courir jusqu’à fin juin 2026, dans l’espoir de stimuler une croissance économique plus large.
Le risque d’un « cercle vicieux »
Alors même que les autorités de Séoul accueillent davantage de touristes chinois pour doper l’économie, le sentiment anti‑chinois monte dans l’opinion, des incidents récents mettant en lumière les tensions croissantes entre la Chine communiste et les nations libres.
Un café de Séongsu a suscité la controverse après avoir annoncé en ligne qu’il refuserait de servir des clients chinois, tandis que des rassemblements ont déferlé ces derniers mois près de l’ambassade de Chine.
Portées par les slogans « China out » et des marées de drapeaux sud‑coréens, ces manifestations gagnent en intensité à l’approche de la visite d’État de Xi Jinping.
Quelque 66,3 % des personnes interrogées exprimaient une opinion défavorable de la Chine lors d’une enquête de juin, menée par le JoongAng Ilbo et l’East Asia Institute, reflet d’un sentiment négatif largement répandu.
Ce chiffre prolonge une tendance haussière, contre 63,8 % lors d’un sondage similaire en août précédent.
Tom Ramage, analyste de politique économique au Korea Economic Institute of America, estime que si cette enquête traduit un large mécontentement vis‑à‑vis de la Chine, la relation commerciale de longue date restera difficile à infléchir.
« Le sentiment anti‑chinois peut s’exprimer sur le terrain politique, mais la Chine dispose du puissant atout de la proximité avec la Corée. En tant que très grande économie, ses relations commerciales avec Séoul ne peuvent pas “s’évaporer” du jour au lendemain », a‑t‑il indiqué à Epoch Times.
He Jiang‑bing souligne toutefois que, dans une démocratie comme la Corée du Sud, un sentiment intérieur puissant finit inévitablement par contraindre la politique étrangère du gouvernement.
« À la suite de l’épisode THAAD en 2017, de grands groupes coréens comme Lotte et Samsung ont accéléré leur retrait de Chine. La montée du sentiment anti‑chinois pourrait désormais dissuader les Coréens d’acheter leurs propres marques si ces produits sont fabriqués en Chine ou y sont investis, aggravant encore les intérêts des entreprises », observe‑t‑il.
Mais M. He ajoute que les conséquences seraient plus lourdes pour Pékin, notant qu’un retour de flamme populaire pousserait davantage de groupes coréens à partir, hypothéquant un peu plus la reprise d’une économie chinoise que certains analystes jugent menacée d’une profonde récession, voire de dépression. « La relocalisation industrielle complète de Samsung a déjà créé d’importantes opportunités d’emploi au Vietnam. Si d’autres grands groupes coréens suivent et se retirent, le chômage grimpera en flèche en Chine, l’immobilier reculera et l’“involution” s’aggravera, piégeant l’économie dans un cercle vicieux. »

Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.
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