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Pékin utilise le dialogue sur la sécurité comme prétexte pour étendre son influence dans la région indo-pacifique, selon des analystes

Les observateurs avertissent que la menace qui pèse sur Taïwan et les alliés des États-Unis reste élevée, même si les calculs stratégiques et l'instabilité interne affectent les futurs exercices militaires chinois.

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Les porte-avions de classe Nimitz USS John C. Stennis et USS Ronald Reagan (CVN 76) effectuent des opérations conjointes de groupes aéronavals dans la zone de responsabilité de la 7e Flotte américaine, au service de la sécurité et de la stabilité dans l’Indo-Pacifique, le 18 juin 2016.

Photo: Lt. Steve Smith/U.S. Navy via Getty Images

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Durée de lecture: 11 Min.

Les États-Unis répliquent aux manœuvres d’influence du Parti communiste chinois (PCC) dans l’Indo-Pacifique en accélérant l’intégration des alliés de la région au sein d’un réseau collectif de dissuasion, affirment plusieurs experts.
Washington et Pékin ont tenu à Hawaï, du 18 au 20 novembre, leur deuxième session 2025 dans le cadre de l’« accord consultatif maritime militaire » (MMCA), a indiqué le 22 novembre la chaîne d’État chinoise CGTN, sur fond de rivalité stratégique croissante entre les deux puissances.
La marine chinoise a présenté ces entretiens – un dialogue maritime semestriel entre les deux pays – comme un échange constructif sur la sécurité aérienne et maritime, selon l’agence officielle Xinhua.
Pékin a réitéré son opposition à toute action menée sous « prétexte de liberté de navigation », une exigence qui va à l’encontre de la posture agressive du régime, marquée par une campagne expansionniste sur l’île contestée de Woody Island en mer de Chine méridionale et par des exercices punitifs de tir réel lancés dans un contexte de tensions renouvelées avec Tokyo au sujet de Taïwan.

Le « paravent » de Pékin

Balayant le récit optimiste livré par Pékin sur ce dialogue, Su Tzu-yun, chercheur à l’Institut de recherche sur la défense nationale et la sécurité (INDSR) à Taïwan, estime que cette rencontre n’est guère plus qu’une tribune où les deux camps réaffirment leurs positions, avec un bénéfice limité en matière de gestion des risques et une capacité réduite à contenir l’intimidation croissante exercée par la Chine dans l’Indo-Pacifique.
« La position de Washington est simple : lorsque des avions militaires ou des navires se croisent, il faut maintenir des distances de sécurité et éviter toute provocation », explique M. Su à Epoch Times. « Mais la Chine grossit volontairement ce problème de sécurité élémentaire pour en faire une question de liberté de navigation, en déformant les définitions du droit international. »
M. Su décrit ce dialogue comme un paravent soigneusement conçu pour projeter une façade pacifique, tout en prédisant que les interceptions dangereuses répétées, les tirs de fusées éclairantes et les manœuvres de blocage menées par l’Armée populaire de libération (APL) du PCC contre les autres navires de la région devraient se poursuivre, indépendamment du vernis diplomatique.
« Pékin entend continuer à mener des activités militaires offensives en mer de Chine méridionale, en mer de Chine orientale et dans le détroit de Taïwan, afin d’empêcher les navires étrangers d’y pénétrer, et d’afficher sa juridiction pour conforter ses revendications de souveraineté – en particulier face aux avions et navires militaires australiens, néo‑zélandais et canadiens, que l’APL a à plusieurs reprises interceptés de manière dangereuse et non professionnelle », souligne M. Su.
Abondant dans le même sens, Lin Ting-hui, ancien secrétaire général adjoint de la Société taïwanaise de droit international, note que si la reprise des discussions est significative, après la décision unilatérale de Pékin de geler ce dialogue à la suite de la visite à Taïwan en 2022 de la présidente de la Chambre américaine Nancy Pelosi, la Chine exploite surtout cette plateforme pour se donner l’illusion de gérer conjointement le Pacifique, tout en laissant entrevoir ses propres limites stratégiques.
« Lorsque la Chine rappelle aux États-Unis de ne pas violer sa souveraineté, elle montre que les forces américaines ont la capacité de s’avancer jusqu’aux portes de la Chine », explique M. Lin à Epoch Times. « Au sein de la première chaîne d’îles, la Chine semble encore incapable d’atteindre la parité avec les États-Unis. »

L’appareil militaire chinois en action

Dans les jours précédant les pourparlers de sécurité maritime, Pékin a annoncé que son porte‑avions le plus avancé, le Fujian – le premier doté de catapultes électromagnétiques – allait entamer des déploiements réguliers en haute mer, selon un article publié le 8 novembre par CGTN.
L’Administration de la sécurité maritime de Dalian a également émis un avis le 21 novembre, annonçant des exercices militaires dans le détroit de Bohai et le nord de la mer Jaune jusqu’au 7 décembre, selon un compte rendu diffusé le 22 novembre par CGTN ; la zone devait être « interdite » à la navigation pendant toute la durée des manœuvres.
M. Lin estime toutefois que, malgré les améliorations électromagnétiques du porte‑avions Fujian, ce dernier demeure loin de constituer un véritable instrument de dissuasion face aux forces américaines dans les première et deuxième chaînes d’îles. Il souligne aussi que les exercices récents n’ont pas permis d’exercer une pression militaire tangible sur des adversaires comme Tokyo, en raison de leur localisation, malgré le contentieux suscité par les propos de la nouvelle Première ministre japonaise sur Taïwan.

La Première ministre japonaise Sanae Takaichi répond aux questions des journalistes au sujet de ses échanges téléphoniques avec le président américain Donald Trump, à la Kantei, le siège du gouvernement, à Tokyo, le 25 novembre 2025. (JIJI Press/AFP via Getty Images)

« Une véritable capacité de combat suppose une logistique d’océan profond, alors que le Fujian n’évolue que dans des environnements dits de “mers proches”. De plus, si la Chine souhaitait réellement exercer une pression militaire sur le Japon, elle déploierait des forces en mer de Chine orientale ou à l’est de la mer du Japon », détaille M. Lin.
Selon lui, les manœuvres de l’APL devraient rester relativement contenues en raison de la fragilité des chaînes de commandement internes et de l’impératif politique de préserver la stature du dirigeant chinois Xi Jinping.
« Le contrôle interne de l’armée chinoise est aujourd’hui instable et, à l’approche du sommet de l’Apec que Pékin doit accueillir en 2026, une surenchère militaire trop agressive risquerait de déclencher de nouvelles sanctions internationales », explique M. Lin. « Dans l’immédiat, une approche plus maîtrisée dans le détroit de Taïwan, en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale semble donc mieux servir les intérêts nationaux de la Chine. »
M. Su estime de son côté que la stratégie d’intimidation de Pékin à l’égard du Japon s’est retournée contre elle, au vu de la popularité de l’exécutif japonais : le gouvernement Takaichi bénéficie d’environ 72 % d’opinions favorables. Il interprète le relatif calme qui prévaut actuellement dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale comme une trêve de fin d’année, avant une probable montée en puissance des exercices de l’APL l’an prochain.
« La Chine a peut‑être temporairement suspendu ses exercices officiels en mer de Chine méridionale, mais elle continue d’y mener des reconnaissances rapprochées contre les bâtiments américains », souligne M. Su.
« L’année prochaine pourrait voir une série de manœuvres dans le détroit de Taïwan ou en mer de Chine méridionale, avec le Fujian comme vitrine de la présence militaire chinoise au large. En cas de conflit, il pourrait opérer dans des eaux plus lointaines – océan Indien, mer de Chine méridionale ou à l’est de Taïwan – afin de couper les chaînes d’approvisionnement de l’île. »

Les stratégies indo‑pacifiques américaines

Abordant la menace persistante des tactiques de zone grise, ces actions provocatrices non militaires qui ne constituent pas encore une déclaration de guerre, M. Lin observe que les États-Unis surveillent avec une urgence croissante les activités dans la région indo-pacifique, considérant les incidents tels que le harcèlement continu ou les attaques contre les Philippines comme un déclencheur pour réaffirmer la portée totale de leur pacte de défense avec Manille, un signal stratégique destiné à établir des lignes rouges claires pour Pékin.

Un hélicoptère de la marine chinoise vole à proximité d’un avion du Bureau philippin des pêches et des ressources aquatiques au‑dessus du récif de Scarborough, en mer de Chine méridionale, le 18 février 2025. (Ezra Acayan/Getty Images)

« En 2026, on célébrera le dixième anniversaire de la sentence arbitrale rendue en 2016 sur la mer de Chine méridionale ; il est probable que les Philippines prennent des initiatives pour consolider leurs droits maritimes, tandis que les États‑Unis continueront de soutenir leurs intérêts en mer. La Chine, de son côté, devrait éviter des actions susceptibles d’activer le traité de défense mutuelle [entre Washington et Manille] », anticipe M. Lin.
M. Su prévoit que la prochaine stratégie de sécurité nationale de l’administration Trump, attendue dans les prochains mois, désignera Pékin comme la menace prioritaire, poussant Washington à accélérer l’intégration opérationnelle de son réseau d’alliés et à encourager les partenaires régionaux à jouer un rôle plus actif dans la sécurité maritime.
« Depuis deux ou trois ans, le nombre de bâtiments américains qui traversent le détroit de Taïwan a diminué, tandis que le nombre de pays participants a augmenté : les États‑Unis réussissent ainsi à entraîner davantage d’alliés dans l’Indo‑Pacifique pour contenir Pékin et bâtir une dissuasion collective plus large », constate M. Su.
« Si Washington peut assouplir certaines mesures économiques, sa posture militaire se renforcera grâce à des projets visant à déployer des systèmes de défense aérienne dans le nord de Luzon, à fournir au Japon des missiles Tomahawk à longue portée et à multiplier les exercices conjoints avec Taïwan afin de renforcer les capacités défensives des alliés de la région indo-pacifique. »
Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.

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