Les modèles d’IA chinois, fers de lance de l’annexion de Taïwan : Les experts alertent
Ils estiment que des algorithmes conçus pour saper la confiance du public et fracturer la société posent les bases d’un pacte de paix imposé par la force à travers le détroit.
Copier le lien
Cette illustration montre l’application DeepSeek sur un téléphone mobile, devant le siège de la startup chinoise DeepSeek à Hangzhou, dans la province du Zhejiang, à l’est de la Chine, le 28 janvier 2025.
Pékin dans une stratégie de « guerre sans restriction », sous la forme d’une campagne cognitive destinée à démanteler systématiquement la stabilité sociale et la démocratie taïwanaises, dans l’objectif ultime d’imposer un nouvel ordre mondial, mettent en garde les analystes.
Selon un rapport du Bureau de la Sécurité nationale (NSB) de Taïwan, daté du 16 novembre, plusieurs modèles linguistiques d’IA issus de Chine présentent d’importantes failles de sécurité ainsi qu’un biais prononcé.
Le NSB a examiné cinq outils d’IA — DeepSeek, Doubao, Yiyan, Tongyi et Yuanbao — et presse la population d’élever son niveau de vigilance afin de protéger ses données personnelles et informations sensibles.
L’analyse met en lumière des vulnérabilités spécifiques : sollicitation des données de localisation, prise de captures d’écran, acceptation forcée de conditions de confidentialité déraisonnables et collecte systématique de paramètres des appareils.
Des risques pour les données à la déstabilisation collective
Lo Cheng-chung, professeur à l’Institut supérieur de droit des sciences et technologies de l’Université nationale des sciences et technologies de Kaohsiung, souligne que si ce type de menaces n’est pas inédit, l’adoption croissante des outils d’IA chinois par les Taïwanais permet au Parti communiste chinois (PCC) de collecter et d’analyser à une échelle inédite d’importantes quantités de données personnelles.
« Lorsque vous vous inscrivez à des fonctionnalités avancées sur une plateforme d’IA chinoise, vos données sont progressivement agrégées via l’analyse big data, ce qui offre au PCC un aperçu précis de vos préférences, de votre adresse ou encore de votre situation financière », explique M. Lo à Epoch Times.
Il prévient : puisqu’il s’agit de la principale menace à la sécurité nationale de Taïwan, ce degré d’exposition totale des données citoyennes crée un « risque global » qui pourrait octroyer à Pékin un avantage décisif en cas d’invasion.
« Imaginez un chien-robot volant qui atterrit, se transforme en humanoïde et pourchasse des personnes avec une arme automatique — ce n’est plus de la science-fiction mais une réalité technologique actuelle. La guerre moderne est intrinsèquement liée à la technologie », affirme-t-il.
« Si ces plateformes continuent de recueillir des renseignements sur la population, ces données pourraient permettre à de telles armes de cibler précisément des citoyens lors d’une invasion — un danger extrême pour Taïwan. »
Lee Chung-chih, vice-coordinateur du programme Industries stratégiques au think tank DIMEs Center (Taïwan) et ancien directeur général adjoint du Taiwan Telecom Technology Center, précise que, si les marques de matériel chinois telles que DJI ou Xiaomi font l’objet de mises en garde régulières concernant la transmission de données, les modèles d’IA représentent, eux, une menace bien plus agressive.
« Le vrai potentiel stratégique de ces outils est leur capacité à générer des effets massifs. Dès lors que le PCC récolte les données de dizaines de milliers de personnes, il peut, en théorie, les relier à des dispositifs connectés — comme surcharger les batteries d’aspirateurs Xiaomi pour provoquer des incendies simultanés à Taipei — créant une panique instantanée », déclare M. Lee à Epoch Times.
« De plus, les algorithmes peuvent vous fournir du contenu fabriqué de toutes pièces ou même imiter les notifications du gouvernement taïwanais afin de manipuler votre perception, ce qui peut finalement déclencher une subversion sociale catastrophique. »
Un homme utilise un ordinateur portable dans les bureaux de Weibo, version chinoise de Twitter, à Pékin, le 16 avril 2014. (Wang Zhao/AFP/Getty Images)
La désinformation orchestre le pacte de paix
Outre les risques sur la sécurité des données, le NSB a découvert que les contenus générés par les cinq modèles analysés comportaient de graves distorsions et contre-vérités, adoptant par exemple la position officielle du PCC selon laquelle « Taïwan est gouvernée par le pouvoir central chinois » — position qui contredit le statut démocratique et autonome de l’île.
Le contenu généré excluait également certains mots-clés comme « démocratie » ou « place Tian’anmen », prouvant l’existence d’une censure politique.
Le Bureau note en outre que ces modèles s’avèrent capables de créer rapidement des contenus diffamatoires ou de répandre des rumeurs, soulevant la crainte d’un usage en tant qu’instruments de propagande dans la guerre de l’information.
Pour M. Lee, la prolifération de telles fausses informations incarne la tactique de « guerre sans restriction » du PCC, qui utilise ces IA pour imposer à la population taïwanaise un filtre d’information favorable à Pékin, tout en poursuivant une influence rampante visant à placer Taïwan sous contrôle.
La « guerre sans restriction » désigne la stratégie du PCC consistant à utiliser des moyens non militaires — manipulation de l’information, propagande, opérations psychologiques — pour atteindre ses objectifs stratégiques, selon l’Air Force Journal of Indo-Pacific Affairs.
« En apparence, l’information générée par l’IA chinoise paraît objective, mais elle est intégralement produite par un système sous contrôle du PCC, isolant ainsi l’espace chinois dans une bulle de réalité parallèle — voilà le plus grand danger », soutient M. Lee.
Il précise que, dès que ces outils parviennent à instaurer un climat de confiance chez les utilisateurs locaux, ils peuvent ensuite amplifier une « méfiance envers les États-Unis », martelant le message selon lequel l’Amérique serait un partenaire peu fiable, afin de favoriser un tropisme pro-Chine.
La guerre de l’information menée par Pékin contre les États-Unis se perfectionne grâce à l’intelligence artificielle. Un rapport Microsoft d’avril 2024 montre la multiplication des contenus générés par l’IA chinoise pour encourager la division. (Getty Images)
« Les campagnes de messages vont submerger Taïwan, inondant la population d’assertions selon lesquelles les relations commerciales ordinaires avec les États-Unis prouveraient que nous ne serions que des pions américains, l’objectif étant d’éroder la défense psychologique du public face à la Chine », détaille M. Lee.
Selon lui, Pékin pourrait pousser la manipulation plus loin en utilisant l’IA pour produire des contenus qui louent Taïwan dans un premier temps — feignant la neutralité — avant de glisser subtilement vers des discours pro-chinois, l’objectif étant de s’emparer de l’île sans recourir à la force militaire.
« Le PCC se sert de ces outils pour fidéliser un public, puis, le moment venu, changer brutalement de discours en affirmant qu’un accord de paix avec la Chine est la seule voie de salut — plantant ainsi les graines d’une domination stratégique de Pékin », estime M. Lee.
Subversion pré‑conflit
Reprenant l’analyse de M. Lee, M. Lo s’inquiète de la stratégie du PCC visant à propager la défiance envers les États-Unis, risquant d’affaiblir la démocratie libérale taïwanaise au profit d’une « démocratie socialiste » à la chinoise.
« Ces modèles d’IA instrumentalisent leurs capacités linguistiques avancées pour piéger les utilisateurs, propageant des discours défaitistes qui prétendent qu’il est vain pour Taïwan d’investir dans l’armement — ce qui conduira inéluctablement l’île à subir le sort de Hong Kong », suggère M. Lo.
M. Lee alerte également : même si ce défaitisme ne provoque pas une reddition immédiate, Pékin pourra exploiter pleinement ces modèles pour forger un avantage stratégique avant toute offensive armée.
« L’IA peut affaiblir le pouvoir gouvernemental en nourrissant la défiance, insinuant que les communications officielles sont inexactes, dépassées, ou masquent la vérité », déplore-t-il.
Au-delà du pilonnage des institutions, le PCC pourrait utiliser ces outils pour déclencher des pénuries et provoquer l’instabilité économique.
« Des rumeurs visant à inciter la population à stocker massivement des produits de première nécessité ou relater des blocages dans les transports pourraient facilement déstabiliser la société avant même une attaque », poursuit M. Lee.
À ses yeux, une fois l’ordre social effondré, Pékin continuerait d’utiliser l’IA pour rallier des députés et partis pro-PCC, préparant l’instauration d’un gouvernement provisoire et faisant de Taïwan la première victime de l’ambition chinoise d’imposer son propre ordre mondial.
Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.