La Chine utilise la visite du roi de Thaïlande pour renforcer la répression et exporter le colonialisme numérique, selon des analystes
Pékin exploite la construction d’un chemin de fer pour créer une « force gravitationnelle de dépendance », rendant impossible pour Bangkok de refuser les demandes d’extradition.
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Une garde d’honneur se forme sur la place Tian’anmen avant la cérémonie d’accueil du roi Maha Vajiralongkorn et de la reine Suthida, à Pékin, le 14 novembre 2025.
La stratégie de la Chine visant à renforcer les liens avec la Thaïlande cherche à garantir le respect par Bangkok des opérations sécuritaires du Parti communiste chinois tout en exportant vers le royaume un modèle de « colonialisme à code source », confient des experts à Epoch Times.
Le dirigeant Xi Jinping a qualifié la relation sino-thaïlandaise d’aussi étroite que « celle d’une famille » lors de sa rencontre avec le roi Maha Vajiralongkorn le 14 novembre et a exhorté à des efforts conjoints pour promouvoir une communauté de destin partagé sino-thaïlandaise, selon un rapport publié le 14 novembre par le China Daily.
Le roi Vajiralongkorn et la reine Suthida achèvent leur visite d’État de cinq jours en Chine le 17 novembre. Ce déplacement, à l’invitation de Xi, marque le cinquantenaire des relations diplomatiques entre les deux pays et la première visite en Chine d’un monarque thaï en exercice.
Le roi a présenté les relations sino-thaïlandaises comme une coopération fraternelle et a exprimé son souhait d’intensifier les échanges dans divers domaines.
Le développement comme outil de répression
Le ministère chinois des Affaires étrangères a affirmé dans un communiqué du 14 novembre qu’il espérait approfondir la coopération avec la Thaïlande sur des projets majeurs, notamment le chemin de fer sino-thaïlandais.
Pavin Chachavalpongpun, professeur au Centre d’études sur l’Asie du Sud-Est de l’université de Kyoto, estime que l’engagement de Xi à promouvoir de grands projets d’infrastructure s’apparente à une utilisation directe de l’incitation économique comme levier stratégique.
« La Chine n’hésitera pas à menacer de ralentir les financements, de différer l’assistance technique ou de retirer ses capitaux de ce projet colossal pour faire pression sur la Thaïlande dans des dossiers non économiques et sensibles politiquement », analyse M. Pavin.
Il prévient que la contrepartie la plus claire consistera pour la Thaïlande à maintenir, voire étendre, son rôle de « hub sécuritaire docile » pour la réexpédition des opposants chinois, notamment les réfugiés ouïghours.
« La réussite continue du projet ferroviaire dépendra tacitement, sinon explicitement, de la coopération de Bangkok dans la gestion ou la remise des dissidents chinois, consolidant le rôle-frontière de la Thaïlande pour la sécurité intérieure de la Chine. »
Le roi Maha Vajiralongkorn passe en revue une garde d’honneur lors du défilé « Trooping the Colour » des Gardes royaux thaïlandais et de la cérémonie de prestation de serment pour son 72e anniversaire au palais Dusit, à Bangkok, le 3 décembre 2024. (MANAN VATSYAYANA/AFP via Getty Images)
Des opposants au régime communiste chinois et d’autres personnes ciblées par Pékin, dont les Ouïghours, ont été renvoyés de force depuis des pays tiers après avoir fui la Chine, en contournant les voies légales, selon Human Rights Watch dans un rapport du 12 novembre.
« Le gouvernement chinois a obtenu le renvoi forcé de Ouïghours sans délivrer d’ordres d’extradition ni passer par les canaux bilatéraux formels, s’appuyant à la place sur son influence politique ou financière auprès du gouvernement hôte », note le rapport.
« Les actes de répression transnationale — détentions, arrestations, extraditions — sont souvent menés en coopération avec les services de sécurité de l’État hôte. Les pays qui autorisent ces mesures enfreignent le droit international de non-refoulement. »
HRW rapporte qu’en 2014, les autorités thaïlandaises ont arrêté des centaines de Ouïghours — dont beaucoup fuyaient la répression — pour infractions à la législation migratoire et les ont détenus dans des centres.
En 2015, les autorités ont relâché environ 170 femmes et enfants ouïghours vers la Turquie mais ont renvoyé de force plus de 100 hommes en Chine. Plusieurs dizaines de Ouïghours ont ensuite été détenus indéfiniment jusqu’en février 2025, où la Thaïlande a renvoyé 40 hommes supplémentaires en Chine.
Cette image extraite d’une vidéo de Thai TV Pool, en date du 4 mai 2019, montre le roi Maha Vajiralongkorn couronné lors de sa cérémonie de couronnement à Bangkok. (THAI TV POOL/AFP via Getty Images)
La Thaïlande « a facilité la répression transnationale menée par des voisins ouvertement autoritaires comme la Chine », devenant le centre régional de la répression transnationale selon un commentaire publié en octobre par le think tank new-yorkais Council on Foreign Relations.
Prem Singh Gill, expert de la Royal Asiatic Society et membre du Parti populaire thaïlandais, décrit l’accord ferroviaire comme un calcul brutal, chaque milliard de dollars d’investissement chinois « augmentant le prix du refus des demandes d’extradition » et érodant l’autorité morale thaïlandaise.
« L’approche chinoise consiste à ne jamais formuler d’échange explicite ; elle crée une dépendance si forte que le gouvernement thaï comprend instinctivement ce que Pékin attend quand le prochain réfugié ouïghour arrive à Bangkok. »
« Le chemin de fer devient un rappel permanent : s’opposer à la Chine, c’est mettre en péril ses ambitions de développement. »
Renforcement des stratégies
L’agence officielle Xinhua a rapporté que Xi s’est dit prêt à « renforcer la synergie des stratégies » avec la Thaïlande afin d’optimiser les bénéfices tirés de la coopération bilatérale.
En disant adieu au langage diplomatique, M. Gill y voit une demande sans détours : « Laissez-nous traquer nos ressortissants sur votre territoire », autrement dit, Pékin veut faire de la Thaïlande une antenne locale des opérations sécuritaires chinoises.
« Cela commence par le partage d’informations. La police thaïlandaise transmet des données sur les ressortissants chinois. Puis, à la prochaine étape : coopération opérationnelle, où les agents chinois ne se contentent plus de recevoir des renseignements mais interviennent en personne pour surveiller, interroger et finalement exfiltrer leurs cibles. »
M. Gill observe : « La Thaïlande s’est imposée comme partenaire régional le plus fiable pour faire disparaître des personnes gênantes, et Pékin veut institutionnaliser et élargir cet arrangement ; il s’agit d’une évolution logique de ce que signifie vraiment “renforcer la synergie des stratégies”. »
« Imaginez des agents chinois présents dans les bureaux de l’immigration thaïlandaise, accédant en temps réel aux bases de données et identifiant automatiquement les suspects. Pensez à des opérations conjointes, où la police thaï fournit la couverture légale et les agents chinois l’expertise coercitive. Ce n’est plus de la paranoïa. »
M. Pavin, lui aussi, met en garde : « L’appel à renforcer la synergie des stratégies est porteur de risque, car au-delà du traque des dissidents, cela fournirait à Bangkok une justification pour intensifier la répression de ses propres contestataires. »
Selon lui, en s’alignant sur Pékin, Bangkok gagne en légitimité pour accentuer les poursuites contre les militants pro-démocratie ou les personnes accusées de lèse-majesté.
« Les autorités thaïes pourront alors justifier en interne la surveillance et les sanctions judiciaires en invoquant un impératif sécuritaire bilatéral, normalisant ainsi la pratique autoritaire sous prétexte d’agenda géopolitique. »
Exportation de l’autoritarisme numérique
Xi veut aussi renforcer la collaboration avec la Thaïlande dans les secteurs en émergence tels que l’intelligence artificielle et l’économie numérique, affirme Xinhua.
Punchada Sirivunnabood, doyenne et professeure à l’université Mahidol, préconise la prudence, soulignant que l’IA est une priorité stratégique thaïlandaise : « Les Thaï achètent beaucoup de produits technologiques chinois et cela peut donner à Pékin accès aux données nationales, ce qui inquiète. Le gouvernement Thaïlandais pourrait mettre en place des règlements pour limiter leur impact sur la sécurité. »
M. Gill analyse cette coopération sur un ton plus sombre, l’assimilant à un « colonialisme numérique », destiné à installer des mécanismes de contrôle à distance.
« Chaque centre de données traitant des informations thaïlandaises via une infrastructure chinoise devient une porte d’entrée pour l’espionnage. La Thaïlande pense moderniser son économie, mais elle devient un laboratoire pour la technologie autoritaire conçue pour servir Pékin, pas Bangkok. »
M. Gill prédit une érosion progressive de la souveraineté thaïlandaise, à mesure que la dépendance vis-à-vis de l’expertise technique chinoise s’étend, d’abord dans les smart cities, puis aux aéroports, ports, frontières, jusqu’à chaque espace public.
« Bientôt, la Thaïlande ne pourra plus assurer son propre contrôle territoriale sans la coopération chinoise, car Pékin aura construit toute l’architecture. Refuser les exigences sécuritaires chinoises deviendra alors une impossibilité technique. »
Le siège social de Hikvision à Hangzhou, province du Zhejiang, photographié le 22 mai 2019. (STR/AFP via Getty Images)
Dans ce même esprit, M. Pavin souligne que la proposition de Xi sur l’IA et l’économie numérique vise à exporter le modèle autoritaire chinois via des géants de la surveillance tels que Huawei ou Hikvision, permettant à Bangkok d’éluder les critiques tout en abîmant sérieusement sa réputation internationale.
« En adoptant l’architecture numérique chinoise, la Thaïlande pourra ignorer les condamnations des démocraties et compromettre durablement son image mondiale en s’alignant sur un système répressif, technologiquement avancé », conclut M. Pavin.
Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.