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Prudence et art : discerner la juste voie

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Détail de « L’Allégorie de la Prudence », 1645, par Simon Vouet. Huile sur toile, 116,5 x 90,5 cm. Musée Fabre, Montpellier. Les artistes représentaient souvent les quatre vertus cardinales — prudence, justice, force et tempérance — afin d’inspirer le spectateur.

Photo: Domaine public

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Durée de lecture: 19 Min.

Nous utilisons ici l’art traditionnel pour présenter chacune des quatre vertus cardinales : prudence, justice, force et tempérance, ainsi que les trois vertus théologales : foi, espérance et charité. L’objectif est simple : montrer comment la force évocatrice de ces œuvres d’art historiques peut nourrir aujourd’hui encore notre aspiration au bien.
Depuis des temps immémoriaux, les grandes figures politiques, religieuses, philosophiques et littéraires n’ont cessé d’inviter l’humanité à vivre selon la vertu. Les artistes et les architectes, eux aussi, ont endossé ce rôle, en développant un langage visuel fait de symboles et de motifs séculaires. Leurs œuvres demeurent des guides moraux capables de nous aider à devenir la meilleure version de nous-mêmes.
Le terme « vertu » apparaît pour la première fois au XIIᵉ siècle. D’après l’Online Etymology Dictionary, il provient du mot anglo-français et ancien français vertu, désignant « une vie morale et une conduite exemplaire […] une excellence morale particulière ». Deux siècles plus tard, au début du XIVᵉ siècle, l’expression « vertus cardinales » s’impose pour désigner les quatre vertus classiques : prudence, justice, force et tempérance. Le mot « cardinal » plonge ses racines dans le latin cardo, qui signifie « pivot » ou « ce sur quoi tout repose et dépend ». La vie morale repose ainsi sur ces vertus cardinales, que l’on appelle parfois vertus naturelles.
La prudence
La vertu de prudence figure jusque dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis :
« La prudence veut en effet que les gouvernements solidement établis ne soient pas renversés pour des causes légères et passagères ; et, de fait, l’expérience a montré que les hommes sont plus enclins à souffrir tant que les maux sont supportables qu’à se rendre justice en abolissant les formes auxquelles ils sont accoutumés. »
En d’autres termes, la prudence consiste à discerner le bien du mal et à choisir la juste ligne de conduite. Comme le rappelle le Bill of Rights Institute, « les dirigeants prudents s’appuient sur des principes qui les aident à prendre, dans les circonstances difficiles, des décisions à la fois pratiques, avisées et orientées vers le bien commun ».

L’Allégorie de la Prudence, 1645, par Simon Vouet. Huile sur toile, 116,5 x 90,5 cm. Musée Fabre, Montpellier. Les artistes recouraient fréquemment à l’allégorie des quatre vertus cardinales — Prudence, Justice, Force et Tempérance — pour édifier et instruire le public. (Domaine public)

L’exercice de la prudence
La prudence s’acquiert avec l’expérience et la pratique, et elle chemine toujours aux côtés des autres vertus. Ainsi, dans le Livre des Proverbes (8, 12-14), on peut lire : « Moi, la Sagesse, j’habite avec la Prudence. »
Le poète anglo-irlandais John Denham (1615-1669) écrivait, dans son poème Of Prudence :
La première démarche de la sagesse est de discerner
Ce qui est décent ou indécent, ce qui est vrai ou faux.
Est vraiment prudent celui qui sait séparer
L’honnête du vil, et s’y tenir fermement.
La prudence sculptée
Le céramiste florentin Andrea della Robbia (1435-1525) avait réalisé vers 1475 un médaillon circulaire en terre cuite émaillée représentant la Prudence. Depuis l’Antiquité, le cercle est symbole d’éternité, et cette composition circulaire, appelée tondo, était particulièrement prisée dans la Florence de la Renaissance. Ce médaillon faisait partie d’un ensemble décoratif consacré aux quatre vertus, comprenant également la Foi, la Justice et la Tempérance.
Chaque élément façonné par Andrea della Robbia dans cette allégorie est porteur de sens. Il représente la Prudence sous les traits d’une jeune femme tenant un miroir à la main, tandis qu’un serpent s’élève le long de son corps pour contempler son propre reflet. La figure est « janiforme » : elle possède deux visages, l’un tourné vers l’avenir, l’autre vers le passé. L’arrière de sa tête arbore ainsi le visage d’un vieil homme. La jeunesse de la Prudence incarne le présent, tandis que ce profil âgé symbolise le savoir et l’expérience accumulés au fil du temps, sources de sagesse.

La Prudence, vers 1475, par Andrea della Robbia. Terre cuite émaillée, 164,5 cm. Legs Joseph Pulitzer, 1921 ; Metropolitan Museum of Art, New York. (Domaine public)

La Prudence nous invite à nous tourner sans réserve vers nous-mêmes afin de parvenir à une véritable connaissance intérieure. Le miroir qu’elle tient incarne cette introspection. Quant au serpent, il symbolise la sagesse nécessaire à la prudence et à l’action juste. Ce motif renvoie à l’injonction biblique : « Soyez donc prudents comme les serpents » (Matthieu 10,16).
Andrea della Robbia a par ailleurs parsemé de symboles la guirlande qui encadre la figure de la Prudence — un motif récurrent dans ses œuvres. Selon le Victoria & Albert Museum de Londres, le citron représente le salut, tandis que les grappes de raisin et les concombres évoquent la résurrection. Les coings et les pommes de pin, eux, symbolisent la vertu et l’immortalité.
Ces symboles puisent leurs racines dans une longue tradition. Ainsi, Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.) admirait la capacité du cognassier à se régénérer à partir de simples boutures, d’où son association à l’immortalité. Les grappes de raisin rappellent le vin partagé par le Christ lors de la Cène. Quant au citronnier, il prospère en plein soleil. Ajoutées aux vertus curatives de son fruit — notamment son usage ancien comme antidote contre le poison — ces caractéristiques ont fait du citron l’emblème du salut.
Le style de la Prudence d’Andrea della Robbia fait écho à celui de la même vertu cardinale représentée par son oncle, Luca della Robbia (vers 1400-1482), aux alentours de 1461, pour orner le plafond de la chapelle du cardinal du Portugal, dans l’église San Miniato al Monte, à Florence.
La Prudence de Luca reprend les mêmes motifs classiques que celle de son neveu, mais avec une particularité : elle est dotée d’ailes angéliques. Autre différence, la figure de Luca semble se mouvoir dans une eau en ondulation, tandis que celle d’Andrea apparaît immobile dans les flots. L’eau, dans les deux cas, peut être interprétée comme un symbole de pureté et de purification, mais aussi d’introspection, en raison de son pouvoir réfléchissant, semblable à celui du miroir tenu par la Prudence.

La Prudence, vers 1461-1462, par Luca della Robbia. Chapelle du cardinal du Portugal, église San Miniato al Monte, Florence, Italie. (Photo originale de Zairon, recadrée par The Epoch Times / CC BY 4.0 International.)

Plafond de la chapelle du cardinal du Portugal, église San Miniato al Monte, Florence, Italie. Luca della Robbia y réalisa le médaillon sculpté de La Prudence (à gauche). (Crédit photo Zairon / CC BY 4.0 International.)

La prudence tissée
Une splendide allégorie de La Prudence se déploie au Musée de la tapisserie, dans le palais royal de La Granja de San Ildefonso, en Espagne. Elle appartient à la série des tapisseries intitulée Les Honneurs, qui réunit neuf panneaux allégoriques : La Fortune, La Prudence, La Sagesse, La Justice, Le Vice, La Renommée, L’Honneur, La Foi et La Noblesse. L’ensemble illustre à la fois les qualités morales nécessaires pour gouverner et les enseignements visant à mettre en garde contre les dangers du vice.
Ce cycle monumental fut créé par l’un des plus grands artistes flamands de son temps, Pieter Coecke van Aelst (1502-1550), à l’occasion du couronnement de Charles Quint comme empereur du Saint-Empire romain germanique, en 1520. Dans cette œuvre, PieterCoecke van Aelst mêle habilement motifs classiques et références religieuses pour incarner la droiture de la conduite et l’élévation du caractère.

Les Honneurs : la Prudence, vers 1550, par Pieter van Aelst, probablement d’après le cercle de Bernard van Orley et Jan Gossaert. Tapisserie en or, argent, soie et laine ; 490 cm x 820 cm. Musée de la tapisserie, Palais royal de La Granja de San Ildefonso, Espagne.(Crédit photo Paul M. R. Maeyaer / CC BY-SA 4.0)

Pieter Coecke van Aelst a chargé ses panneaux d’une richesse de sens remarquable. La scène allégorique de la Prudence prend place dans un décor théâtral. Au centre, trône la figure de la Prudence. Un serpent s’enroule autour de sa main, symbole de la sagesse nécessaire au débat qu’elle engage avec la Foi et la Raison, placées de part et d’autre. Ce serpent renvoie, une fois encore, à l’exhortation biblique : « Soyez donc prudents comme les serpents », déjà présente dans La Prudence d’Andrea della Robbia.
La Raison tient trois miroirs, incarnant respectivement la mémoire (le passé), l’intelligence (le présent) et la providence (l’avenir) — autant de dimensions constitutives de la vertu de Prudence. Une inscription gravée sur le dais du trône vient renforcer cette symbolique et résume les attributs essentiels de la Prudence : « Preterita recolo, presentia ordino, futura prevideo » (« Je rassemble le passé, j’ordonne le présent, je prévois l’avenir »).

Détail de Les Honneurs : la Prudence, vers 1550, par Pieter van Aelst, probablement d’après le cercle de Bernard van Orley et Jan Gossaert. Ce détail montre la Prudence trônant, encadrée par la Foi et la Raison. Tapisserie en or, argent, soie et laine. Musée de la tapisserie, Palais royal de La Granja de San Ildefonso, Espagne. (Crédit photo PMRMaeyaert / CC BY-SA 4.0)

La Prudence incarne de nombreuses qualités : l’intelligence, la précaution, la circonspection, l’esprit, la providence, la docilité et la mémoire. Ces sept vertus apparaissent sous forme de personnages richement vêtus, placés au pied de la scène. Chacun tient un objet emblématique de son identité. Ainsi, la Précaution porte un miroir convexe dans lequel se reflète l’image d’un renard et une cape monastique — allusion probable aux célèbres récits moraux médiévaux de Renart le Goupil, où l’animal rusé dupait ses semblables.
La prudence peinte
Vers 1550, le peintre vénitien Titien (1488-1576) a réalisé une énigmatique allégorie de la Prudence, choisissant cette fois des motifs très différents de ceux employés par ses prédécesseurs.
Sur la toile, il a représenté trois bustes masculins. Au centre, un homme barbu d’âge mûr est encadré par un vieillard barbu et par un jeune homme imberbe, dont les regards s’échappent au-delà des limites du tableau. Sous cette première triade, Titien en peignit une seconde, animale cette fois : une tête de loup, une de lion et une de chien.
Une inscription latine, placée au-dessus des trois figures humaines, éclaire le sens de cette œuvre : « Fort de l’expérience d’hier, l’homme agit aujourd’hui avec prudence, afin que ses actes ne compromettent pas le lendemain. »

Allégorie de la Prudence, vers 1550, par Titien. Huile sur toile, 75,5 x 68,5 cm. National Gallery, Londres. (Domaine public)

Les trois figures humaines peintes par Titien renvoient aux âges de la vie : la jeunesse, l’âge adulte et la vieillesse. Elles se rapportent aussi, par l’inscription qui les surplombe, aux trois dimensions du temps : « hier » pour la jeunesse, « aujourd’hui » pour l’âge mûr, et « demain » pour la vieillesse.
Titien connaissait sans doute les représentations anciennes de la Prudence, telle qu’un petit buste de marbre du milieu du XIVᵉ siècle figurant trois visages réunis sur une seule tête. Le Metropolitan Museum of Art de New York y voit un rare exemple de Vultus Trifrons, ou Allégorie de la Prudence. Aux XVe et XVIIe siècles, plusieurs artistes catholiques ont sculpté ce Vultus Trifrons afin de symboliser la Sainte Trinité.
Dans son mémoire de fin d’études à l’université de Portland, l’étudiante Zoe Goedecke rappelle toutefois que ces représentations tricéphales ont suscité très tôt des critiques. Elle cite notamment saint Antonin de Florence qui, dans sa Summa Theologica (XVe siècle), écrivait : « Les peintres se rendent coupables lorsqu’ils représentent des choses contraires à la foi, lorsqu’ils peignent la Trinité comme une seule personne à trois têtes, ce qui est monstrueux par nature. »
Ces œuvres ont d’ailleurs été condamnées puis, pour la plupart, détruites, d’abord à la suite du concile de Trente (1545-1563), puis sur ordre du pape Urbain VIII, en 1628.

Vultus Trifrons ou Allégorie de la Prudence, vers 1340-1355, par Pacio Bertini da Firenze et Giovanni Bertini da Firenze, ou un autre disciple de Tino da Camaino. Marbre de Carrare, 22,5 x 12,5 cm. Collection Robert Lehman, 1975 ; Metropolitan Museum of Art, New York. (Domaine public)

En tant qu’allégorie, les trois visages sculptés traduisent les trois dispositions propres à la Prudence : la mémoire, l’intelligence et la providence, qui renvoient respectivement au passé, au présent et à l’avenir. Ils s’associent également aux âges de la vie — un thème fréquent à l’époque — et aux étapes du passage de la jeunesse à l’âge adulte, puis à la vieillesse. Comme le souligne le site du Metropolitan Museum of Art, « l’union des notions de vertu et de cycle de vie humain coïncide avec une compréhension plus nuancée de la nature humaine, ainsi qu’avec une attention accrue portée à l’individu ».
Les spécialistes estiment que la créature tricéphale — loup, lion et chien — peinte par Titien trouve mention dans l’ouvrage Hieroglyphica publié en 1556 par le Vénitien Giovanni Pierio Valeriano. Cette figure remonterait à une statue hellénistique du dieu Sérapis dans un temple égyptien. Selon la National Gallery de Londres, elle incarne le Temps : « le loup vorace, représentant le passé qui dévore la mémoire de toute chose ; le lion vigoureux, symbole du présent ; et le chien, incarnation de l’avenir, bondissant sans cesse, animé d’un espoir trompeur. »
Le tableau du Titien suggère que la sagesse présente — symbolisée par l’âge adulte et le lion — ne peut naître que des connaissances et de l’expérience acquises dans le passé — figurées par la jeunesse et le loup. De cette sagesse découle la prévoyance, incarnée par la vieillesse et le chien. Ensemble, sagesse et prévoyance rendent possible l’action véritablement prudente.
Toutes ces représentations artistiques de la Prudence insistent sur l’importance de l’introspection : s’appuyer sur ses expériences passées et sur son savoir pour évaluer avec discernement chaque situation avant d’agir. Cette action peut parfois s’avérer ardue, mais l’homme prudent sait que c’est la sagesse, éclairée par la foi et la raison, qui conduit aux décisions les plus justes.
(Les citations bibliques sont issues de la version King James.)
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Lorraine Ferrier écrit sur les beaux-arts et l'artisanat pour Epoch Times. Elle s'intéresse aux artistes et aux artisans, principalement d'Amérique du Nord et d'Europe, qui imprègnent leurs œuvres de beauté et de valeurs traditionnelles. Elle accorde une attention particulière à l'art et à l'artisanat rares et méconnus, dans l'espoir que nous puissions préserver notre patrimoine artistique traditionnel. Elle vit et écrit dans la banlieue de Londres, en Angleterre.

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