Panier de Muguet impérial, 1896, par la Maison Fabergé (artisan August Wilhelm Holmström). Or jaune et vert, argent, néphrite, perle et diamant taille rose ; 19,5 cm x 21,5 cm x 14,5 cm. Fondation Matilda Geddings Gray.
Lorsque Charles Hanson, commissaire-priseur et expert en antiquités, est parti travailler à l’été 2018, il était loin de se douter qu’il tomberait sur la trouvaille de sa vie.
C’est dans son bureau de Hampton Court, dans le sud-ouest de Londres, qu’une dame fortunée lui a tendu une boîte en carton contenant deux ornements floraux en pierre dure : une branche d’épine-vinette et une vigne de liseron (ipomée). « À l’intérieur, enveloppé dans un vieux torchon, se trouvait le Saint Graal de ce qu’un commissaire-priseur ne peut espérer que dans ses rêves les plus fous : non pas une, mais deux fleurs de Fabergé », avait dit M. Hanson dans un communiqué de presse. « L’ampleur de telles trouvailles ne doit pas être sous-estimée. De telles œuvres sont les plus rares du savoir-faire de la maison de Fabergé et sont très spéciales. »
Ce qui rendait ces fleurs de Fabergé particulièrement rares, c’est qu’elles étaient inconnues des spécialistes. Seules environ 80 études botaniques de Fabergé ont survécu aujourd’hui, et la plupart sont bien documentées.
La dame savait que Fabergé avait réalisé ces fleurs, mais elle n’avait pas vraiment conscience de leur rareté. Elle les avait héritées de son père, qui, dans les années 1960, avait accepté une maison de campagne et trois objets Fabergé en guise de compensation pour des travaux effectués dans une propriété écossaise. Elle avait conservé les ornements floraux, non assurés, exposés chez elle.
Bien que les deux fleurs étaient légèrement endommagées et n’avaient pas été restaurées, la vigne de liseron a été adjugée à 160.000 livres (environ 166.000 euros) et la branche d’épine-vinette 170.000 livres (environ 197.000 euros) dans la salle des ventes londonienne de Hanson, le 11 juin 2018.
Création de joyaux botaniques
Le livre de Marilyn Pfeifer Swezey, Fabergé Flowers (Fleurs Fabergé), retrace l’histoire de ces études botaniques, avec une section complète sur leur création.
Fabergé a commencé à produire des fleurs en émail vers 1890. Ses créations florales en pierre dure sont apparues plus tard, inspirées par un bouquet de chrysanthèmes en pierre dure provenant du palais de l’empereur chinois, qu’elle avait été chargée de réparer. Un artisan de la maison Fabergé, qui réparait les chrysanthèmes, a compris comment l’entreprise pouvait créer des fleurs en pierre dure similaires.
Les artistes de Fabergé ont étudié des spécimens de plantes vivantes et des illustrations d’encyclopédies botaniques avant de concevoir les fleurs. Peter Carl Gustavovich Fabergé et son équipe ont choisi les motifs floraux à reproduire. L’équipe d’artisans expérimentés a supervisé chaque étape du processus, M. Fabergé et son designer approuvant même les matières premières, souvent issues de l’Oural, avant qu’elles ne soient envoyées au maître orfèvre finlandais Henrik Wigstrom pour validation.
M. Wigstrom supervisait le processus créatif du début à la fin. Sa petite équipe d’experts a tout d’abord élaboré le processus technique de transformation des motifs bidimensionnels en objets. Cela impliquait non seulement la sélection des métaux précieux et des pierres précieuses pour refléter au mieux les fruits et les fleurs, mais aussi la définition des techniques et du processus d’assemblage de chaque pièce.
Des fleurs blanches comme les narcisses, les lilas blancs et les jacinthes étaient sculptées dans du quartz blanc, tandis que des fleurs colorées comme les pois de senteur étaient façonnées en agate, quartz et cornaline. Des fleurs ou des baies rouges comme les cœurs-saignants ou les framboises étaient sculptées dans de la rhodonite de l’Oural.
Étude florale d’une canneberge naine ou d’une airelle rouge, vers 1885-1915, par la Maison Fabergé. Calcédoine, néphrite, cristal de roche et or ; 11,5 cm x 4,5 cm. (Collection India Early Minshall, Musée d’art de Cleveland. Domaine public)
Les artisans ont sculpté les feuilles dans du jade néphrite de Sibérie et les ont finement gravées de chaque côté pour imiter les nervures. Selon l’ouvrage Fabergé Flowers : « C’était un véritable défi pour l’artisan de sculpter une feuille extrêmement fine en néphrite, parfois avec des bords striés, et souvent avec des veines naturelles et même des boucles de feuillage torsadées. » La maison Fabergé privilégiait les rochers de néphrite près du lac Baïkal en Sibérie et les hauts plateaux de Saïan, à l’est des monts Altaï, à la frontière avec la Mongolie.
Les artisans disposaient souvent les fleurs dans des vases en cristal de roche, sculptant habilement le cristal de roche dépourvu de tout défaut pour qu’il ressemble à un vase rempli d’eau.
L’atelier de M. Wigstrom créait les pièces métalliques et assemblait les fleurs. Différents alliages d’or étaient utilisés pour les tiges de fleurs de différentes couleurs : l’or allié au cuivre donnait des tiges rouge-brun, et l’or allié à l’argent des tiges vertes.
Les orfèvres gaufraient et gravaient le métal pour reproduire la texture naturelle de la tige. Ils soudaient des épines ou des branches aux tiges, et fixaient les feuilles sur celles-ci soit avec des épingles en or, soit en les insérant dans des poches spéciales pratiquées dans les tiges et en les collant.
Les capitules, composés de plusieurs pièces individuelles, étaient soigneusement cousus ensemble avec du fil d’or fin. Si la pierre dure ou le métal précieux ne parvenait pas à reproduire la couleur d’une fleur, un émailleur de Fabergé la reproduisait.
Étude florale d’une pensée, vers 1885-1915, par la Maison Fabergé. Or, néphrite, émail et cristal de roche ; 11,5 cm x 4,5 cm. Collection India Early Minshall, Cleveland Museum of Art. Si les artistes Fabergé ne trouvaient pas de pierre naturelle assortie à une fleur, ils en créaient une version en émail, comme cette pensée. (Domaine public)
L’équipe de M. Wigstrom sertissait ensuite des pierres précieuses sur les pistils ou au cœur des fleurs. Il s’agissait souvent de minuscules diamants taille rose ou de grenats démantoïdes verts du Moyen-Oural, dotés d’un indice de réfraction élevé, supérieur même à celui du diamant, produisant un effet de rosée éblouissant.
Étude florale d’une rose sauvage, vers 1885-1915, par la Maison Fabergé. Or, argent, émail, diamant, néphrite et cristal de roche ; 10 cm x 4,4 cm. Collection India Early Minshall, Cleveland Museum of Art. (Domaine public)
Étude florale d’une anémone, vers 1905-1915, par la Maison Fabergé (maître d’œuvre Henrik Wigstrom). Pierre blanche mate, or, saphirs, néphrite et cristal de roche ; 14,5 cm x 4,9 cm. Collection India Early Minshall, Musée d’art de Cleveland. (Domaine public)
La maison Fabergé a même inclus des éléments végétaux réels dans certaines études florales. Les fleur de pissenlit très prisées de la maison contenaient des structures duveteuses, appelées « pappus », maintenues en place par un fil d’or et serties de diamants bruts. Franz P. Birbaum, maître artisan principal de Fabergé, a écrit dans ses mémoires de 1919 que « les points brillants du diamant parmi le duvet blanc étaient merveilleusement réussis et empêchaient cette fleur artificielle d’être une reproduction trop fidèle de la nature. »
Un favori de Fabergé
La maison Fabergé a le plus souvent utilisé le motif du muguet. Selon les herbiers de l’Université d’Oxford (les collections botaniques de l’université), le muguet poussait là où les larmes de la Vierge Marie tombaient au sol lors de la crucifixion du Christ. Traditionnellement, ces minuscules fleurs sont disposées dans les bouquets de mariage et les boutonnières pour symboliser le retour du bonheur.
À l’époque de Fabergé, les dames appréciaient son doux parfum, et les riches Russes importaient souvent des fleurs par train depuis le sud de la France.
Le muguet était également la fleur préférée d’Alexandra Feodorovna (épouse du tsar Nicolas II, dernier empereur de Russie), l’une des plus grandes mécènes de la maison Fabergé. Elle adorait les études botaniques de Fabergé, les offrant souvent à ses amis ou s’entourant elle-même des ornements dans son palais d’hiver.
Deux magnifiques exemples d’études de Fabergé sur le muguet sont exposés au Cleveland Museum of Art. L’une montre un muguet miniature avec ses boutons de perles étroitement fermés et une tige d’or lisse. L’autre étude est plus détaillée. Elle présente une tige d’or texturée et ses boutons sont ouverts : une couronne en argent festonné, sertie de diamants, est fixée à chaque perle. Cela crée les fleurs en forme de cloche caractéristiques du muguet. Ces motifs floraux ont été reproduits dans toutes les collections de Fabergé.
Étude florale d’un muguet miniature, vers 1885-1915, par la Maison Fabergé. Perles, néphrite, cristal de roche, or et diamants ; 5,1 cm x 2,2 cm. Collection India Early Minshall, Cleveland Museum of Art. (Domaine public)
Étude florale d’un muguet, vers 1885-1915, par la Maison Fabergé. Perles, diamants, néphrite, cristal de roche, argent et or ; 12,7 cm x 3,2 cm. Collection India Early Minshall, Musée d’art de Cleveland. (Domaine public)
Selon le Metropolitan Museum of Art de New York, « la pièce Fabergé la plus importante aux États-Unis » est le panier impérial de muguet conservé au musée, prêté par la Fondation Matilda Geddings Gray. Dans ses mémoires de 1919, M. Birbaum décrit ce panier composé de 19 tiges de muguet : « Tissé de brindilles d’or et garni de mousse d’or multicolore, les feuilles étaient en néphrite et les fleurs en perles entières festonnées de diamants taille rose. » En 1896, des artisans ont offert le panier à la tsarine Alexandra lors de sa visite à la Conférence industrielle et à l’exposition d’art de toute la Russie à Nijni Novgorod.
Panier de Muguet impérial, 1896, par la Maison Fabergé (artisan August Wilhelm Holmström). Or jaune et vert, argent, néphrite, perle et diamant taille rose ; 19,5 cm x 21,5 cm x 14,5 cm. Fondation Matilda Geddings Gray. (Domaine public)
En 1898, Nicolas II a offert à son épouse l’œuf Muguet. Il reflète le style Art nouveau inspiré de la nature, qui privilégiait les courbes, les formes fluides et les délicates vrilles. Des feuilles de néphrite sculptées s’inscrivent dans la courbe de l’œuf, et des tiges florales en or soutiennent une grappe de minuscules fleurs de lys faites de perles. Comme tous les œufs Fabergé, il recèle une surprise : trois cadres photo ovales surgissent de l’intérieur. Une photo de Nicolas II apparaît dans le plus grand cadre, tandis que ses filles, les grandes-duchesses Olga et Tatiana, occupent les deux plus petits cadres situés en dessous.
Œuf Muguets, 1898, par la Maison Fabergé (maître d’œuvre Mikhaïl Perkhin et miniatures de Johannes Zehngraf). Émail, or, rubis, perles et diamants ; 15 cm de hauteur. Portraits du tsar Nicolas II et de ses filles, les grandes-duchesses Olga et Tatiana. (Yuri Kadobnov /AFP via Getty Images)
Chaque étude botanique de Fabergé incarne le summum de l’artisanat d’art, symbolisant à la fois le luxe et l’abondance des richesses minérales naturelles de la Russie. Fabergé a réalisé des compositions exquises de fruits et de fleurs qui semblent tout juste cueillis dans un jardin et délicatement disposés dans un vase – seul l’éclat discret de diamants ou de grenats trahit leur nature artificielle.
Lorraine Ferrier écrit sur les beaux-arts et l'artisanat pour Epoch Times. Elle s'intéresse aux artistes et aux artisans, principalement d'Amérique du Nord et d'Europe, qui imprègnent leurs œuvres de beauté et de valeurs traditionnelles. Elle accorde une attention particulière à l'art et à l'artisanat rares et méconnus, dans l'espoir que nous puissions préserver notre patrimoine artistique traditionnel. Elle vit et écrit dans la banlieue de Londres, en Angleterre.