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Le nouveau code d’identification sur Internet en Chine : censurer la négativité, faire taire la dissidence

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Une partie de l’armée de trolls du Parti communiste chinois sur Internet, photographiée lors d’une fuite, à Fangzheng (Harbin), Chine.

Photo: Epoch Times

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Durée de lecture: 9 Min.

En septembre, l’Administration du cyberespace de Chine (CAC) a lancé une campagne de deux mois intitulée « Nettoyer et éclairer, rectifier l’incitation malveillante aux émotions négatives ». Cette initiative étend la censure bien au-delà de la simple dissidence politique ou des sujets historiques sensibles : elle s’attaque désormais à ce que les autorités qualifient de négativité, de pessimisme et d’attitudes nihilistes en ligne.
La CAC affirme que le but est de « rectifier les émotions négatives » et de favoriser un Internet « plus civilisé et rationnel ».
La campagne vise toutes les publications qui dramatisent les problèmes sociaux, propagent le désespoir ou encouragent l’auto-dépréciation, notamment à travers des comportements ou des tendances comme « rester allongé ». Les messages promouvant le « dégout du monde » ou des slogans défaitistes comme « étudier ne sert à rien » ou « travailler ne sert à rien » sont également prohibés.
L’administration a mis en avant quatre catégories principales sur l’ensemble des réseaux sociaux, plateformes de vidéos courtes et de streaming : l’incitation à l’antagonisme de groupe, la propagation de la panique à travers de fausses catastrophes ou rumeurs économiques, la promotion de la violence par des vidéos factices ou des images choquantes, ainsi que l’amplification du pessimisme via des messages défaitistes.
Cette offensive intervient alors que la Chine est confrontée à une faible confiance des consommateurs, un chômage des jeunes élevé et un ralentissement de la croissance dans l’industrie comme dans la vente au détail. Plusieurs grandes plateformes telles que Weibo, Kuaishou ou Xiaohongshu ont déjà été sanctionnées pour ne pas avoir suffisamment restreint des contenus jugés « nocifs », qu’il s’agisse de rumeurs de célébrités ou de slogans comme « l’effort est vain ».
Les médias d’État ont salué cette campagne comme un levier indispensable pour préserver l’ordre public et la confiance sociale. Certains influenceurs ont également été visés : le célèbre tuteur Zhang Xuefeng a vu ses comptes limités et le créateur de contenus Hu Chenfeng a vu ses publications effacées après des propos viraux sur l’inégalité.
Le Parti communiste chinois (PCC) pense peut-être tout contrôler en Chine, mais il ne contrôle pas les émotions. Contrairement à d’autres campagnes de propagande qui peignent le monde extérieur de façon négative, la stratégie actuelle vise à convaincre la population que leur quotidien ne se détériore pas — pari difficile. Les jeunes, surtout, sont douloureusement conscients de leur impossibilité à trouver un emploi, acheter un logement ou se marier à cause de salaires bas et de perspectives bouchées. La coercition de Pékin ne saurait inverser ce pessimisme justifié.
La jeunesse chinoise, tellement désabusée, invente ses propres mécanismes de défense, du phénomène des « rats de cave » à celui des « enfants à temps plein », ou encore la culture du « faire semblant de travailler ». Si la censure réussit à traquer ces expressions, elle ne peut empêcher que les jeunes s’en emparent ou les vivent.
De plus, les jeunes internautes chinois sont ingénieux. Ils ont déjà imaginé des noms de code et des emojis pour remplacer les termes censurés, ce qui leur permet de poursuivre leurs conversations en ligne sans être détectés.

Des hommes jouent à l’ordinateur dans un cybercafé à Pékin, 16 décembre 2015. (Greg Baker/AFP via Getty Images)

Juste avant le lancement de cette campagne anti-pessimisme, le PCC a instauré un nouveau système d’identification numérique de l’Internet, une mesure qui menace directement l’anonymat et la liberté d’expression. Mis au point par le ministère de la Sécurité publique et l’Administration du cyberespace, ce programme exige l’enregistrement via une application nationale, en utilisant la carte d’identité et la reconnaissance faciale.
Chaque internaute se voit attribuer un « code internet » et un « certificat internet » permettant d’accéder à des services sans avoir à ressaisir ses données personnelles à chaque fois. Au lieu de soumettre ses informations sur chaque application ou site, il devient possible de s’identifier partout en ligne via ce passeport numérique centralisé.
Les autorités présentent cette mesure comme « volontaire » et affirment qu’elle servira à renforcer la sécurité, protéger les données personnelles et stimuler l’économie numérique. Mais son adoption par les principales plateformes comme WeChat laisse présager qu’elle deviendra rapidement incontournable.
Pourtant, beaucoup d’observateurs soulignent que le caractère « volontaire » de la mesure ne dure jamais longtemps en Chine : nombre de politiques numériques ont débuté comme optionnelles, avant de devenir obligatoires.
Ce système centralise toutes les identités numériques dans une base de données contrôlée par l’État, offrant aux autorités un suivi extrêmement précis des activités en ligne. En liant tout à une seule identité, le régime peut censurer, effacer ou bloquer un individu sur l’ensemble du web chinois en un clic. Pour les experts, il s’agit d’une version aboutie du totalitarisme numérique, rendant la répression de la dissidence plus facile et supprimant les derniers restes d’anonymat en Chine.
Les organisations de défense des droits humains alertent aussi sur les risques de cybersécurité. Une gigantesque base de données constitue une manne pour les pirates ou la police d’État. En 2022, la Chine a déjà subi la fuite d’une base de données policière contenant les données personnelles d’un milliard de citoyens. Un tel système menace non seulement la vie privée, mais il pourrait être un outil redoutable pour les services de renseignement du PCC contre sa propre population.
Le code internet s’ajoute à toute une panoplie d’outils de surveillance existants : la « Grande Muraille » du numérique, l’obligation d’utiliser son vrai nom, les systèmes de reconnaissance faciale, la vidéosurveillance, le programme « Yeux perçants », les bases de données policières, et la gestion sociale en quadrillage. L’ensemble permet au ministère de la Sécurité d’État de relier chaque activité en ligne aux systèmes de contrôle national.
Ironie du sort : l’un des sujets désormais censurés en Chine est… la censure elle-même. Sur Weibo, Lao Dongyan, éminente professeure de droit à l’université Tsinghua, a osé comparer le système chinois à « installer un dispositif de surveillance sur chaque individu en ligne ». Son message a été très rapidement supprimé pour « violation des règles », et son compte interdit de publication pendant trois mois.
Dans l’ensemble, l’identifiant Internet s’inscrit dans la stratégie à long terme de Pékin visant à éliminer l’anonymat en ligne et à étendre la surveillance jusqu’au niveau individuel. Ce système permet au PCC de contrôler plus strictement les discours en ligne et de décourager les conversations qu’il juge menaçantes, telles que celles exprimant la désillusion de la « génération perdue » chinoise, qui peine à trouver un emploi et à entrer dans la vie adulte.
Si certains jeunes trouvent des moyens de contourner la censure, de nombreux citoyens s’autocensurent inévitablement par crainte d’être découverts par le ministère de la Sécurité d’État et d’autres autorités chargées de la cybersécurité. Même ceux qui trouvent des solutions de contournement voient leurs options diminuer à mesure que l’intelligence artificielle devient de plus en plus puissante pour déchiffrer le langage codé adopté par les utilisateurs en ligne pour échapper aux contrôles.
Au final, cela fait partie de la méthode du PCC. Plutôt que d’améliorer la vie en Chine, le Parti préfère empêcher qu’on dise qu’elle empire. De quoi rappeler cette vieille blague soviétique : Un étranger demande : « Comment ça va, en Union soviétique ? » Le Russe répond : « On ne peut pas se plaindre. »

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Antonio Graceffo, docteur en philosophie, a passé plus de 20 ans en Asie. Il est diplômé de l'Université des sports de Shanghai et titulaire d'un MBA chinois de l'Université Jiaotong de Shanghai. Il travaille aujourd'hui comme professeur d'économie et analyste économique de la Chine, écrivant pour divers médias internationaux.

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