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La tapisserie de Bayeux, un joyau millénaire mis en péril sur l’autel de la diplomatie ?

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La « tapisserie de Bayeux » ou « tapisserie de la reine Mathilde » relate la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066, à Bayeux, en Normandie.

Photo: LOIC VENANCE/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 9 Min.

La tapisserie de Bayeux, une œuvre millénaire de 69 mètres de long et pesant 350 kg, va être déplacée jusqu’en Angleterre pour « revivifier » les relations diplomatiques avec la France.
Elle sera prêtée au British Museum de Londres de septembre 2026 à juin 2027 en échange de pièces issues notamment du trésor archéologique de Sutton Hoo. Emmanuel Macron a fait cette annonce à l’occasion de sa visite d’État de trois jours au Royaume-Uni.
« Par son caractère symbolique, inédit et la valeur inestimable des pièces prêtées, cet échange sans précédent marque la volonté de revivifier la relation culturelle entre nos deux pays et la confiance qu’il y a aujourd’hui entre nous », a déclaré le chef de l’État.
Selon Antoine Verney, conservateur en chef des musées de Bayeux, la toile est sensible aux « micro-vibrations, aux manipulations, au taux d’hygrométrie ainsi qu’à la lumière reçue qui ne doit pas dépasser 50 lux (une lumière très tamisée, ndlr) », ce qui fait dire à Cécile Binet, conseillère pour les musées de la DRAC Normandie, que l’œuvre est intransportable.
Un prêt décidé par Emmanuel Macron
Alors qu’aucune restauration d’envergure n’a été faite sur l’ouvrage, nécessaire à tout déplacement, Emmanuel Macron a décidé ce geste vis-à-vis du Royaume-Uni, malgré les avis opposés des responsables du patrimoine.
Ce prêt « permettra d’abord de mettre en lumière cette part de notre histoire et du XIsiècle franco-britannique, mais également de montrer la tapisserie, lui donner un rayonnement, ce qui aura des retombées sur Bayeux et la Normandie », a assuré le président français.
Il s’agit surtout pour le président français de réchauffer les relations franco-britanniques, car le prêt en retour des pièces Sutton Hoo n’a pas la même valeur symbolique.
« Nos amis britanniques nous rendent la pareille en nous offrant la possibilité d’exposer de notre côté des pièces absolument magnifiques, tirées du trésor de Sutton Hoo, des pièces de l’échiquier de Lewis ou le Bouclier de Battersea », a-t-il ajouté, des pièces que personne ne connaît vraiment en France.
Une levée de bouclier des conservateurs
L’annonce du prêt a embrasé le comité scientifique international de la broderie de Bayeux, inquiet d’un projet de déplacement à des fins autres que strictement conservatoires qui pourrait grandement endommager la tapisserie.
Selon France Info, lors d’une réunion en octobre 2020, le comité s’était positionné pour « un maintien de l’œuvre in situ jusqu’à sa restauration, qui seule peut justifier son déplacement ».
En 2020, des restauratrices-conservatrices spécialisées en textile avaient inspecté l’œuvre centimètre par centimètre. Elles avaient relevé près de 24.200 tâches et 10.000 trous. Les dernières réparations datent de 1870.
« Malgré le fait qu’on soit une dizaine de restauratrices expertes, et malgré les précautions qu’on pourra prendre, il se peut qu’il y ait des fibres qui finissent par céder », assure la conservatrice du patrimoine.
L’une des difficultés pour conserver la tapisserie, explique Antoine Verney, « c’est de la faire passer d’un plan vertical à un plan horizontal ». Depuis 1983, ce « récit brodé » est présenté « debout » dans un long couloir en U du musée de Bayeux en Normandie.
Un projet de rénovation du musée est prévu pendant sa fermeture (du 1er septembre 2025 jusqu’en octobre 2027) pour un coût total de 38 millions d’euros, dont 7 millions financés par la Ville de Bayeux. Le musée a accueilli quelque 429.000 visiteurs en 2024.
Un joyau millénaire sur l’histoire de Guillaume le Conquérant
Le tapisserie de Bayeux doit faire l’objet d’une coûteuse restauration, qu’il est prévu de réaliser après son déplacement au British Muséum.
Datant du XIe siècle, la tapisserie est un célèbre « récit brodé » de 70 mètres de long retraçant la véritable épopée de la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie, Guillaume Le Conquérant, de 1064 à 1066.
La tapisserie, qui pèse 350 kg et est constituée de neuf panneaux en lin reliés entre eux, représente plus de 600 personnages et 200 chevaux, au cours de 58 scènes.
En janvier, la ministre de la Culture Rachida Dati a affirmé que l’État prendrait en charge « l’intégralité des coûts de restauration de la tapisserie », soit quelque deux millions d’euros. Une restauration reportée sine die.
Déjà déplacée deux fois
Le prêt aux Anglais de cette première transcription en images d’un épisode clé de l’histoire de l’Europe du Nord-Ouest, est une première.
Il avait été déjà deux fois envisagé, sans aboutir : en 1953 pour le couronnement de la reine Elisabeth II et en 1966 pour le 900anniversaire de la bataille d’Hastings, à l’issue de laquelle Guillaume le Conquérant est devenu roi d’Angleterre.
La tapisserie avait cependant déjà quitté Bayeux pour être exposée au Louvre, à Paris, à deux reprises : en 1803-1804 sur décision de Napoléon Bonaparte et en 1944 pour rendre hommage aux troupes anglo-américaines ayant permis de libérer la France.
Pendant l’occupation, les Allemands mirent tout en œuvre pour la retrouver mais n’y parvinrent pas. Le chef-d’œuvre avait été caché d’abord à Bayeux, dans une cave, puis dans les abbayes de Mondaye et de Sourches et enfin à Paris même. Ainsi la tapisserie a échappé à la destruction depuis près de dix siècles.
« Un très haut niveau d’exigence » 
Le prêt par la France de la tapisserie de Bayeux au British Museum de Londres devra faire l’objet d’un « très haut niveau d’exigence » pour transporter et exposer cette œuvre exceptionnelle, selon son conservateur, Antoine Verney. La tapisserie de Bayeux est « une œuvre millénaire exceptionnelle mais très fragile », a déclaré le conservateur en chef des musées de Bayeux.
Selon lui, le premier danger pour la tapisserie est sa manipulation, « par exemple la faire passer d’un plan vertical à un plan horizontal, ou simplement la conditionner en vue de son transport ».
Le conditionnement de l’œuvre en vue de son transport « est une question réglée avec une équipe de restauratrices spécialisées […] sous la responsabilité des conservateurs des monuments historiques », a-t-il indiqué.
« Ce sont des fibres qui ont un millier d’années, elles sont sensibles aux micro-vibrations lors du transport qui produisent des effets mécaniques sur les fibres textiles », a aussi expliqué le conservateur.
Le British Museum participe au conseil scientifique avec les services du ministère de la Culture, propriétaire de l’œuvre, en vue du retour de celle-ci dans le futur musée de Bayeux. C’est « une des grandes institutions britanniques avec laquelle nous avons des relations depuis plusieurs années », a souligné Antoine Verney.
« Tous ces éléments me laissent à penser que les équipes des ministères de la culture vont mettre en œuvre pour le prêt en Angleterre un très haut niveau d’exigence correspondant à celle que nous nous sommes nous-mêmes imposées dans le cadre du projet » de futur musée, a-t-il conclu.
Des pièces médiévales issues du trésor de Sutton Hoo en « échange »
Le British Museum va prêter en échange à la France des pièces médiévales issues du trésor de Sutton Hoo, considéré comme l’une des plus grandes découvertes archéologiques au Royaume-Uni.
À l’issue de fouilles en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, des archéologues ont découvert dans le sud-est de l’Angleterre un cimetière anglo-saxon comprenant l’empreinte d’un bateau-tombe de 27 m de long avec une chambre funéraire renfermant des trésors datant des VIe et VIIsiècles, probablement de Raedwald, roi d’Est Anglie au VIIsiècle, de la dynastie des Wuffingas.
Une histoire complètement étrangère aux Français contrairement à la tapisserie de Bayeux pour les Anglais.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.