Logo Epoch Times

Opinion

plus-icon

Peu de rentabilité, des inégalités accrues, une concentration des richesses : les illusions de l’IA générative

top-article-image

Illustration

Photo: Shutterstock

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 12 Min.

Après le lancement de ChatGPT fin 2022, capable de répondre à toutes sortes de questions posées par les utilisateurs, l’intelligence artificielle (IA) générative s’est rapidement déployée dans de grandes sociétés américaines, concurrencées par des rivaux européens et chinois.
L’agent conversationnel d’OpenAI, qui a démocratisé l’utilisation de l’IA, a entraîné ensuite des investissements colossaux. Depuis sa création, l’entreprise a levé une vingtaine de milliards de dollars, notamment auprès du géant Microsoft, son principal actionnaire. Selon des informations du Wall Street Journal fin janvier, la start-up est en pourparlers pour lever 40 milliards supplémentaires.
L’arrivée de ChatGPT a réveillé l’appétit des géants de la tech, qui se sont lancés dans une course à l’innovation avec de nouveaux moyens financiers spectaculaires. Mais d’après le média américain The Information, OpenAI ne prévoit pas de dégager un bénéfice avant 2029.
« Il y a un pari. Dans les nouvelles technologies, on parie sur l’avenir, on accepte des pertes de court terme pour des gains de long terme », explique l’économiste Philippe Aghion, coprésident du « Comité de l’intelligence artificielle générative » mis en place par le gouvernement français.
Cette dimension de « pari » peut favoriser un phénomène de bulle économique – lorsque la valorisation d’un bien s’avère largement supérieure aux bénéfices qu’il peut apporter – qui finit par éclater.
« Bien sûr qu’il peut y avoir des bulles », relativise Philippe Aghion, prenant l’exemple de la bulle internet qui avait éclaté en 2000 : « Cela n’a pas empêché les Gafam de grandir grâce à internet et de devenir hyper profitables ». Pour lui, ces éventuelles bulles n’empêcheront pas « des gains de croissance très importants » qui seront « en grande partie rentabilisés ».
Philippe Aghion prédit lui un surplus de productivité de « 0,7 point par an pendant dix ans » induit par le développement de l’IA. D’autres sont plus prudents, comme le prix Nobel d’économie 2024, Daron Acemoglu, qui projette un gain de productivité dix fois inférieur, dans une étude pour le MIT.
D’éminents chercheurs sceptiques sur l’IA générative
Deux ans et demi après que ChatGPT a lancé une révolution technologique, le scientifique et écrivain Gary Marcus est toujours aussi sceptique vis-à-vis de l’IA générative.
L’intellectuel est devenu une figure emblématique du secteur en 2023, lorsqu’il a participé aux côtés de Sam Altman, cofondateur et patron d’OpenAI (créateur de ChatGPT), à une audition au Sénat à Washington.
Ses critiques sont fondées sur une conviction fondamentale : les grands modèles de langage (LLM), moteurs de ChatGPT, Gemini (Google) ou Claude (Anthropic), ont beau fournir des contenus donnant l’impression d’avoir été produits par des humains, ils sont intrinsèquement défectueux et ne tiendront jamais les grandes promesses des géants de la tech.
« Je suis sceptique à l’égard de l’IA telle qu’elle est pratiquée actuellement », explique-t-il. La technologie « pourrait avoir une valeur énorme, mais les LLM ne sont pas la voie à suivre ». « Et, je pense que les entreprises impliquées n’ont pas les meilleures personnes au monde. »
Beaucoup pensent que la technologie est sur le point de parvenir à une superintelligence, à une IA « générale » (AGI) qui pourrait égaler, voire dépasser, les capacités cognitives humaines. Cet optimisme a fait grimper la valorisation d’OpenAI à 300 milliards de dollars, niveau sans précédent pour une start-up.
Pourtant, malgré tout le battage médiatique, les avantages pratiques restent limités. La technologie excelle principalement dans l’assistance au codage informatique pour les programmeurs et la génération de textes ou de synthèse pour le travail de bureau.
« L’une des conséquences de l’engouement pour les LLM est que toute autre approche susceptible d’être meilleure est écartée », souligne Gary Marcus. Cette vision étroite « retarde la mise en place d’une IA capable de nous aider au-delà du simple codage » et « constitue un gaspillage de ressources ».
Il rejette les craintes que l’IA générative remplace les employés de bureau, car « ils remplissent trop de tâches pour lesquelles il est important d’obtenir la bonne réponse ». Car l’IA générative continue d’ « halluciner » régulièrement en produisant des réponses erronées ou abracadabrantes. Même ses plus fervents défenseurs reconnaissent que ce problème pourrait être impossible à éliminer.
L’intellectuel reconnaît que l’IA générative trouvera des applications utiles dans des domaines où les erreurs occasionnelles n’ont pas beaucoup d’importance. « Elles sont très utiles pour les suggestions automatiques sous stéroïdes: lignes de code, tester des idées, etc. »
« Mais personne ne gagnera beaucoup d’argent avec cet usage, parce que leur fonctionnement est coûteux et que tout le monde a le même produit. »
À la veille d’une « grande désillusion »
Même constat pour Luc Julia, ingénieur français, devenu célèbre pour avoir cocréé l’assistant vocal Siri, vendu à Apple en 2010. Dans son ouvrage IA génératives, pas créatives (Éditions Le Cherche midi), l’ingénieur pense que l’IA charrie un lot de croyances erronées sur les capacités réelles de ces algorithmes. « Cela m’horripile d’entendre que les IA seraient créatives. Les IA n’inventent rien. La créativité est du côté de l’humain », souligne l’actuel directeur scientifique de Renault, après avoir été vice-président de Samsung chargé de l’innovation.
«Nous sommes à la veille de la désillusion» écrit-il. « Une fois de plus, on nous fait croire que cette technologie va finir par nous remplacer, un peu comme les IA fantasmées de Hollywood, explique-t-il au Figaro. Selon lui, va suivre « l’hiver de l’IA ». Cela veut dire que « les investisseurs se retirent de ce champ, et que les entreprises s’en détournent, car ils se rendent compte qu’on leur a promis n’importe quoi ».
Des entreprises de plus en plus riches et des risques d’inégalités accrues
Près d’un emploi sur deux est concerné par l’essor de l’intelligence artificielle, un marché qui pèsera 4800 milliards de dollars d’ici un peu moins de dix ans, a assuré de son côté l’ONU début juin.
L’IA crée des opportunités mais présente également des risques d’inégalités accrues, explique l’ONU Commerce et Développement (Cnuced), dans un nouveau rapport.
Selon ce rapport, l’utilisation de l’IA « pourrait avoir un impact sur 40 % des emplois dans le monde », offrant des gains de productivité mais suscitant également des inquiétudes quant à l’automatisation et aux pertes d’emplois.
La main-d’œuvre des économies avancées est plus exposée, car une plus grande partie des emplois comporte des tâches cognitives, explique-t-il. Mais ces économies sont en revanche mieux placées que les économies émergentes et à faible revenu pour exploiter les avantages de l’IA.
L’ONU explique que la situation est similaire concernant l’impact de l’IA générative. Toutefois, précise le rapport, l’IA générative « pourrait offrir un plus grand potentiel d’augmentation de la main-d’œuvre que d’automatisation, en particulier dans les pays à faibles et moyens revenus ».
L’organisation internationale considère que les avantages de l’automatisation induite par l’IA favorisent souvent le capital au détriment du travail, ce qui pourrait « accroître les inégalités et réduire l’avantage concurrentiel de la main-d’œuvre à bas coût dans les économies en développement ».
D’ici 2033, l’IA prendra la première place de ce marché, devant l’internet des objets, à hauteur de 4800 milliards de dollars (4300 milliards d’euros), soit à peu près l’équivalent de l’économie allemande.
Mais le rapport explique que ses bénéfices risquent d’être très concentrés dans quelques économies, alors que 100 entreprises, principalement aux États-Unis et en Chine, représentent 40 % des dépenses mondiales en R&D des entreprises.
Il indique par ailleurs que le Brésil, la Chine, l’Inde et les Philippines sont les pays en développement les plus performants en matière de préparation technologique.
L’IA générative : beaucoup d’argent, pas encore de rentabilité
Pas moins de 109 milliards d’euros investis en France dans les prochaines années, 500 milliards de dollars aux États-Unis, des capitalisations boursières astronomiques : l’IA générative concentre les attentes de nombreux acteurs économiques et politiques, mais la rentabilité des géants du secteur se fait toujours attendre.
Depuis l’irruption fin 2022 du logiciel ChatGPT, l’IA générative s’est développée à très grande vitesse et les pays rivalisent pour se faire une place sur la carte mondiale de cette technologie, souvent à coups d’investissements massifs.
Mais derrière l’enthousiasme pour ce que certains considèrent comme une nouvelle révolution industrielle, les géants du secteur comme OpenAI ou les jeunes pépites comme le français Mistral AI restent en quête de rentabilité.
« Le sujet » pour Mistral AI, « ce n’est pas la levée de fonds : ils claquent des doigts et demain, ils ont 2–3 milliards d’euros », souligne Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. « Le sujet, ce sont les revenus. Il faut que Mistral fasse 500 millions de chiffre d’affaires en 2025. »
Car l’IA générative requiert des ressources matérielles substantielles avec la construction d’immenses centres de données et une quantité d’énergie considérable pour les faire tourner, des puces ultra-sophistiquées – que peu d’entreprises produisent, et l’embauche d’ingénieurs très qualifiés.
Pour combler ces besoins, les géants de la Tech américains alignent les milliards par dizaines : Google et Amazon ont ainsi annoncé récemment pour 2025 des dépenses cumulées en capitaux de respectivement 75 et 100 milliards de dollars, principalement consacrées à l’IA.
Pour gagner de l’argent, les entreprises d’IA génératives peuvent compter sur les abonnements premium, mais aussi proposer aux entreprises d’intégrer leur système pour gagner en productivité. Les opérateurs téléphoniques Bouygues Telecom et Orange ont par exemple officialisé des partenariats, respectivement avec l’américaine Perplexity et la française Mistral AI.
Mais les dépenses massives d’investissements dans l’IA « n’ont guère donné de résultats jusqu’à présent », notait la banque américaine Goldman Sachs en juin 2024, dans un rapport intitulé : « IA générative: trop de dépenses, pas assez de bénéfices ? »

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.