Logo Epoch Times

Opinion

plus-icon

« Force est de constater que l’oxygène vient à manquer dans les poumons politiques du président Macron », analyse Boyan Radoykov

top-article-image

Mr Boyan Radoykov est un expert international en sciences politiques et sur les questions de sécurité, avec une longue expérience de la diplomatie multilatérale.

Photo: Crédit photo : UIT à Genève, Suisse - Wikimédia

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 13 Min.

Alors que la Ve République traverse l’une des périodes les plus turbulentes de son histoire, la figure d’Emmanuel Macron semble se fragiliser à mesure que s’enchaînent les impasses politiques. Trois gouvernements successifs, trois tentatives de conciliation infructueuses et une dissolution parlementaire jugée hasardeuse : à en croire plusieurs analystes, le chef de l’État serait aujourd’hui prisonnier d’un système qu’il a lui-même contribué à déséquilibrer. L’image d’un président « à bout de souffle » revient avec insistance dans les colonnes des médias, symbole d’un pouvoir esseulé au sommet d’un pays en quête de direction visionnaire.
Dans cet entretien, le diplomate et analyste Boyan Radoykov brosse le portrait d’un président désorienté, rattrapé par les limites d’un exercice solitaire du pouvoir. Selon lui, la crise institutionnelle actuelle ne résulte pas tant d’un affrontement partisan que d’une erreur stratégique majeure : la dissolution de l’Assemblée nationale, perçue comme un pari personnel perdu. Entre le risque d’une nouvelle dissolution, la pression d’une opposition revigorée et l’usure du quinquennat, la France avance désormais sur une ligne de crête, où s’entremêlent incertitude politique et pouvoir vacillant.
Plusieurs analystes politiques évoquent le « déclin de Macron » après l’échec de ses trois derniers gouvernements. À quoi la France peut-elle s’attendre ?
Boyan Radoykov – Vous faites preuve d’une grande politesse lorsque vous évoquez un déclin. Les termes utilisés par les commentateurs politiques sont beaucoup plus durs et, à mon avis, dépassent même les limites acceptables de ce que l’on peut dire à propos d’un chef d’État.
Par exemple, l’édition de ce week-end du Figaro a utilisé l’expression « bombe humaine » (en anglais dans le texte) pour décrire le président français. D’autres l’ont qualifié de « garçon de room service » capable de vous livrer un Premier ministre à toute heure de la journée.
D’autres encore l’ont dépeint comme un président intellectuellement vidé, complètement déconnecté de la réalité du pays et des attentes du peuple.
Qui sont les personnages clés de cette crise en France, et comment en sommes-nous arrivés là ?
Il n’y a qu’un seul personnage clé : le président Macron lui-même. Cette crise est le résultat de sa décision de dissoudre le Parlement l’an dernier. Arrogant, toujours en train de fanfaronner, il a joué à pile ou face l’avenir de la France. Il n’y avait aucune urgence à dissoudre l’Assemblée nationale.
De plus, entouré d’une équipe de conseillers qui passent le plus clair de leur temps à le flatter, il a ignoré les conseils de politiciens chevronnés, qui lui auraient tous déconseillé de se lancer dans un tel suicide politique. La crise du régime actuel est donc entièrement de sa faute.
Macron a déjà tenté à trois reprises de former un nouveau gouvernement de centre-gauche et droit. Après la démission de M. Lecornu, il vient de le nommer à nouveau. M. Lecornu réussira-t-il cette fois-ci, quelles sont ses chances de succès ?
Ses chances sont de fait très minces. Un zéro ajouté au même zéro ne peut jamais donner un résultat positif. On sent que le président est à bout de souffle sur le plan politique. Vous voyez, les faits sont les suivants : la Ve République et sa Constitution ont été inventées et imposées par un général pour des hommes d’État de cette trempe. Tant que le chef de l’État avait le sérieux nécessaire pour assumer ce rôle qui lui était assigné, cela fonctionnait, même avec quelques accrocs, comme sous Mitterrand ou Chirac.
Dès que les présidents élus ont commencé à diluer leur pouvoir constitutionnel et leur sens du devoir envers le bien commun, mais surtout dès qu’ils ont commencé à se dérober à leurs responsabilités par des pirouettes politico-politiciennes, cela les a progressivement éloignés de la préservation de l’esprit même de la Ve République, mais aussi des intérêts supérieurs du pays, et la crise constitutionnelle a commencé à se profiler à l’horizon.
Avec le mandat unique de François Hollande et les deux mandats consécutifs d’Emmanuel Macron, cette crise a pris forme et a littéralement explosé aux yeux des Français, qui considéraient leurs institutions comme inébranlables. Dernièrement, M. Macron leur a fourni la preuve historique que ce n’était pas le cas. Rien n’est éternel. Ni en politique, ni en matière de libertés démocratiques.
Les dirigeants du Rassemblement national et d’autres partis d’opposition voient deux options pour le président français : soit il démissionne, soit le Parlement est à nouveau dissous et de nouvelles élections sont organisées. Les dirigeants politiques sont-ils prêts pour de telles élections anticipées, et quels sont les risques pour la France ?
Les dirigeants de l’opposition se trompent sur cette question. Des élections rapides ne sont pas dans l’intérêt du président Macron, qui s’en tient à sa logique de procrastination, tout en négligeant la réalité à laquelle il est confronté.
En essayant de gagner du temps pour lui-même et sa survie politique, il fait en réalité perdre du temps à la France et lui fait manquer l’occasion de sortir rapidement de cette crise politique sans précédent depuis 1958.
Paradoxalement, depuis l’élection de Giorgia Meloni en Italie, en octobre 2022, le parti de Mme Le Pen est de plus en plus considéré comme un pôle de stabilité potentiel. Il va sans dire que de nouvelles élections sont dans leur intérêt. Ce n’est pas le cas des autres partis, dont la base électorale est beaucoup plus fragmentée.
L’affirmation de la gauche française selon laquelle de nouvelles élections ne résoudraient pas la crise politique, mais paralyseraient encore davantage l’Assemblée nationale, est-elle fondée ?
La gauche est parfaitement consciente qu’en cas de nouvelles élections, son score serait inférieur à celui obtenu en 2024. La France est un pays de droite : près de 60 % des Français le déclarent sans ambages. C’est pourquoi la gauche utilisera tous les arguments, y compris celui de la paralysie, pour conserver le Parlement actuel aussi longtemps que possible. De plus, la gauche s’est considérablement discréditée pendant le mandat de François Hollande et les Français ne l’ont pas encore oublié.
Emmanuel Macron est-il déjà usé en tant que leader politique, sa démission permettra-t-elle de résoudre la crise ? 
Les sondages parlent d’eux-mêmes. La cote de popularité du président Macron a atteint un niveau historiquement bas, avec seulement 14 % des personnes interrogées qui ont une opinion favorable à son égard. C’est du jamais vu.
Il est fini, mais il se battra jusqu’au bout pour conserver le pouvoir et, surtout, pour éviter de démissionner. De plus, je suis convaincu que sa démission ne résoudra pas comme par miracle la crise actuelle. La France n’a pas une culture d’alliances politiques comme l’Allemagne, et l’absence de majorité au Parlement rend la situation inextricablement complexe et sans solution immédiate.
Le temps qui reste jusqu’aux élections présidentielles de 2027 sera perdu pour le pays, qui pourrait se retrouver dans la même configuration qui s’éternise : un président faible qui nomme des Premiers ministres qui tombent les uns après les autres, puis une nouvelle dissolution du Parlement, suivie d’autre nominations bancales de Premiers ministres et le tour est joué – le président Macron, tout aussi exténué que son pays, pourrait réussir à arriver péniblement au terme de son mandat.
Ce ne sont pas les politiciens, mais les grands patrons et les banquiers qui sont les seuls à pouvoir le faire partir plus tôt. À suivre, donc.
Une France affaiblie représente-t-elle une menace pour la sécurité de l’Europe, compte tenu de l’indifférence des États-Unis envers le Vieux Continent et de l’agressivité croissante de la Russie envers les pays de l’OTAN ?
La France est affaiblie, mais elle n’est pas faible. Le pays dispose toujours de grands serviteurs d’État et de ressources suffisantes pour assurer sa défense et son redressement.
Je ne suis pas particulièrement inquiet quant à son rôle au niveau européen, du moins à ce stade. Au niveau mondial, cependant, sa décrépitude est indéniable. Sans la crise politique actuelle et avec un président fort, compétent et respecté, qui dispose d’une majorité au Parlement, elle pourrait sans doute réussir à regagner au moins une partie de son influence, mais le temps joue clairement en défaveur d’un pronostic aussi optimiste.
Votre carrière diplomatique est liée à l’UNESCO. Dans un mois, un nouveau Directeur général doit prendre ses fonctions au sein de l’organisation. Comment évaluez-vous la victoire de l’Égypte ?
La victoire du candidat égyptien M. Khaled El-Enany, avec 55 voix contre 2 pour l’autre candidat du Congo-Brazzaville, a été écrasante et sans appel. Son élection, bien méritée, par le Conseil exécutif a suscité de grands espoirs tant au sein du Secrétariat de l’UNESCO que parmi les États membres et plus particulièrement des pays du Sud global. Mais le plus dur reste à venir pour le nouveau Directeur général qui doit maintenant transformer l’essai.
El-Enany sera le premier Arabe et musulman à diriger l’UNESCO. En novembre prochain, il trouvera une organisation exsangue, en proie à de graves difficultés financières et dont le personnel est sur les rotules après les deux mandats d’Audrey Azoulay. 
Des critiques s’élèvent déjà en coulisses de la part de certains délégués permanents, alors qu’il a été élu il y a tout juste une semaine et n’a pas encore officiellement pris ses fonctions. Cela montre à quel point sa tâche sera rude et sa période de grâce courte.
Nonobstant, il lui appartiendra de faire ses preuves par la détermination de son leadership et par la force et l’intégrité de son équipe dirigeante. Pour ma part, je considère que M. El-Enany a tout pour réussir et être à la hauteur des responsabilités qui lui sont confiées par les États membres.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.