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plus-iconLes États‑Unis ne poursuivent pas seulement des chefs locaux, mais aussi des financiers internationaux

Frère Wang : le maillon chinois dans la guerre contre le fentanyl aux États-Unis

La Chine sert de source opaque de précurseurs et de réseaux, le Mexique fonctionne comme un atelier mortel de production et de transit, les États-Unis agissent en tant que juge et procureur mondial, et Cuba apparaît comme un barrage surprise sur la route du fugitif.

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Photo: Shutterstock

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Durée de lecture: 12 Min.

Des quartiers huppés de Lomas de Santa Fe à Mexico aux froids couloirs de la justice fédérale à Atlanta, la saga de Zhidong Zhang — connu dans l’ombre sous le nom de « Brother Wang » — se lit comme le scénario d’un thriller géopolitique.
Citoyen chinois de 44 ans, cerveau d’un réseau transnational qui reliait des laboratoires en Chine à des cartels mexicains et des toxicomanes dans les rues des États-Unis, il incarnait le cauchemar du fentanyl : production invisible, blanchiment de millions de dollars et fuite audacieuse qui a mis en évidence les failles de la coopération internationale. Mais sa chute, après un périple en Russie et à Cuba, représente une victoire pour le ministère américain de la Justice et reflète la guerre mondiale contre cet opioïde de synthèse qui tue des milliers de personnes.
Le dossier fédéral d’Atlanta, ainsi que les déclarations croisées des forces de sécurité mexicaines et cubaines, décrivent la chute d’un maillon sophistiqué de la chaîne mondiale du fentanyl et témoigne de la guerre silencieuse contre l’Occident menée par des pays hostiles aux États-Unis.

De la Chine aux rues d’Atlanta

Zhidong Zhang n’était pas un petit poisson. Depuis au moins 2016, selon la Drug Enforcement Administration (DEA) et le ministère américain de la Justice, il servait de lien essentiel entre les fournisseurs chinois de précurseurs chimiques et les cartels de Sinaloa et Jalisco Nueva Generación au Mexique.
Son organisation, basée à Los Angeles et Atlanta, avait tissé un réseau qui s’étendait à l’Amérique centrale, à l’Amérique du Sud, à l’Europe et à l’Asie. Il ne se contentait pas de trafiquer de la cocaïne et des méthamphétamines ; il était également l’architecte du fentanyl, l’opioïde synthétique qui a coûté la vie à plus de 109.000 personnes rien qu’en 2022 aux États-Unis, selon les données actualisées du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américain.
Les accusations constituent un catalogue du crime organisé : importation et distribution de fentanyl en vertu du titre 21 du Code des États-Unis, possession de cocaïne et blanchiment d’argent par le biais de 150 sociétés fictives et 170 comptes bancaires. Un exemple frappant de la plainte fédérale déposée dans le district nord de Géorgie détaille des dépôts effectués sous le nom de « Mnemosyne International Trading Inc. » : 30.100 euros, 68.800 euros et 17.200 euros en juillet 2020, des manœuvres destinées à « dissimuler la nature, l’emplacement, l’origine, la propriété et le contrôle » de fonds illicites. Entre 2020 et 2021, le flux blanchi a dépassé 17,2 millions d’euros, selon la DEA.
Et les chiffres relatifs à la drogue sont effrayants : au moins une tonne de cocaïne, 1800 kg de fentanyl et 600 kg de méthamphétamines, suffisamment pour inonder des marchés entiers. Des études du Congrès américain et de la Commission d’examen économique et de sécurité États-Unis-Chine confirment que la Chine, malgré les restrictions, reste à 90 % la source mondiale de précurseurs tels que le 4-ANPP, que le Mexique transforme en poison mortel envoyé vers le nord.
En octobre 2024, Zhi Dong Zhang a été arrêté à Cuajimalpa, quartier prestigieux à Mexico, lors d’une descente conjointe du ministère de la Sécurité et de la Protection des citoyens (SSPC), du ministère public fédéral (FGR) et des forces armées. Son arrestation semblait marquer la fin d’une traque internationale : il était détenu par les autorités mexicaines en vue de son extradition vers les États-Unis.
Au cours de l’été 2025, un juge mexicain a ordonné sa libération et l’a placé en résidence surveillée, une décision qui a déclenché la colère du gouvernement fédéral et mis en évidence les failles du système judiciaire mexicain, ainsi que d’éventuels actes de corruption qui ont facilité sa fuite ultérieure. En réaction, la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, a déclaré : « Nous remettons en question sa validité et soupçonnons d’éventuels actes de corruption. C’est une offense au travail de nos forces fédérales ».
Le 11 juillet 2025, M. Zhang s’est enfui à l’aide d’un faux passeport. Après avoir été refoulé en Russie, il s’est rendu à Cuba, où il a réussi à se cacher à La Havane pendant plusieurs semaines. Sa fuite internationale a déclenché une alerte d’Interpol et étendu la portée des poursuites à l’Atlantique et à la mer des Caraïbes.
Le 31 juillet 2025, les autorités cubaines l’ont arrêté suite à une alerte internationale. Cette détention a été perçue comme un geste inhabituel de coopération de la part de Cuba, un pays dont le territoire fait partie des routes de trafic de drogue dans les Caraïbes. La décision du régime de livrer M. Zhang à Mexico a été interprétée comme une manœuvre du castrisme visant à conserver, vis‑à‑vis des États‑Unis, une image de collaboration dans la lutte contre le narcotrafic, dans un contexte marqué par les opérations que Washington mène contre les cartels — y compris l’allié principal de l’île, le Venezuela, et le cartel des Soles.
Entre le 23 et le 24 octobre 2025, M. Zhang a été extradé de Cuba vers le Mexique puis transféré immédiatement à la garde des autorités américaines, ce qui a constitué le point d’orgue d’une traque mondiale et un coup stratégique porté aux réseaux internationaux du narcotrafic.
M. Zhang est actuellement détenu par les autorités fédérales dans le district nord de Géorgie, où il est poursuivi pour trafic de stupéfiants et blanchiment d’argent.

Le fentanyl, menace existentielle pour les États‑Unis

Le président des États‑Unis, Donald Trump, a déclaré la guerre aux drogues et aux opioïdes, dont le fentanyl, dans la croisade de Washington contre ce qu’il considère comme une menace existentielle. En 2025, les autorités américaines ont renforcé les sanctions contre des réseaux liés à ces stupéfiants. L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) a désigné des individus et entités du cartel de Sinaloa et du cartel Jalisco Nueva Generación pour blanchiment d’argent et trafic de cet opiacé, attestant d’une action directe contre les acteurs criminels qui approvisionnent le marché américain.
Parallèlement, la Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) a pris des mesures à l’encontre de trois institutions financières mexicaines — CIBanco, Intercam et Vector — pour avoir facilité le blanchiment d’argent lié au fentanyl, puis a prolongé les délais de mise en conformité. Ces actions combinées témoignent d’un effort global de Washington pour frapper à la fois les réseaux de narcotrafic et les structures financières qui les soutiennent.
Le ministère de la Justice a inculpé des dizaines d’entités asiatiques, et M. Zhang en apparaît comme l’illustration parfaite : un « pont » qui confirme l’existence d’une chaîne Chine‑Mexique‑États‑Unis qu’il faut couper net. La Drug Enforcement Administration (DEA) a déclaré, lors de l’arrestation de M. Zhang, que les États‑Unis ne poursuivent pas seulement des chefs locaux, mais aussi des financiers internationaux.

Du Mexique à Cuba, une coopération contrainte

Sous la pression de la politique antidrogue impulsée par Donald Trump et des opérations américaines contre les cartels, le Mexique et Cuba ont multiplié des gestes de coopération calculés pour éviter une confrontation directe. Le Mexique, confronté à la rigueur de la « guerre contre la drogue » de Washington, est intervenu rapidement en 2024 mais n’a pas su maintenir la garde de M. Zhang, suscitant des critiques internes sur l’efficacité et la transparence de ses institutions. Cuba, quant à elle, apparaît comme un facteur imprévisible : l’arrestation et la remise du fugitif — via le Mexique — peuvent être lues comme un stratagème du régime pour éviter une confrontation directe avec les États‑Unis, exhibant un pragmatisme qui, malgré les tensions historiques, ouvre la porte à de futures coopérations dans la lutte antidrogue dans les Caraïbes.

En mai, les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada ont saisi 4300 litres de précurseurs chimiques au centre d’examen des contenants de Tsawwassen, en Colombie-Britannique. (Photo fournie par l’ASFC)

Les preuves du dossier

Le parquet du district nord de Géorgie présente un dossier accablant contre M. Zhang : il l’accuse de trafic de stupéfiants, pour violations des articles 952(a) et 963 du code américain relatifs à l’importation massive de substances contrôlées ; de blanchiment d’argent, via des montages complexes impliquant la société Mnemosyne et des banques locales pour dissimuler des millions de dollars ; et d’avoir dirigé un réseau sophistiqué composé de 150 sociétés écran et de 170 comptes bancaires, par lesquels ont transité des dizaines de millions, révélant l’ampleur et l’organisation de son opération criminelle.
La remise de M. Zhang constitue un coup porté à un maillon clé de la filière du fentanyl et accroît la pression sur le Mexique pour engager des réformes judiciaires, tout en rappelant à la Chine son rôle dans la crise. Elle met toutefois en lumière des vulnérabilités : fuites, corruption et frontières poreuses qui témoignent de la résilience des réseaux criminels. M. Wang demeure sous garde en Géorgie, en attente de ses premières audiences, tandis que des experts avertissent que le fentanyl fonctionne davantage comme une arme hybride que comme une simple drogue, et que démanteler les chaînes globales sera essentiel pour freiner son impact sur une société dépendante.
Maibort Petit est politologue et chercheuse spécialisée dans la criminalité transnationale organisée et le terrorisme en Amérique latine. Ses travaux portent sur la conception de cadres réglementaires communs renforçant la coopération régionale, le partage de renseignements et la coordination des réponses étatiques aux menaces à la sécurité nationale et continentale. Forte de plus de vingt ans d'expérience, elle a contribué à des forums internationaux sur la gouvernance pénale et la protection des victimes dans des contextes d'emprise institutionnelle.

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