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Wilfried Kloepfer : « Nicolas Sarkozy a été condamné à une peine qui entretient le soupçon politique »

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Nicolas Sarkozy, ancien président, s’exprime après le verdict de son procès pour financement illégal de la campagne de 2007, au tribunal correctionnel de Paris, le 25 septembre 2025.

Photo: JULIEN DE ROSA/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 9 Min.

ENTRETIEN – Le 25 septembre, l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, a été condamné dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 à cinq ans de prison et 100.000 euros d’amende pour « association de malfaiteurs » par le tribunal correctionnel de Paris. Une décision de justice qui a vivement fait réagir partisans et opposants de l’ancien homme fort de la droite par son caractère historique et qui a relancé le débat sur l’impartialité des juges.
Wilfried Kloepfer est avocat au barreau de Toulouse et auteur de Le droit à la continuité historique (Vérone éditions, 2023). « Comment voulez-vous être jugé sereinement par un magistrat qui a pris des positions politiques contraires aux vôtres ? » s’interroge-t-il.
Epoch Times – La condamnation de l’ancien chef de l’État à une peine de cinq ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire pour « association de malfaiteurs » est-elle, selon vous, disproportionnée ?
Wilfried Kloepfer  Pour être en mesure de répondre à cette interrogation, il nous faut savoir si les délits ont été commis et surtout, si le tribunal arrive à démontrer la commission de l’infraction.
Or, selon certains commentateurs autorisés, le tribunal n’a pas apporté la preuve démontrant l’association de malfaiteurs pour laquelle il a été condamné, ni d’ailleurs les preuves des autres délits pour lesquels il a été relaxé. C’est-à-dire, recel de détournement de fonds publics libyens, corruption passive et financement illégal de la campagne présidentielle de 2007.
Le tribunal retient que le document de Médiapart sur lequel reposaient les espoirs du PNF est un faux !
Je constate également que « l’association de malfaiteurs » n’a pas été retenue au tout début de l’enquête et de la mise en examen, et qu’un réquisitoire supplétif a été nécessaire pour le poursuivre de ce chef.
On peut alors en déduire que les autres chefs d’accusation n’étaient pas suffisamment solides et que ce délit apparaît en quelque sorte comme la « voiture balai » qui permet d’aboutir à une condamnation.
Dans cette affaire, « l’association de malfaiteurs » me pose d’autant plus problème qu’elle exige selon le Code pénal (art. 450-1) qu’il y ait des faits matériels pour en démontrer l’existence. Mais la jurisprudence se contente d’indices graves et concordants.
Le jugement du tribunal ne mentionne jamais de faits matériels. Il se fonde sur des indices épars qu’il qualifie de graves et concordants et précise notamment que l’ex-chef de l’État ne pouvait ignorer les agissements de ses collaborateurs et aurait laissé faire.
C’est en vertu de cette hypothèse que l’ex-chef de l’État est condamné à de la prison ferme.
La peine est donc particulièrement sévère pour une infraction dont la preuve matérielle n’est pas clairement rapportée.
Certains experts juridiques ont qualifié l’association de malfaiteurs de notion « floue ». Êtes-vous d’accord ?
Oui. Cette notion avait d’ailleurs été supprimée par Robert Badinter en 1983 en raison de l’incertitude de ce qui la caractérise avant d’être finalement rétablie par Albin Chalandon sous la cohabitation en 1986.
D’autres pointent du doigt la contradiction entre l’exécution provisoire et le principe de présomption d’innocence. Ont-ils raison ?
Bien sûr. Le double degré de juridiction est un principe fondamental de la justice française. Nicolas Sarkozy a interjeté appel, il est donc toujours présumé innocent. Mais l’exécution provisoire réduit à néant l’intérêt du double degré de juridiction et met à mal la présomption d’innocence.
L’exécution provisoire est prévue par les textes. Cependant, elle doit être réservée aux cas de récidive. La comparaison avec la pratique des comparutions immédiates ne me paraît donc pas opportune. Et je ne crois pas qu’il puisse exister un risque de récidive dans l’affaire qui nous intéresse ici.
L’expression « gouvernement des juges » a également été utilisée ces derniers jours en réaction à la décision de justice visant l’ex-président de la République. Quel est votre point de vue ? Y a-t-il un problème de politisation de la justice ?
Oui et ce n’est pas nouveau. Nous l’avons vu au mois de mars avec Marine Le Pen ou en 2017 avec François Fillon. L’autorité judiciaire organise le casting des élections présidentielles depuis plusieurs années.
Et maintenant, un ancien chef de l’État est condamné à une peine afflictive et infamante qui entretient un soupçon politique. On peut s’interroger sur l’impartialité du tribunal.
Jean-Éric Schoettl et Noëlle Lenoir ont à juste titre rappelé dans Le Figaro que l’hostilité avérée de cette présidente à l’égard de la réforme de la justice de 2011 de Nicolas Sarkozy aurait dû l’inviter à se déporter en vertu des dispositions de l’article L. 111-6 du Code de l’organisation judiciaire. Ce qu’elle n’a pas fait.
Il y a quatre vertus cardinales pour la justice : la compétence, la probité, l’indépendance et l’impartialité des juges.
L’impartialité de la justice est régulièrement mise en cause en raison de certains agissements du Syndicat de la magistrature. On se souvient tous du « mur des cons » et de la participation de ce syndicat à la fête de l’Humanité dans un forum sur les « violences policières » !
Mes propos ne visent pas à remettre en cause le droit syndical des magistrats. Mais ce droit doit rester une défense des intérêts de la justice et d’un corps de fonctionnaires à statut dérogatoire, et ne doit en aucun cas devenir une tribune à opinions politiques.
Comment voulez-vous être jugé sereinement par un magistrat qui a pris des positions politiques contraires aux vôtres ? Les prises de position politiques heurtent le principe de l’impartialité objective en vertu duquel le juge doit se présenter au moins avec les apparences de l’impartialité. À défaut, le soupçon s’installe.
Une réforme du corps des magistrats est donc nécessaire ?
Il n’y a pas besoin de grande réforme. Je suis pour l’application pure et simple du statut de magistrat de 1958 qui prévoit la neutralité.
La Constitution distingue bien les pouvoirs législatif et exécutif, et elle ne qualifie pas l’institution judiciaire de pouvoir, mais d’autorité. Elle est là pour appliquer la loi et ne pas laisser libre cours à des interprétations subjectives qui instrumentalisent le droit au service d’une cause politique. Le juge n’est que la bouche qui prononce les paroles de la loi.
Le principe de la séparation des pouvoirs est donc en cause.
Au cours de ce procès, il y a d’ailleurs eu beaucoup de débats sur la politique étrangère de la France dans ses relations avec la Libye de Khadafi.
Mais est-ce qu’une juridiction ordinaire, comme le tribunal correctionnel, est habilitée à juger la politique étrangère de la France ? Évidemment que non.
Quand le pouvoir exécutif empiète sur l’autorité judiciaire, on pousse des cris d’orfraie. Mais dans la situation inverse, personne ne s’indigne. Attention à l’indignation sélective.
 L’ancien chef de l’État devrait être incarcéré. C’est une première dans l’histoire des présidents de la Vᵉ République. L’image de la France risque d’être impactée…
C’est un élément qui s’ajoute à une longue liste. La France n’est plus la puissance qu’elle était. Elle a perdu son influence en Europe et ne sait plus se faire respecter, comme le montre l’exemple algérien.
Nous sommes loin de la grande époque gaullienne.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.