Opinion
Un « tsunami blanc » : la France submergée par un narcotrafic de plus en plus violent, alerte l’Ofast

Le logo de l'Office français de lutte contre les stupéfiants (Ofast) au siège de la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) à Nanterre, le 26 juin 2025.
Photo: JULIEN DE ROSA/AFP via Getty Images
La France est en proie à une crise sans précédent. Dans son dernier rapport confidentiel publié fin juillet 2025, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) tire la sonnette d’alarme : le narcotrafic, porté par une explosion de la consommation de cocaïne et une violence érigée en « contre-culture », gangrène l’ensemble du territoire, désormais considéré « sans zone blanche ».
Ce document de 62 pages, consulté par plusieurs médias dont Le Monde et Valeurs actuelles, dresse le constat alarmant d’un pays submergé par le “plus grand marché criminel” estimé à 7 milliards d’euros, où les réseaux, toujours plus puissants et innovants, défient l’État de droit.
Une menace existentielle pour la France
Dans l’avant-propos du rapport, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, n’hésite pas à parler d’un « tsunami blanc » pour décrire l’ampleur du narcotrafic, en particulier celui de la cocaïne, qu’il qualifie de « menace existentielle pour notre pays ». Cette métaphore illustre l’omniprésence sur le territoire de drogues illicites, soutenue par une production mondiale record et des réseaux logistiques sophistiqués.
Selon le rapport, en 2024, la production mondiale de cocaïne a atteint 4000 tonnes, dont 2700 tonnes en Colombie, soit une augmentation de 53 % par rapport à 2022. Cette abondance dope l’offre en France, où la consommation explose : 3,7 millions d’expérimentateurs et 1,1 million d’usagers réguliers en 2023.
Le rapport souligne que la France est devenue l’un des pays européens les plus touchés par ce fléau. Aucun territoire n’est épargné, des grandes métropoles comme Marseille, Grenoble ou Toulouse, aux villes moyennes comme Dijon ou Florange, en passant par les zones rurales. Cette omniprésence, qualifiée de « sans zone blanche », traduit une extension géographique sans précédent du narcotrafic, qui s’accompagne d’une violence croissante et d’une emprise grandissante sur les populations locales.
Une violence érigée en « contre-culture »
L’un des constats les plus frappants est l’intensification de la violence liée au narcotrafic, décrite comme une « contre-culture » par les policiers spécialisés. En 2024, 367 assassinats ou tentatives d’assassinats liés au trafic de stupéfiants ont été recensés, touchant 173 villes, contre 161 en 2023.
Ces chiffres témoignent d’une criminalité qui s’étend bien au-delà des grandes agglomérations, avec des règlements de comptes d’une brutalité inouïe. À Marseille, plaque tournante du narcotrafic, 44 personnes sont décédées dans des règlements de comptes entre janvier et septembre 2023. Dans le Gard, un jeune homme de 19 ans a été retrouvé ligoté, abattu et immolé à Saint-Bénézet, un exemple parmi d’autres de l’hyperviolence qui accompagne le narcotrafic.
Le rapport pointe également des actes visant à déstabiliser les institutions. Des attaques contre des représentants de l’État, comme l’assaut sanglant du convoi de Mohamed Amra en mai 2024, où deux agents pénitentiaires ont été tués, ou les menaces contre des policiers, gendarmes, douaniers et magistrats, sont devenues monnaie courante.
La DZ Mafia, un clan marseillais ultraviolent, est particulièrement mise en avant comme une « menace majeure ». Cette organisation, sans hiérarchie stricte, multiplie les extorsions, les menaces contre les institutions et les opérations violentes, allant jusqu’à diffuser des vidéos sur les réseaux sociaux, armes à la main, dans une mise en scène rappelant les groupes criminels sud-américains.
Cette violence ne se limite pas aux règlements de comptes entre trafiquants. Les populations locales en sont les premières victimes. À Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, des habitants ont reçu des courriers de dealers leur proposant des services (courses, bricolage) pour compenser les nuisances du trafic dans leur quartier. À Saint-Ouen, une école maternelle a dû déplacer quatre classes en raison de la proximité d’un point de deal. À Échirolles, la mairie a évacué un immeuble pour des raisons de sécurité liées au narcotrafic, suscitant des menaces contre l’édile. Ces exemples illustrent une criminalité qui s’inscrit dans le quotidien, marginalisant les citoyens et défiant l’ordre républicain.
Un marché en pleine expansion
Le narcotrafic en France génère un chiffre d’affaires estimé à 7 milliards d’euros, ce qui en fait le premier marché criminel du pays. La cocaïne domine ce marché, portée par une baisse inédite des prix (58 euros le gramme en 2024 contre 66 euros l’année précédente).
Les saisies records témoignent de cette abondance : 37,5 tonnes de cocaïne ont été interceptées au premier semestre 2025, soit une hausse de 45 % par rapport à 2024, et plus de 42 tonnes si l’on inclut les saisies en mer, comme les 5 tonnes récupérées au large de la Martinique en juillet 2025. Une saisie historique de 1878 kg de drogue, dont 1646,8 kg de cocaïne et 232,4 kg de méthamphétamine, a également été réalisée en Polynésie française le 2 août 2025.
Le cannabis, bien que moins médiatisé, reste la drogue illicite la plus consommée en France, avec 50,4 % des adultes ayant expérimenté le produit en 2023, quatre fois plus qu’il y a 30 ans. Les saisies de cannabis ont toutefois diminué de 19 % en 2024, avec 101 tonnes interceptées, contre 124,7 tonnes en 2023. Les drogues de synthèse, comme l’ecstasy et la MDMA, connaissent également une forte hausse, avec 9 millions de cachets saisis en 2024, soit une augmentation de 123 % par rapport à l’année précédente.
Des réseaux criminels sophistiqués
Le rapport de l’Ofast détaille l’organisation pyramidale du narcotrafic en France, structurée en trois niveaux.
Le « haut du spectre » est une élite d’une centaine de grands importateurs, souvent basés à l’étranger (Dubaï, Émirats arabes unis, Maghreb, Espagne), en lien direct avec les cartels sud-américains. Ces acteurs blanchissent leurs profits via des réseaux internationaux.
Le « milieu du spectre » représente environ 5000 semi-grossistes, implantés dans les agglomérations françaises, qui alimentent et contrôlent les territoires de vente. Ils adoptent des stratégies entrepreneuriales, recrutant des profils atypiques comme des mineurs non accompagnés ou des femmes âgées pour brouiller les pistes.
Le « bas du spectre » sont les points de deal et réseaux locaux, impliquant potentiellement 200.000 personnes. Malgré une baisse de 32 % du nombre de points de deal (2729 en 2025 contre 4034 en 2020) grâce aux opérations « place nette », les trafiquants s’adaptent avec des systèmes mobiles, des livraisons à domicile et des lieux clandestins comme ce que le rapport appellent des « Airbnbeuh » (des endroits sécurisés pour les consommateurs), le tout appuyé par la digitalisation.
La « narco-corruption », une menace systémique
Le rapport met en lumière un phénomène particulièrement préoccupant : la « narco-corruption ». Les réseaux criminels, disposant de moyens financiers colossaux, corrompent des agents publics et privés pour faciliter leurs opérations.
« Aucune profession n’est épargnée », avertit Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l’Ofast, soulignant que « chaque personne a un prix ». Des fonctionnaires, des élus, et même des personnels d’aéroport, comme les bagagistes de Roissy impliqués dans un trafic démantelé en 2025, sont ciblés. Cette corruption, combinée aux menaces contre les institutions, constitue une menace majeure pour l’État de droit.
Le blanchiment d’argent, qui accompagne le narcotrafic, parasite de nombreux secteurs économiques. Des commerces de détail aux locations de voitures, en passant par l’immobilier, les profits illicites sont réinjectés dans l’économie légale, accentuant l’emprise des réseaux criminels. En 2024, 122 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis, mais cela ne représente que 11 % du total des saisies, illustrant l’ampleur du défi.
Un défi sanitaire et social majeur
Au-delà de la sécurité, le narcotrafic pose un défi sanitaire majeur. La consommation précoce de drogues, notamment de cocaïne et de drogues de synthèse, entraîne des risques graves pour la santé mentale et physique. L’émergence de nouvelles drogues de synthèse, comme le fentanyl, fait craindre une crise sanitaire comparable à celle qui frappe les États-Unis.
Les overdoses sont en augmentation : en 2023, 12 % des décès liés aux stupéfiants concernaient des jeunes de moins de 25 ans. Les addictions précoces, souvent associées à des troubles psychiatriques comme la dépression ou l’anxiété, compliquent la prise en charge. En 2023, 5065 passages aux urgences ont été liés à la consommation de cocaïne, dont 1670 hospitalisations.
Le coût social est également colossal. Selon une estimation de 2019, citée dans le rapport, le narcotrafic engendre 7,7 milliards d’euros de dépenses sociales, dont une part significative liée aux jeunes (soins, désinsertion scolaire, prises en charge judiciaire). Les centres d’addictologie, déjà débordés, peinent à répondre à la demande croissante, laissant de nombreux jeunes sans suivi. À cela s’ajoute la stigmatisation : les jeunes consommateurs ou ceux impliqués dans le trafic sont souvent marginalisés, ce qui aggrave leur vulnérabilité.
Une réponse de l’État encore insuffisante
Face à cette menace, l’État français tente de réagir. Les opérations « place nette » et « place nette XXL », lancées sous l’égide de l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ont permis de réduire le nombre de points de deal et d’interpeller des milliers de suspects.
Une opération d’envergure à Marseille, en avril 2025, a conduit à l’arrestation de 23 membres de la DZ Mafia, dont les huit « grands gérants » des points de deal de la cité de la Castellane. Cependant, la commission d’enquête du Sénat, dans son rapport de mai 2024, a jugé ces opérations peu probantes, critiquant un manque de moyens et de cohérence dans la stratégie globale.
Pour renforcer la lutte, une proposition de loi visant à « sortir la France du piège du narcotrafic » a été adoptée par l’Assemblée nationale le 29 avril 2025. Elle prévoit la création d’un Parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), un renforcement des moyens de l’Ofast, et des mesures pour saisir les biens des trafiquants. Cependant, des voix s’élèvent pour déplorer l’absence d’un volet prévention, notamment à destination des jeunes, et des moyens insuffisants pour la police et la justice.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Histoire et philosophie des sciences, Science de l'information. Actualités française et internationale.
Articles actuels de l’auteur









