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Sahel : « Le Mali s’est déjà effondré », alerte Loup Viallet

ENTRETIEN - La situation au Mali est inquiétante. Depuis le mois de septembre, le groupe djihadiste JNIM, affilié à Al-Qaïda, impose des blocus partout sur le territoire du pays africain, engendrant ainsi des pénuries massives de carburant.

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Photo: Crédit photo : Loup Viallet

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Durée de lecture: 12 Min.

Loup Viallet est géopolitologue et directeur du média Contre-Poison. Il faut se préparer à l’émergence d’une forme d’émirat djihadiste décentralisé au Sahel, prévient-il.
Epoch Times – Pourriez-vous revenir en détail sur ce qui est en train de se passer au Mali ? Quels sont les objectifs du groupe terroriste islamiste ?
Loup Viallet – Le péril djihadiste au Mali est plus critique aujourd’hui qu’il y a quinze ans, lorsque l’opération Serval a été déclenchée. La capitale du Mali subit une stratégie d’étranglement économique mise en place par le JNIM, un groupe djihadiste et mafieux lié à Al-Qaïda issu du nord du pays, qui n’a cessé d’avancer vers le sud – et donc vers la capitale Bamako – en particulier depuis le départ de l’armée française.
Les objectifs du JNIM sont multiples. Ils mettent en place une tactique de blocus économique sur les carburants importés du Sénégal et de la Côte d’Ivoire pour isoler Bamako du reste du pays, provoquer des émeutes, voire faire chuter le gouvernement. Leur stratégie ne vise pas tant à prendre Bamako qu’à délégitimer la junte au pouvoir et à étendre leur influence, d’abord sur les populations sahéliennes (le JNIM opère au Mali, au Burkina Faso, au Niger, dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Togo et du Bénin et à la frontière sénégalaise), puis sur les populations des pays du Golfe de Guinée : Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo etc.
Dans tous ces territoires, le JNIM cherche à se substituer à l’État en délégitimant le gouvernement, en prélevant l’impôt (zakat), en apportant une protection aux populations locales (sécurité et distribution de vivres), en contrôlant les routes commerciales et en imposant progressivement la charia (port du hijab obligatoire, puis interdiction de l’école aux femmes, abolition de la mixité scolaire…).
Aujourd’hui, il y a donc un risque réel d’effondrement du Mali ? Les djihadistes disposent-ils de moyens supérieurs aux troupes de la junte militaire d’Assimi Goïta ? Est-ce que Bamako est susceptible de tomber aux mains des djihadistes dans les semaines à venir ?
En réalité le Mali s’est déjà effondré. Le pays est complètement morcelé, durablement. La junte au pouvoir ne contrôle pas son territoire, elle ne doit sa survie qu’à l’aide internationale et à ses soutiens (chers payés) russes et turcs.
Je ne pense pas que le JNIM tente de conquérir Bamako. Sa stratégie est décentralisée, elle vise l’affaissement des pouvoirs institués. Une offensive sur Bamako se solderait sûrement par un échec inutile et contre-productif : les rapports de force sont déséquilibrés.
Les combattants djihadistes seraient, selon mes sources, trois à quatre fois moins nombreux que les troupes maliennes présentes à Bamako, lesquelles sont renforcées par la légion russe et les drones turcs. Dans l’hypothèse improbable d’une victoire, Bamako serait intenable. Les Bambaras sont l’ethnie majoritaire à Bamako, tandis que les combattants du JNIM sont Peuls et Touaregs. Le JNIM serait perçu comme une force d’occupation par la population bamakoise.
Comment la Russie, alliée du pouvoir en place, a-t-elle réagi aux blocus et aux attaques djihadistes? 
Le ministère des Affaires étrangères russe, qui chapeaute désormais la légion russe en Afrique, a … communiqué sur l’existence d’une prétendue campagne de désinformation qui viserait à déstabiliser les pays sahéliens, tout en reconnaissant la montée en puissance du JNIM au Mali. C’est dire leur impuissance.
Leur raison d’être au Mali n’était pas de succéder à Barkhane, mais de servir d’assurance-vie à la junte pour exploiter les ressources minières maliennes. Des éléments de l’Africa corps russe ont été vus samedi 15 novembre sécurisant le site d’orpaillage d’Intahaka (région de Gao, nord). Business as usual.
Peut-on craindre une intensification de la menace djihadiste vers d’autres pays du Sahel, sachant que le JNIM est déjà très actif au Niger et au Burkina Faso ?
On peut déjà constater l’extension de l’influence du JNIM sur les pays frontaliers du Mali. Son action déstabilise toute la sous-région. Selon un rapport du bureau de l’ONU en charge des affaires humanitaires publié la semaine dernière, le Mali compte plus de 400.000 déplacés internes et 335.000 réfugiés dans les pays voisins.
Au nord, le blocus de Léré (région de Tombouctou) provoque un afflux de réfugiés vers la Mauritanie – dans la région frontalière du Hodh El Chargui, les réfugiés maliens représenteraient près de 40 % de la population.
À l’ouest, la frontière sénégalo-malienne est sous pression. Le 1er juillet dernier, le JNIM a frappé sept localités maliennes situées à moins de deux kilomètres de la ville frontalière sénégalaise de Kidira.
Tandis que les forces armées maliennes concentrent leurs forces pour protéger les axes routiers du sud-ouest et garantir l’approvisionnement en carburants de la capitale, le JNIM étend aussi son emprise sur le sud-est du pays. A l’heure où nous parlons, la ville de Loulouni, située dans le sud-est du pays, non loin de la frontière avec le Burkina, vient de tomber aux mains du JNIM.
Cette prise de contrôle souligne le morcellement accéléré du pays ; Loulouni est proche de Sikasso, la seconde ville du Mali. Les miliciens dozos n’ont plus la capacité de sécuriser ce morceau du territoire face aux guerriers du JNIM. Dans cette région, on assiste déjà à des déplacements massifs de populations vers la Côte d’Ivoire.
Partout se pose le problème de la porosité des frontières. Celles-ci sont très étendues, difficilement contrôlables, et la quasi-absence de coopération entre les pays sahéliens n’aide pas à les protéger. Enfin et surtout, les régions frontalières du Mali sont particulièrement pauvres et peu alphabétisées. Elles constituent un terreau de premier choix pour le recrutement djihadiste. 
Quelles sont les conséquences d’une telle situation pour l’Europe et la France ?
 Il faut se préparer à un afflux continu et durable d’immigrés en provenance d’Afrique de l’Ouest et à l’émergence d’une forme d’émirat djihadiste décentralisé au Sahel, en conquête permanente de nouveaux territoires en Afrique de l’Ouest et au sud du Maghreb.
« Le modèle du califat s’impose au sud de l’Europe », avez-vous notamment réagi sur X. Que peut faire la France pour se protéger de la menace djihadiste grandissante au Sahel ?
On assiste en effet à une djihadisation par le bas de tout l’espace sahélien, phénomène qui progresse à la vitesse d’un cheval au galop.
Avant de se poser la question de ce que peut faire la France, examinons ce que peuvent faire les Africains. L’Union africaine et la CEDEAO, l’organisation continentale et l’organisation sous-régionale, sont complètement impuissantes face à ce phénomène. À peine peuvent-elles produire des communiqués ; ainsi il y a quelques jours, l’UA a pris sa plume pour lancer un appel urgent à la communauté internationale afin de soutenir le Mali dans sa lutte contre le terrorisme.
Passons aux États frontaliers : Sénégal, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Algérie, Guinée, Burkina, Niger. Ils sont déjà pour la plupart débordés par la progression djihadiste et par l’afflux de réfugiés. Les États qui parvenaient à faire tampon comme la Mauritanie sont en train de saturer sous la pression. Aucun d’entre eux n’a la capacité de fortifier durablement ses frontières (hormis l’Algérie, qui ménage ses relations avec les combattants du FLA au nord du Mali), ni de lancer une contre-offensive.
La France, de son côté, a amorcé, sous l’égide du ministre Lecornu, depuis 2022, une dynamique de retrait militaire d’Afrique. Fin de l’opération Barkhane au Mali, au Niger et au Burkina, fermeture des bases militaires permanentes au Sénégal et en Côte d’Ivoire. C’était une erreur historique, car seule l’armée française a l’expérience et l’expertise du terrain sahélien.
Ce qui se joue en ce moment, c’est l’organisation ou la désorganisation de notre frontière sud. Ne pas intervenir reviendrait à laisser la menace djihadiste s’amplifier au sud de nos frontières, et à laisser les principaux États d’où elle pourrait être contenue se faire progressivement gangrener. Ce contexte chaotique pourrait permettre à des puissances comme la Russie ou la Turquie d’étendre leur influence sur de nouveaux gouvernements africains afin de garantir, non pas la paix civile, mais la protection (éphémère) de régimes chancelants.
Cependant, une nouvelle opération Barkhane serait inimaginable dans les conditions actuelles. Et pour quels débouchés politiques ? Les fractures politiques maliennes (revendication de l’autonomie/et de l’indépendance du nord du Mali par les combattants de l’Azawad) sont plus profondes que jamais. Il serait sans doute impensable de penser régler la situation malienne en revenant au statu quo ante bellum. Le Mali, dans sa forme actuelle, n’a aucun avenir. Une mise sous tutelle du pays par l’ONU serait juridiquement possible mais politiquement irréalisable. A moins que l’UA et que l’ensemble de ses voisins ne s’y montrent favorables ?
Pour l’heure, il est urgent d’aider à la fortification des frontières des États frontaliers du Mali et de trouver un chemin pour que l’armée française revienne se positionner dans les pays du golfe de Guinée. Mais je doute qu’une initiative de cette nature puisse être prise par un gouvernement dirigé par Sébastien Lecornu, celui qui fut le ministre des Armées qui les a fermées en premier lieu.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.