Opinion
Reconnaissance d’un État palestinien : « Un acte diplomatique qui a surtout un impact sur le plan de la communication », analyse Gil Mihaely

Gil Mihaely est directeur de la publication de la revue de géopolitique Conflits.
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ENTRETIEN – Lors d’un discours devant la 80ᵉ Assemblée générale des Nations Unies à New York le 22 septembre, Emmanuel Macron a officiellement reconnu un État de Palestine. Une prise de parole onusienne qui n’a pas manqué de faire réagir la classe politique, le monde intellectuel et universitaire et d’autres leaders mondiaux. Si certains voient en la reconnaissance d’un État palestinien un « cadeau » aux terroristes islamistes du Hamas, d’autres estiment qu’il était plus que temps de prendre cette décision.
Gil Mihaely est directeur de la publication de la revue de géopolitique Conflits. Cette décision diplomatique fait beaucoup de bruit et a un impact symbolique très fort, explique-t-il.
Epoch Times – Pour quelles raisons Emmanuel Macron a-t-il choisi de reconnaître un État palestinien ?
Gil Mihaely – Premièrement, Emmanuel Macron ne fait plus confiance à Benjamin Netanyahou. C’est la raison la plus importante.
Ensuite, derrière cette décision, il y a de la part du chef de l’État des calculs de politique intérieure et extérieure. Emmanuel Macron souhaite retrouver un élan chiraquien vis-à-vis du monde arabe, mais aussi vis-à-vis des États-Unis.
Autrement dit, faire de la France une puissance reconnue auprès des pays arabes et ne pas apparaître comme un laquais de l’Amérique.
Mais je pense sincèrement que s’il y avait une relation basée sur la confiance entre les deux dirigeants, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
D’ailleurs, en réalité, quand on analyse la position de la France, elle n’est pas aussi éloignée des intérêts israéliens que certains le prétendent. Paris soutient la libération des otages sans conditions, le désarmement du Hamas, l’absence de rôle de l’organisation terroriste dans la situation politique d’après-guerre au profit d’une Autorité palestinienne entièrement réformée. Plus concrètement, la France souhaite la tenue d’élections et donc un gouvernement qui a la légitimité des urnes.
Ainsi, du point de vue israélien, il est difficile de demander plus.
Mais avec le temps, les chancelleries ont réalisé que le Premier ministre israélien ne souhaite pas vraiment résoudre cette crise et qu’il n’est pas dans le même état d’esprit qu’en 2014 lors de l’opération Bordure protectrice. À l’époque, il avait employé la force de manière mesurée, résistant aux demandes de certains ministres d’aller plus loin et d’en finir avec le Hamas et cherchait à avoir un cessez-le-feu. Ce qu’il a finalement obtenu avec une sorte de statu quo.
Barack Obama et François Hollande voyaient en lui quelqu’un qui comprend qu’il n’y a pas de solution militaire facile à Gaza et qu’Israël risque de payer un prix fort s’il essaye de résoudre le problème sans dimension politique. Pendant longtemps, la plupart des dirigeants occidentaux lui ont donc fait confiance.
Et puis, la manière dont il a géré la guerre au Liban après le 7 octobre lui a apporté un certain nombre de points positifs.
Il n’a pas frappé le Hezbollah à l’aveugle. Benjamin Netanyahou a fait usage de la force rapidement et de manière ciblée. Et les territoires occupés sont très limités.
Par conséquent, Israël a d’une certaine manière obtenu le feu vert des Occidentaux pour frapper quand bon lui semble le Hezbollah et faire en sorte que le gouvernement libanais retrouve progressivement une forme de souveraineté.
Mais depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, Emmanuel Macron commence à comprendre que le Premier ministre israélien, contrairement à ce qu’il dit, ne manipule pas les messianiques, et qu’il s’est peut-être laissé convaincre par leur projet. C’est-à-dire régler en quelques années d’efforts et de souffrances des problèmes restés sans solution depuis 80 ans.
Une politique inacceptable pour le président français et d’autres leaders du monde occidental qui ont décidé d’y répondre en reconnaissant un État palestinien. Ils ont choisi cet outil qui fait effectivement beaucoup de bruit et a un impact symbolique très fort. Cela donne l’impression à certaines personnes de vivre un moment historique et qu’il y aura du jour au lendemain un État palestinien.
Évidemment, ce choix diplomatique présente certains défauts. D’abord, il fait de facto revenir ces pays sur leur parole. La France et les autres avaient promis de ne pas reconnaître un État palestinien avant la libération de tous les otages. La Belgique avait même fait savoir qu’elle ne prendrait pas cette décision tant que le Hamas serait à la tête de Gaza.
Puis, c’est un acte diplomatique qui a surtout un impact sur le plan de la communication.
Il n’y a rien pour l’instant qui s’est concrétisé dans le monde réel, mais c’est un coup diplomatique très fort.
Maintenant, est-ce que la France va aller au-delà et commencer à sanctionner l’État hébreu ? Je pense que ce n’est pas ce qu’elle souhaite.
« Cette reconnaissance de l’État de Palestine est une défaite pour le Hamas comme pour tous ceux qui attisent la haine antisémite, nourrissent des obsessions antisionistes et veulent la destruction de l’État d’Israël », a-t-il notamment déclaré…
Cette décision est à la fois une victoire et une défaite pour le Hamas. Pour ceux qui estiment que sans le Hamas, Israël n’aurait pas pu être ébranlé le 7 octobre 2023, c’est une victoire.
Mais pour ceux qui ont écouté le discours d’Emmanuel Macron à l’ONU, c’est une défaite pour l’organisation terroriste puisque le président de la République a bien précisé que le Hamas n’avait aucun avenir dans le futur État palestinien.
Malheureusement, nous avons vu que dans ce conflit, il s’agit d’adresser des messages vers des masses peu cultivées, radicalisées et qui arborent le drapeau palestinien sans comprendre réellement la situation. Et ces masses constituées de millions de personnes forment en quelque sorte le principal outil politique et médiatique dont dispose le Hamas.
À ce niveau simpliste de communication, on peut estimer que la reconnaissance d’un État palestinien est un cadeau pour les terroristes islamistes.
Cette décision va avoir de lourdes conséquences sur les relations franco-israéliennes. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a menacé la France de représailles. Comment voyez-vous la situation ?
Les relations entre la France et Israël sont très complexes puisqu’elles concernent un grand nombre de sujets. Par exemple, Paris est très impliqué dans le dossier libanais et a laissé Israël agir, comme je le disais, comme bon lui semble, pour faire en sorte que Beyrouth retrouve une pleine souveraineté sur son territoire et mette fin à la domination du Hezbollah et donc de Téhéran.
Encore une fois, Emmanuel Macron sait que sur le front libanais, Benjamin Netanyahu s’est comporté de manière plus que raisonnable.
Ensuite, il y a la question de l’Iran. La France est aujourd’hui à la tête des pays qui mettent la pression sur la république islamique, à travers le mécanisme « snapback » permettant de réimposer des sanctions. Et je pense que Paris est plutôt satisfait de la politique iranienne d’Israël.
Évidemment, il y a plein d’autres dossiers qui nécessitent une bonne entente avec Israël. Je pense notamment au Yémen, à Chypre et à la Grèce.
La France et Israël, in fine, ne peuvent pas se permettre d’avoir des relations trop dégradées.
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a salué la décision « historique » et « courageuse » de la France. « Le Hamas n’aura aucun rôle dans le gouvernement. Le Hamas et les autres factions doivent remettre leurs armes à l’Autorité palestinienne », a-t-il également déclaré avant de condamner les massacres du 7 octobre. En même temps, aujourd’hui, l’Autorité palestinienne ne semble pas être une organisation crédible. Qu’en pensez-vous ?
Elle n’est effectivement plus crédible. C’est la raison pour laquelle tous les pays qui ont reconnu la Palestine ont dit que l’Autorité palestinienne devait être réformée avant de prétendre à un rôle politique.
C’est-à-dire a minima, mettre fin à la corruption, instaurer des élections et ainsi faire partir Mahmoud Abbas.
Tout cela va prendre beaucoup de temps.
De leur côté, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie ont aussi reconnu un État palestinien. Êtes-vous surpris ?
Non. Il s’agit pour ces pays de tenir tête à Donald Trump sur un dossier important, sans pour autant entrer en guerre frontale contre lui et faire savoir à Benjamin Netanyahou qu’il est en train de franchir la ligne rouge.
Après, si on rentre dans les détails, on se rend compte que les Canadiens ont des problèmes avec le président républicain. Il a indiqué à plusieurs reprises vouloir faire du Canada le 51ᵉ État américain …
Pour ce qui est des Australiens, ils ont l’impression d’être mis de côté dans l’alliance que l’Amérique construit avec l’Inde. Sans oublier l’affaire des sous-marins. Les Américains et les Britanniques ont torpillé l’accord franco-australien. Maintenant, les Australiens commencent à comprendre qu’ils n’auront pas les sous-marins que les États-Unis leur ont promis.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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