Côte d'Ivoire
Présidentielle en Côte d’Ivoire : le triomphe programmé d’Alassane Ouattara sans adversaires
Alassane Ouattara a remporté samedi la présidentielle ivoirienne avec un score écrasant de 89,77% des voix. À 83 ans, le chef d'État s'offre un quatrième mandat au terme d'un scrutin marqué par l'absence de ses principaux rivaux et un tour de vis sécuritaire inédit.

Le président ivoirien, Alassane Ouattara (ctre), vote au bureau de vote du lycée Saint-Marie à Cocody, Abidjan, le 25 octobre 2025, lors de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire.
Photo: SIA KAMBOU/AFP via Getty Images
L’entourage présidentiel affirme qu’Ouattara aurait souhaité affronter ses deux principaux adversaires pour « les battre une bonne fois pour toutes ». Pourtant, les faits racontent une autre histoire. Laurent Gbagbo, 80 ans et prédécesseur d’Ouattara, a été écarté pour condamnation pénale. Tidjane Thiam, banquier international, s’est vu radié des listes électorales pour des questions de nationalité.
Le pouvoir disposait de leviers pour les réintégrer – une amnistie pour l’un, un décret pour l’autre. Il a choisi de ne pas les utiliser, invoquant le respect de la justice. L’opposition, elle, dénonce une stratégie délibérée d’évitement.
Un Front commun qui s’effondre
Les partis de Gbagbo et Thiam n’ont jamais envisagé de plan B ni de véritable alliance électorale. Leur seule riposte : un Front commun pour dénoncer leurs exclusions. Mais face à l’interdiction progressive des marches et meetings, et la répression systématique de leurs rassemblements ces deux dernières semaines, ce front s’est révélé impuissant.
Le gouvernement a justifié cette répression par l’existence de projets « terroristes » ou insurrectionnels, sans jamais fournir de détails. Tidjane Thiam, exilé depuis mars, a échoué dans ses démarches diplomatiques internationales. Quant à Gbagbo, il s’est contenté de dénoncer « un braquage électoral » avant d’évoquer sa future retraite politique.
La machine RHDP : un rouleau compresseur politique
Depuis 2010, le parti présidentiel RHDP s’est transformé en une machine implacable. Avec des moyens colossaux, il contrôle désormais une majorité écrasante des régions et communes, y compris d’anciens bastions de l’opposition.
Durant les deux dernières années, ministres et cadres ont quadrillé le territoire presque chaque week-end, organisant meetings et réunions pour préparer ce quatrième mandat. Cette domination menace l’opposition d’extinction, notamment avec les législatives de décembre qui s’annoncent catastrophiques pour elle.
Le casse-tête de la succession
À 83 ans, Ouattara reste le principal ciment de son parti, mais n’a pas préparé de successeur. Son entourage assure qu’il avait « essayé » en 2020, en désignant Amadou Gon Coulibaly. Le décès brutal de ce dernier a rebattu les cartes.
Depuis, le président évoque régulièrement « une demi-douzaine de noms », mais « aucun ne coche toutes les cases », selon un proche. La succession pourrait devenir le sujet brûlant du quinquennat, d’autant que la Constitution lui interdit un cinquième mandat.
Jeunesse absente, fracture persistante
Dans un pays où 75% de la population a moins de 35 ans, la question générationnelle est cruciale. Pourtant, contrairement à d’autres pays africains, la Côte d’Ivoire ne connaît pas de mouvement de colère de la « Gen Z ».
« La classe politique dans son ensemble ne sait plus parler aux jeunes. Ces derniers ne se sentent concernés par rien, car il n’y a aucune offre politique pour eux », analyse le sociologue Séverin Yao Kouamé, qui évoque un « vrai désenchantement électoral ».
Samedi, Ouattara a convaincu 3,7 millions d’Ivoiriens, soit moins de 45% des inscrits. S’il est arrivé en tête dans tous les départements, la géographie du vote révèle une fracture inquiétante. Participation écrasante dans le nord malinké, son bastion, mais faible dans le sud et l’ouest akan, krou et wè.
« La géographie du vote est encore largement basée sur les identités et les peurs. Les gens sont démarchés sur la question ethnique et sur la menace que les autres pourraient représenter », souligne Kouamé.
« Le pays est tenu et maintenu »
Malgré une dizaine de morts avant et pendant le scrutin, beaucoup d’Ivoiriens retiendront une présidentielle calme, avec des incidents limités à quelques localités. Un contraste saisissant avec les crises électorales de 2010-2011 (3.000 morts) et 2020 (85 morts).
D’autres, en revanche, évoqueront un scrutin verrouillé, sans opposant de premier plan ni enthousiasme populaire.
Sur un carrefour d’Abidjan dimanche soir, un policier contrôlant les rares voitures résumait la situation avec satisfaction : « Le pays est tenu et maintenu. »
Avec AFP

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