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Transferts de bénéfices

Délocalisation des profits : le coût caché pour la France, 10 milliards d’euros évaporés chaque année

Environ 300 grands groupes français transfèrent annuellement plus de 10 milliards d'euros de bénéfices générés sur le territoire national vers des destinations étrangères. Ce phénomène massif ampute les caisses de l'État de 3,7 milliards d'euros par an et pèse directement sur les revenus des employés, révèle une enquête de l'Observatoire européen de la fiscalité publiée jeudi.

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L'économiste français Gabriel Zucman s'adresse à la presse après avoir participé à un débat sur l'imposition des super-riches, à l'Assemblée nationale à Paris, le 1er octobre 2025.

Photo: STEPHANE DE SAKUTIN/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 4 Min.

Cette analyse, pilotée par l’organisation de l’économiste Gabriel Zucman, intervient alors que le Parlement débat du budget et pourrait alimenter les discussions sur la fiscalité des sociétés.

Des données inédites sur 314 multinationales

L’étude repose sur des informations « inédites » concernant 314 multinationales françaises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires entre 2016 et 2022.
Depuis 2016, les entreprises ont l’obligation de déclarer aux autorités fiscales l’ensemble de leurs profits mondiaux, ce qui constitue une « révolution pour la recherche dans ce domaine », explique à l’AFP Alice Chiocchetti, coauteure de l’étude et chercheuse à la Paris School of Economics.

Les paradis fiscaux en première ligne

Selon les résultats, les multinationales françaises relocalisent 18% de leurs bénéfices avant impôts réalisés en France vers l’étranger, soit 10,3 milliards d’euros annuels entre 2016 et 2022. Les destinations privilégiées ? Le Luxembourg, la Suisse, Singapour, les Pays-Bas et Hong-Kong.
Cette stratégie d’optimisation fiscale prive l’État de 3,7 milliards d’euros de recettes fiscales par an durant la même période, représentant 7% du total de l’impôt sur les sociétés.
« On fait l’hypothèse que si ces profits étaient relocalisés en France, ils seraient taxés au même taux qu’actuellement », précise Alice Chiocchetti à l’AFP, ajoutant qu’il s’agit d’une « hypothèse assez conservatrice, car on sait qu’elle bénéficient de crédits d’impôts qui leurs permettent d’avoir des taux effectifs faibles » comparés au taux normal d’imposition.

Une concentration aux mains des géants

La concentration du phénomène est frappante : près de la moitié des profits délocalisés proviennent des 15 plus grandes entreprises de l’échantillon. Ces groupes recourent à divers mécanismes d’optimisation, notamment la localisation d’actifs de propriété intellectuelle comme les brevets dans des pays à faible fiscalité.

Les salariés, premières victimes

L’impact se répercute directement sur la redistribution des bénéfices aux employés, puisque les primes de participation sont calculées selon les profits réalisés en France.
« Pour les salariés des 314 entreprises de l’échantillon travaillant pour une filiale identifiée comme délocalisant des profits (soit 800.000 salariés sur 2 millions au total), cela engendre une perte de revenus comprise entre 357 euros et 919 euros par an en moyenne sur la période, selon les deux hypothèses retenues », détaille Mme Chiocchetti.
Les travailleurs aux salaires les plus modestes sont particulièrement touchés, souligne l’analyse.

L’affaire Lactalis et les plaintes en cascade

Fin novembre, plus de 500 employés et anciens employés du groupe laitier Lactalis ont déposé plainte auprès du Parquet national financier (PNF), estimant être victimes d’une fraude fiscale de leur employeur.
L’entreprise avait versé 475 millions d’euros au fisc en décembre 2024. Les salariés lui reprochent d’avoir sous-estimé ses bénéfices et réduit les primes de participation. D’autres groupes font face à des accusations similaires.

Une pratique mondiale, mais pas la plus agressive

Les entreprises françaises qui délocalisent leurs profits « ne sont pas les plus agressives sur le plan fiscal, et les entreprises américaines semblent être de loin celles qui font le plus d’optimisation fiscale », observe Alice Chiocchetti.
L’étude propose notamment de prendre en compte la « profitabilité mondiale » de ces multinationales pour calculer le partage de la valeur, une piste qui pourrait redessiner les contours de la fiscalité internationale.
Avec AFP