Opinion
Pourquoi les Français ont-ils une aussi mauvaise culture économique ?

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Photo: DENIS CHARLET/AFP via Getty Images
Ce constat n’est pas nouveau : depuis des décennies, économistes, patrons et politiques déplorent cette « inculture économique » qui freine les réformes et alimente les malentendus sur les mécanismes économiques du marché. Mais pourquoi les Français, pourtant éduqués et informés, peinent-ils tant à saisir les rouages de l’économie ? Une piste majeure réside dans leur accoutumance à une administration pléthorique qui façonne une vision étatiste du monde, au détriment d’une compréhension libérale et entrepreneuriale.
L’héritage d’un État omniprésent, renforcé à l’après-guerre par des décennies de politiques sociales, a créé une dépendance qui obscurcit la perception économique. En effet, quand l’État gère tout – des retraites aux subventions agricoles –, les citoyens perdent de vue les principes de base comme l’offre et la demande, ou les coûts réels des services publics ainsi que leur rapport coût/bénéfice. Ajoutez à cela un système fiscal parmi les plus lourds d’Europe, et vous obtenez une population qui voit l’économie non comme un outil d’émancipation, mais comme une menace ou une abstraction lointaine.
Dans le cadre des débats sur la réforme des retraites, malgré des explications chiffrées, une large frange de l’opinion publique rejette les arguments sur le recul de l’âge de la retraite, préférant invoquer des droits acquis sans considérer les déficits croissants du système et une population de plus en plus vieille et vivant de plus en plus longtemps. Ce rejet n’est pas isolé ; il reflète une culture où l’économie est perçue comme une affaire d’élites, plutôt qu’une réalité quotidienne à la portée de chacun.
Une culture économique en berne
Les sondages et études internationales sont unanimes : la France accuse un retard notable en matière de culture économique. Selon une enquête de la Banque de France et de l’OCDE, les Français obtiennent des scores inférieurs à la moyenne des pays développés dans des tests basiques sur l’inflation, les intérêts composés ou les risques financiers. Par exemple, seulement 31 % des adultes français comprennent correctement comment l’inflation érode le pouvoir d’achat, contre 45 % en Allemagne ou 50 % au Royaume-Uni.
Ce déficit n’est pas anodin. L’Institut Sapiens estime qu’il coûte à l’économie française environ un point de croissance par an, en freinant les investissements et en alimentant des politiques populistes. Pierre Robert, auteur de Fâché comme un Français avec l’économie, explique dans son ouvrage que cette inculture provient d’un mélange de facteurs historiques et culturels : « Les Français ont une relation ambivalente à l’argent, vu comme sale ou immoral, influencée par un catholicisme latent et une gauche marxiste qui diabolise le capitalisme. »
En 2024, lors des débats sur le budget, une enquête Elabe révélait que 69 % des Français ignoraient que les impôts financent majoritairement la sécurité sociale, pensant à tort que l’État « créait » de l’argent.
Comparativement, des pays comme la Suisse ou les États-Unis intègrent l’éducation financière dès le primaire, ce qui explique leurs meilleurs scores en culture économique. En France, cette lacune se traduit par une faible participation aux marchés boursiers : seulement 15 % des ménages investissent en actions, contre 50 % aux USA. Résultat ? Une épargne massive en livrets A, peu rentable, et une vulnérabilité accrue aux crises.
Le poids d’une administration omniprésente
L’une des raisons principales de cette faible culture économique est l’habitude à une administration lourde, qui étouffe l’initiative individuelle et masque les réalités du marché.
La France compte environ 5,6 millions de fonctionnaires, soit 20 % de la population active, un record en Europe occidentale. Cette bureaucratie, héritée du colbertisme et renforcée par l’État-providence post-1945, gère tout : santé, éducation, transports, culture. Les Français sont ainsi habitués à ce que l’État intervienne partout, ce qui réduit leur exposition aux mécanismes économiques purs.
Créer une société en France nécessite en moyenne 42 jours et 7 procédures, contre 4 jours par exemple en Nouvelle-Zélande. Cette complexité administrative décourage l’entrepreneuriat et renforce l’idée que l’économie est une affaire d’État, pas d’individus. Un rapport de la Cour des comptes en 2024 soulignait que les normes administratives coûtent 60 milliards d’euros par an à l’économie, en temps et en paperasse.
Cette omniprésence crée une dépendance : les Français attendent de l’État qu’il résolve les problèmes, sans comprendre les contreparties. Frédéric Bastiat, économiste du XIXe siècle, dénonçait déjà cette « allergie » française à l’économie libérale, notant que les citoyens veulent « plus d’État mais moins d’impôts et de règles ». En 2025, avec une dette publique à 115 % du PIB, cette vision est périlleuse.
Historiquement, cela remonte à la Révolution française, où les taxes inégales ont conduit à la chute de l’Ancien Régime. Mais au lieu de promouvoir la liberté économique, la France a opté pour un centralisme jacobin, qui persiste. Résultat : une population qui voit l’économie comme un jeu à somme nulle, où l’État redistribue plutôt que de créer de la valeur.
L’accoutumance aux impôts élevés
Lié à l’administration, le système fiscal français est un autre pilier de cette inculture. Avec des prélèvements obligatoires à 45,2 % du PIB en 2024 – le plus élevé de l’OCDE après le Danemark –, les Français sont habitués à des impôts massifs, qui financent un modèle social généreux. Mais cette habitude masque les coûts réels et décourage la liberté économique.
D’abord, les impôts élevés créent une illusion de gratuité : santé « gratuite », éducation « gratuite », mais financées par des taxes devenues invisibles comme la TVA ou les cotisations sociales. Peu savent que le salarié moyen est taxé à plus de 50 % en France.
Ensuite, le système fiscal complexe – avec plus de 400 niches fiscales coûtant 80 milliards d’euros – rend l’économie opaque. Une réforme récente de l’impôt sur la fortune en 2025 a montré comment l’information influence le comportement : en simplifiant les déclarations, le gouvernement a vu une hausse de 10 % des recettes, car les contribuables mieux informés évitent l’évasion.
Les experts s’accordent sur le fait que cette fiscalité lourde freine la croissance. Une publication du Centre for Economic and Policy (CEPR), basé à Londres, note que « la structure fiscale française distord le capital et le travail, décourageant l’investissement ».
Culturellement, les impôts sont vus comme un devoir moral, mais leur poids alimente de plus en plus un ressentiment, sans avoir des clés de compréhension sur la perte de liberté économique. Dans les manifestations ces dernières années sur le pouvoir d’achat, comme celle des Gilets jaunes en 2018-2019, les revendications ne portaient jamais sur la question de la fiscalité. Ce n’est que récemment qu’un mouvement, né de l’expression « C’est Nicolas qui paie » est en train de devenir une nouvelle contestation anti-impôts dans la France contemporaine. Nicolas symbolise ici le contribuable ordinaire, écrasé par la pression fiscale.
Autres facteurs contributifs
Au-delà de l’administration et des impôts, d’autres éléments aggravent le problème. L’éducation nationale accorde peu d’heures à l’économie : seulement 4 heures par semaine en terminale ES, souvent biaisées vers l’interventionnisme de l’État. Les médias, eux, privilégient les scandales économiques plutôt que l’explication pédagogique.
La France a également été marquée par une forte tradition socialiste basée sur la redistribution des richesses, qui a éloigné une partie de la population des principes du libéralisme économique et de l’effort nécessaire pour obtenir de l’argent. Dès le XIXe siècle, les mouvements ouvriers et les idées socialistes, puis communistes, ont façonné une vision critique du libéralisme. Cette culture socialiste, particulièrement forte au XXe siècle, a conduit à une glorification des solutions collectives, souvent portées par l’État, au détriment de l’initiative individuelle ou du secteur privé.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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