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Pourquoi le diagnostic de la démence prend-il autant de temps - et comment l’accélérer ?

Détecter la démence tôt, c’est offrir de meilleurs traitements, une meilleure organisation et plus de sérénité aux familles. La mère de Jennifer Fink a commencé à faire des erreurs au travail, sans que cela semble inquiétant au départ. La famille dirigeait une entreprise de photographie, et il lui arrivait d’oublier de noter des dates de livraison ou d’omettre des consignes importantes sur les commandes des clients.

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Photo: Jalisko/Shutterstock

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Durée de lecture: 13 Min.

Mais les problèmes se sont aggravés jusqu’au jour où sa mère n’a plus su reconnaître sa propre écriture sur une commande de restauration de photo.
« C’était une journée amusante », se souvient Jennifer Fink, avec ironie, dans une interview accordée à Epoch Times. À 53 ans, sa mère paraissait bien trop jeune pour un déclin lié à l’âge, si bien que la famille attribuait ces oublis à la distraction ou au stress.
Les oublis survenaient souvent vers la fin de la semaine de travail. Si la famille trouvait cela frustrant, l’hypothèse d’une démence n’était même pas envisagée.

Retard de diagnostic : pourquoi il est si fréquent

Des histoires comme celle-ci sont courantes. Une méta-analyse récente portant sur 13 études et plus de 30.000 personnes, dont l’âge au début des symptômes variait de 54 à 93 ans, a montré qu’il faut en moyenne trois ans et demi pour recevoir un diagnostic de démence après l’apparition des premiers signes. Chez les personnes plus jeunes ou atteintes de démence frontotemporale, le délai est encore plus long — plus de quatre ans en moyenne.
Les premiers signes de démence ressemblent souvent à un simple oubli ou à du stress, et, dans un contexte de soins parfois lacunaire, les familles peuvent attendre des années avant d’obtenir un diagnostic.
Malgré le fardeau croissant de la démence dans le monde, la plupart des personnes atteintes ne reçoivent jamais de diagnostic formel. Les recherches montrent que seuls 20 % à 50 % des malades sont diagnostiqués dans les pays riches, et encore moins dans les régions à faible revenu. Avec la croissance rapide du nombre de cas, les systèmes de santé, déjà confrontés à des retards de diagnostic et de prise en charge, seront soumis à une pression accrue.
Selon la Dre Barbara Sparacino, psychiatre diplômée en psychiatrie adulte et gériatrique, plusieurs obstacles expliquent ces retards. Les patients peuvent paraître normaux lors de courtes consultations, dissimulant ainsi leurs difficultés. Les médecins, souvent isolés dans leur spécialité — neurologie, psychiatrie, médecine générale — ne partagent pas toujours leurs observations, si bien qu’aucun ne relie les signes entre eux. La stigmatisation pousse aussi les familles à minimiser les symptômes. « Tous ces facteurs retardent les conversations franches et les évaluations », a déclaré à Epoch Times Barbara Sparacino.
À première vue, beaucoup de familles pensent que les symptômes de démence apparaissent soudainement. Pourtant, comme le souligne la psychiatre, « avec un historique précis, on peut souvent retracer les changements subtils sur trois à cinq ans ». Reconnaître ces signes précoces pourrait offrir une fenêtre pour intervenir et planifier plus tôt — d’où l’importance de la sensibilisation et du dépistage.

Vieillissement normal… ou premiers signes de démence ?

Aux premiers stades de la démence, les neurones perdent leurs connexions et des protéines comme l’amyloïde et la tau perturbent la communication.
« Cela peut provoquer des troubles légers, comme des difficultés à trouver ses mots ou à faire plusieurs choses à la fois, souvent confondus avec un vieillissement normal », explique le Dr Luke Barr, neurologue dans une interview accordée à Epoch Times.
Une revue systématique de 32 études menées dans 13 pays a révélé que, parmi les obstacles fréquents au diagnostic — déni, peur, stigmatisation, manque d’information, désir de préserver son autonomie, ou accès limité aux soins —, le fait de considérer les symptômes comme un simple vieillissement joue aussi un rôle. Les aidants peinent souvent à reconnaître les changements et à trouver du soutien. À l’inverse, le fait d’identifier les signes comme inhabituels, d’avoir des connaissances médicales ou un entourage attentif favorise la recherche d’aide.
Jennifer Fink, dont la mère n’a été diagnostiquée qu’après onze ans, se souvient à quel point les premiers signes avaient été négligés.
Après un grave accident de voiture en décembre 1991, sa mère semblait remise, mais dès 1995 ou 1996, de petits changements sont apparus — que Jennifer Fink ne reconnaît qu’avec le recul.
« À l’époque, nous pensions que c’était la ménopause », raconte-t-elle. Ce n’est qu’en 2008, lorsque sa mère a été refusée comme donneuse de rein pour son père à cause de troubles cognitifs, que l’étendue de son déclin est apparue. « Beaucoup de signes d’alerte pouvaient tout aussi bien passer pour de l’anxiété, un trouble de l’attention non diagnostiqué, la ménopause ou le stress. »
Certains des premiers signes ne concernent pas seulement la mémoire, précise Barbara Sparacino. Il peut s’agir de changements subtils du jugement, de la personnalité ou du fonctionnement quotidien. Une famille peut remarquer qu’un proche, autrefois rigoureux dans la gestion de ses finances, prend soudain des décisions inhabituelles, ou qu’une personne sociable devient plus réservée. Les répétitions — comme poser plusieurs fois la même question — sont souvent remarquées, mais d’autres signes plus discrets, tels que la désorientation dans des lieux familiers, les difficultés à suivre une conversation ou une perte d’initiative, passent inaperçus.

Démence à début précoce : reconnaître les changements de personnalité

La démence est dite « à début précoce » lorsqu’elle se développe avant 65 ans. La démence frontotemporale, qui touche les lobes frontaux et temporaux du cerveau, apparaît généralement entre 45 et 65 ans, bien qu’elle puisse survenir plus tôt ou plus tard.
Plusieurs formes de démence peuvent survenir avant 65 ans. Par exemple, la maladie d’Alzheimer débute souvent par des troubles de mémoire, tandis que la démence frontotemporale, vasculaire ou à corps de Lewy peuvent également apparaître plus tôt. « La démence à début précoce se manifeste souvent moins par des pertes de mémoire que par des changements de personnalité ou de comportement », explique Barbara Sparacino. « Dans la démence frontotemporale, une personne peut devenir impulsive, perdre de l’empathie ou agir “hors de caractère” bien avant que la mémoire ne soit touchée. Comme ces changements ressemblent à des troubles psychiatriques, le diagnostic est souvent retardé. »
Une étude publiée en 2022 dans Brain a montré que les symptômes psychiatriques de la dégénérescence lobaire frontotemporale dépendent de la localisation et de la quantité de protéines anormales accumulées dans le cerveau. L’étude indique aussi que d’autres altérations cérébrales — comme celles observées dans la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson — influencent la manière dont la maladie se manifeste chez chaque individu.
Dans le même sens, un rapport de cas publié en 2023 décrit une femme de 53 ans d’abord diagnostiquée bipolaire après des signes de retrait social, d’impulsivité, d’oubli et de comportements inadaptés. Des examens cérébraux ont ensuite révélé des lésions dans les lobes frontaux et temporaux, conduisant à un diagnostic de démence frontotemporale.
« Les différences biologiques comptent énormément », souligne le Dr Barr. « Comme les symptômes varient d’une personne à l’autre, il faut parfois du temps pour comprendre ce qui se passe réellement et poser le bon diagnostic. »

Réduire les délais de diagnostic : tests et solutions pratiques

Les tests sanguins mesurant certaines protéines anormales, associés à des outils d’imagerie révélant les changements cérébraux, pourraient aider à détecter plus tôt les différents types de démence, selon le Dr Barr. « Certains existent déjà, comme la tomographie par émission de positons (TEP) ou l’analyse du liquide céphalo-rachidien, mais ils sont coûteux ou invasifs. »
Une étude publiée en 2024 dans JAMA Network, portant sur plus de 1200 patients, a montré que les tests sanguins pouvaient détecter la maladie d’Alzheimer avec une précision de 88 % à 92 %. À titre de comparaison, les médecins de soins primaires posaient un diagnostic correct dans 61 % à 73 % des cas ; l’ajout du test sanguin faisait grimper l’exactitude à 91 %, démontrant son potentiel pour un dépistage plus précoce.
Les recherches indiquent que, si certains examens standards sont courants, beaucoup d’outils diagnostiques précieux restent sous-utilisés. Une revue systématique publiée en août, portant sur plus de 650.000 personnes atteintes de démence âgées de 67 ans et plus, a révélé qu’entre 2015 et 2020, environ 72 % avaient subi des analyses sanguines, 54 % des examens d’imagerie comme des scanners ou IRM, mais seulement 2 % des analyses du liquide céphalo-rachidien. Les examens avancés, tels que la TEP, étaient utilisés dans moins de 1 % des cas — preuve que de nombreux moyens efficaces de détection précoce restent largement négligés.
Les analyses du liquide céphalo-rachidien et les examens TEP ne sont généralement disponibles que dans des centres spécialisés, et non dans les cabinets de médecine générale.

Comment agir pour détecter la démence plus tôt

Selon Barbara Sparacino, trois approches permettent de repérer plus tôt la démence :
Effectuer un dépistage systématique : réaliser un test cognitif régulier chez les personnes âgées, comme on contrôle la tension ou le cholestérol. Trop souvent, on ne s’y intéresse que lorsque le déclin devient visible, alors que les changements subtils sont déjà présents depuis des années.
• Former les praticiens : apprendre aux soignants à reconnaître les signes d’alerte comme les troubles des fonctions exécutives, la perte d’initiative ou les changements de comportement.
• Favoriser la collaboration entre spécialités : encourager psychiatres, neurologues et généralistes à partager leurs observations au lieu de travailler isolément.
Pour les proches aidants, en cas d’inquiétude, il est conseillé de tenir un carnet où noter la date, le moment, les faits observés et ce qui a suscité l’alerte. Dans le meilleur des cas, aucun schéma ne se dégagera et l’on pourra être rassuré. Mais le plus souvent, un motif apparaîtra, et ce carnet pourra servir de preuve utile à présenter au médecin.
Jennifer Fink précise que, sa grand-mère vivant déjà avec une démence vasculaire, sa mère était déterminée à ne pas « finir comme elle » et avait évité les examens qui auraient pu apporter des réponses.
La mère de Jennifer Fink présentait pourtant deux ou trois signes précoces de la maladie d’Alzheimer.
« Avec le recul, j’aimerais pouvoir reconnaître aujourd’hui que le fait d’oublier de remplir des commandes pour que quelqu’un d’autre s’en charge était un signe d’alerte. Avec les tests sanguins et les traitements précoces dont nous disposons désormais, tout aurait pu être beaucoup plus simple. »
 
Hadia Zainab est journaliste spécialisée dans la santé et candidate au doctorat en physiothérapie au Sialkot Medical College. Son expérience dans la gestion de problèmes de santé tels que les accidents vasculaires cérébraux, la paralysie, les soins pédiatriques et la rééducation en soins intensifs éclaire ses écrits. Hadia valorise la gentillesse, l'empathie et une communication claire pour combler le fossé entre les patients et les prestataires de soins de santé.

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