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Patrice Touraine : « La France a la possibilité de faire face à un conflit intérieur, mais cela ne se fera pas via les forces armées »

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Photo: Crédit photo Patrice Touraine

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Durée de lecture: 9 Min.

ENTRETIEN – Dans une étude publiée ce mois d’août dans la revue anglo-saxonne Military Strategy Magazine, David Betz, professeur du King’s College à Londres, met en garde sur le risque de l’éclatement d’une guerre civile en Occident, notamment en France et au Royaume-Uni qu’il juge particulièrement exposés à ce scénario.
Patrice Touraine est entrepreneur. Il a fondé plusieurs entreprises dans le monde logiciel, toutes orientées dans l’analyse des risques qu’ils soient financiers ou liés au facteur humain. Il est également l’auteur de Les nouveaux enjeux de l’espace (VA éditions, 2020). Dans un article publié le 13 août, il analyse l’étude de David Betz et la doctrine française actuelle de contre-insurrection. Pour l’expert, le scénario d’un conflit intérieur sur notre sol est probable. Il affirme également que si la France doit y faire face, ce ne sont pas nos troupes militaires qui seront déployées, mais les forces de l’ordre. Quels que soient les scénarios envisagés, une analyse des facteurs générant ce type de crise doit faire l’objet d’une étude approfondie.
Epoch Times : Patrice Touraine, dans son étude, David Betz estime qu’en prenant en compte dix pays européens réunissant les conditions pour basculer dans une guerre civile, la probabilité que l’un d’entre eux connaisse ce type de conflit dans les cinq prochaines années est à 87 %. Qu’en pensez-vous ? Est-ce pessimiste ou réaliste ?
Patrice Touraine : Pour réaliser le second volet de son étude, David Betz s’est basé sur plusieurs modèles économétriques et socio-économiques et est arrivé à ces conclusions.
Il nous dit notamment qu’un conflit civil a un risque d’éclater d’environ 4 % par an dans un État réunissant l’ensemble des facteurs endogènes. Dans un premier temps, on peut considérer que la probabilité de voir ce genre d’événement se produire est alors faible. Mais dans ce que j’appelle le paradigme de gestion des risques, ce type d’insurrection est en réalité probable et doit faire l’objet d’une étude sérieuse de la part de l’État.
Si on parle de probabilité cumulée sur plusieurs années, les chances qu’une guerre civile voie le jour augmentent fortement.
Par ailleurs, si on élargit l’étude à huit États européens sur quinze ans, il est quasiment certain qu’un tel événement aura lieu. En ce qui concerne la France, cela correspond à trois quinquennats présidentiels. Pour répondre à votre question, les prédictions de Betz sont donc plutôt réalistes. L’État doit se préparer face à cette menace intérieure.
David Betz met en avant comme éléments déclencheurs de guerre civile, des villes devenues « sauvages », le facteur culturel et la perte de confiance dans les institutions. Diriez-vous qu’aujourd’hui, la plupart des pays occidentaux sont en proie à ces phénomènes ?
Globalement, c’est le cas. Dans l’article que j’ai rédigé sur l’étude de Betz, je reprends des écrits militaires historiques, notamment ceux de Roger Trinquier et David Galula, sur leur doctrine de contre-insurrection.
En son temps, Galula parlait déjà de faiblesses institutionnelles comme d’un facteur favorisant un climat insurrectionnel. Cette situation pourrait se retrouver presque partout en Occident.
Cependant, j’aurais tendance à nuancer l’étude Betz sur un élément. Si le monde occidental doit faire face aux mêmes facteurs endogènes, chaque nation y est confrontée à des niveaux différents. Je pense notamment à la France et au Royaume-Uni.
Par ailleurs, on pourrait également intégrer un autre paramètre : les faiblesses psychologiques post-Covid, notamment chez les jeunes qui ont massivement été sujets à des détresses psychologiques. Cet élément non-mentionné par Betz renforce la probabilité de l’éclatement d’un conflit intérieur.
Quelles sont les différences entre la France et le Royaume-Uni en termes de niveau de facteurs endogènes ?
Il y a très certainement des différences au niveau des tensions ethniques et religieuses ou des disparités socio-économiques.
Et pour ne pas parler seulement du Royaume-Uni, je dirais qu’entre la France et l’Allemagne, on retrouve aussi des degrés différents de facteurs endogènes. Outre-Rhin, les disparités socio-économiques sont moins élevées que chez nous, mais les tensions entre les différentes communautés ont explosé, notamment à cause de la politique migratoire d’Angela Merkel. Betz aurait dû approfondir ces différences de degrés.
Dans votre article, vous écrivez : « La doctrine française voit la contre-insurrection comme une réponse à une crise dans un pays ami, où l’action militaire et interministérielle vise à restaurer la sécurité, la gouvernance et le développement, mais uniquement dans un contexte extérieur et multinational ». Au fond, cela veut-il dire que la France n’est pas en mesure de faire face à un conflit intérieur ?
La France a la possibilité de faire face à un conflit intérieur, mais cela ne se fera pas via les forces armées. C’est tout le sens de la doctrine française. Nous sommes dans un cadre de maintien de l’ordre classique, de crise ou aigu. Autrement dit, toutes les forces de police, de gendarmerie qui sont formées pour ce type d’événement seront la première ligne de défense.
J’entends beaucoup dans les médias affirmer que nous devrons avoir recours à l’armée pour contenir de potentiels foyers d’insurrection. L’idée mérite d’être discutée. Mais dans l’état actuel des choses, au regard des textes, il est peu probable que nos troupes soient dépêchées sur le terrain pour mettre un terme à une guerre civile.
En guise de solutions pour limiter les dégâts, David Betz propose justement de créer des zones sécurisées pour la population, de protéger le patrimoine culturel, de sécuriser les armes de destruction massive et une adaptation doctrinale. Quel est votre point de vue sur ces propositions ?
On peut même élargir de manière plus globale sur ce qu’on appelle les opérateurs d’intérêts vitaux.
Il existe d’ailleurs une liste officielle qui n’est pas rendue publique, mais que les ministères possèdent dans laquelle on peut trouver l’ensemble des sites d’intérêts vitaux pour l’État. Tout ce qui peut être services publics, nucléaire civil, bases militaires, organes régaliens et certaines entreprises privées qui sont en partenariat avec l’État.
Ces dispositifs sont nécessaires puisque des scénarii de crise dans lesquels des insurgés tenteraient de s’emparer des lieux que je viens de citer existent.
Cela étant, il est extrêmement difficile d’affiner des scénarii de manière précise. Une insurrection peut prendre une forme variée, surtout en fonction de l’événement initiateur de la crise. Souvenez-vous de l’épisode des Gilets Jaunes… Le fait originateur peut être le décès d’un ou plusieurs individus, qui cristallisera la crise en insurrection généralisée.
Il ne faut donc pas s’enfermer dans des scénarii établis à l’avance, mais raisonner en transversalité et s’assurer d’avoir les moyens de la force publique. Nos forces de maintien de l’ordre (police et gendarmerie) sont malheureusement très sollicitées et fatiguées des crises à répétition. Il faut veiller à leur santé et à leur disponibilité opérationnelle.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.