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Les restrictions chinoises sur les terres rares menacent la défense et l’économie européennes, selon des experts
La domination de Pékin dans le traitement des terres rares et la production d’aimants laisse l’Europe vulnérable à des ruptures d’approvisionnement dans des secteurs clés.

Vue générale d'une raffinerie de terres rares au nord de la ville de Baotou, en Mongolie intérieure, le 20 août 2012.
Photo: Ed Jones/AFP via Getty Images
Les dernières restrictions chinoises sur les exportations de terres rares pourraient gravement perturber les secteurs de la défense et de l’économie en Europe, préviennent des experts, alors que montent les appels à une coopération concrète UE–États-Unis pour contrer le contrôle exercé par Pékin sur ces minerais critiques.
Le commissaire européen à l’Industrie, Stéphane Séjourné, a rencontré le 20 octobre des entreprises européennes affectées pour évoquer les restrictions chinoises, selon l’AFP. La réunion virtuelle a rassemblé des dirigeants des secteurs automobile, défense, éolien, chimie et mines.
Pékin a renforcé le 9 octobre ses contrôles à l’exportation de terres rares, imposant des licences pour les produits dépassant un seuil de 0,1 % de teneur.
Les nouvelles règles s’appliquent aussi aux entreprises étrangères utilisant des matières premières d’origine chinoise ou des technologies chinoises d’extraction, de raffinage, de fabrication d’aimants ou de recyclage, la plupart des restrictions entrant en vigueur le 1er décembre.
La défense européenne en risque
Alicia García Herrero, économiste en chef Asie-Pacifique chez Natixis Research, avertit que ces restrictions exploitent la forte dépendance européenne à la Chine.
Elle estime que « la Chine instrumentalise ses relations avec l’Europe », ce qui pourrait affecter lourdement certaines entreprises européennes de défense.
« Les cinq nouveaux éléments ajoutés sont encore plus pervasifs, notamment pour l’armement de précision. C’est crucial pour l’Europe, qui commence à fabriquer ses propres munitions de précision, et cela frappe directement son plan de défense », déclare Mme Herrero à Epoch Times.
Selon le ministère chinois du Commerce (MOFCOM), les cinq éléments de terres rares supplémentaires sont l’holmium, l’erbium, le thulium, l’europium et l’ytterbium, portant à douze le nombre d’éléments désormais soumis à contrôle.
Abondant dans ce sens, Nabeel Mancheri, conseiller principal à EIT RawMaterials, estime que l’Europe devra affronter un impact immédiat sur la production de composants critiques de défense comme les semi-conducteurs et les puces, le continent manquant d’alternatives pour les terres rares raffinées. EIT RawMaterials est une organisation financée par l’UE et dédiée aux matériaux critiques.
« Des mesures sont prises — financement de projets, coopération avec des pays tiers. Ces efforts porteront leurs fruits d’ici quelques années, peut-être d’ici 2030, mais à court terme l’Europe peinera à trouver des solutions », explique M. Mancheri à Epoch Times.
Gavin Harper, chercheur sur les matériaux critiques à l’université de Birmingham, identifie les drones militaires comme un point de vulnérabilité stratégique pour l’autonomie européenne, Pékin contrôlant les aimants de terres rares indispensables à leur fabrication.
« Les aimants de terres rares servent dans les moteurs des hélices et parfois dans les actionneurs de nombreux drones. Le contrôle chinois de la chaîne d’approvisionnement peut poser un risque stratégique aux armées souhaitant produire des drones à grande échelle », indique M. Harper à Epoch Times.
Automobile et renouvelables fragilisés
Au-delà de la défense, l’impact s’étend à l’économie, souligne Enrique Dans, professeur d’innovation et de technologie à l’IE Business School (Madrid) : la véritable « gorge d’étranglement » tient à la domination chinoise dans la transformation des terres rares en aimants permanents.
« La production d’aimants permanents est au cœur des véhicules électriques, des éoliennes et de nombreux systèmes électroniques industriels. La perturbation ne vient pas tant du manque de matière première que de l’insuffisance des capacités de raffinage et de production d’aimants hors de Chine », explique M. Dans à Epoch Times.
La domination chinoise s’étend à environ 70 % de l’extraction, 90 % de la séparation et du traitement, et 93 % de la fabrication d’aimants, selon le Center for Strategic & International Studies (CSIS).
M. Dans anticipe des retards, des hausses de coûts et des arrêts temporaires à court terme pour l’automobile et les renouvelables, avec un risque systémique pour la zone euro lié à la dépendance vis-à-vis des installations chinoises de raffinage.
M. Harper craint que les contrôles chinois sur les exportations d’aimants de terres rares « ne posent de sérieux problèmes » aux chaînes d’approvisionnement de ces industries, les sources alternatives étant limitées et longues à développer.
« Les équipements de fabrication d’aimants sont eux aussi soumis à contrôle à l’export, ce qui compliquera la création de filières et de chaînes d’approvisionnement alternatives en Occident », souligne-t-il.
Une coopération transatlantique nécessaire
Face à ces défis, le ministre danois des Affaires étrangères, Lars Løkke Rasmussen, appelle à une « riposte ferme » de l’UE, en rappelant que le sujet constitue un « intérêt commun » avec les États-Unis.
Dans la foulée, les ministres des Finances du G7 — Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis — ont convenu le 16 octobre de coordonner leur réponse aux nouvelles restrictions chinoises.
Pour Mme Herrero, un partenariat avec le Japon pourrait atténuer l’impact, ce pays disposant de capacités de raffinage, tout en avertissant que cela ne suffira probablement pas.
« Sans les États-Unis, ce sera difficile, car les deux craignent la réaction de la Chine », prévient-elle.
M. Dans juge la coordination UE – États-Unis indispensable mais insuffisante si elle n’est pas assortie d’actions concrètes dans les prochains mois.
« Il faut coordonner les licences d’exportation pour débloquer les stocks, mutualiser les achats pour peser dans la négociation, et instaurer un soutien temporaire aux prix afin de rendre viables les projets non chinois. Il faut les rendre finançables », plaide-t-il.
À moyen-long terme, M. Dans insiste sur la nécessité d’atteindre les objectifs du Critical Raw Materials Act de l’UE — 10 % d’extraction, 40 % de traitement et 25 % de recyclage d’ici 2030 —, de créer des capacités communes de séparation des terres rares lourdes, et d’harmoniser les spécifications de défense pour assurer l’interchangeabilité transatlantique des composants.
« L’épreuve décisive sera la capacité à construire assez vite des raffineries, des pôles de recyclage et des contrats d’enlèvement à long terme pour contrecarrer le levier de Pékin », conclut-il.

Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.
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