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Les liens croissants de l’ASEAN avec la Chine menacent la souveraineté économique de ses États membres, selon des experts

Des analystes alertent sur le fait que l’accord de libre-échange renforcé permettra la poursuite de l’invasion de produits chinois à bas prix sur les marchés régionaux, au risque de vider les économies des pays membres de l’ASEAN.

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Le sommet 2025 de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) s’est tenu au Kuala Lumpur Convention Center, en Malaisie, photographié le 26 octobre 2025.

Photo: Travis Gillmore / The Epoch Times

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Durée de lecture: 9 Min.

Les membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ont signé un accord de libre-échange renforcé avec Pékin, une étape majeure dans un contexte de rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Des experts mettent toutefois en garde : ce traité pourrait exposer le bloc à des sanctions liées au « blanchiment d’origine », à la désindustrialisation et à une érosion de sa souveraineté économique.
Intitulé officiellement « Protocole de mise à niveau de la zone de libre-échange ASEAN-Chine (ACFTA) 3.0 », l’accord a été officialisé à Kuala Lumpur le 28 octobre, lors d’une cérémonie clôturant le sommet annuel de l’ASEAN, en présence du Premier ministre chinois, M. Li Qiang, et du Premier ministre malaisien, M. Anwar Ibrahim.
Cette initiative est largement perçue comme une nouvelle tentative de Pékin pour renforcer sa domination sur le bloc, qui compte désormais onze membres.
L’ASEAN est aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Chine, avec un volume d’échanges bilatéraux atteignant 771 milliards de dollars l’an dernier, selon les données publiées par l’association elle-même.

Une « porte dérobée » pour Pékin

Cette relation commerciale étendue est aussi souvent considérée comme une « porte dérobée » permettant aux produits fabriqués en Chine d’échapper aux droits de douane américains, selon le [Lowy Institute].
Bien que le président américain Donald Trump ait signé lors d’un précédent sommet de l’ASEAN des accords commerciaux supprimant les droits de douane sur certains produits en provenance de Malaisie, du Cambodge et de Thaïlande, Washington continue d’imposer des pénalités pouvant atteindre 40 % sur les pays de l’ASEAN qui participent au transbordement de produits chinois — une pratique consistant à falsifier l’origine des marchandises pour contourner les sanctions.
Mme Pavida Pananond, professeure à la Thammasat University Business School, en Thaïlande, estime que les pays de l’ASEAN désireux de profiter de l’accord pour accéder plus largement au marché chinois devraient faire preuve de prudence. L’accord pourrait en effet transformer le bloc en un centre majeur de « blanchiment d’origine » chinois, également appelé transbordement.
« L’ASEAN ne devrait pas se lancer aveuglément dans cet accord de libre-échange avec la Chine sans être pleinement consciente du risque que représente une dépendance excessive aux composants chinois, car cela pourrait faciliter le transbordement de produits chinois via les pays de l’ASEAN », a expliqué Mme Pananond à Epoch Times.
M. Teuku Rezasyah, professeur associé de relations internationales aux universités Padjadjaran et President University, en Indonésie, décrit la situation comme « très difficile pour l’ASEAN ». Il avertit que l’accord pourrait aggraver le problème, de nombreux États membres disposant de vastes territoires et de mécanismes de contrôle insuffisants pour empêcher le réétiquetage des produits chinois.
« Nous n’avons pas encore de politique cohérente pour lutter contre le blanchiment d’origine. Les nouveaux membres de l’ASEAN, comme le Cambodge, le Laos et le Timor oriental, seront fortement touchés, car la surveillance de leurs territoires exige un niveau d’intelligence économique élevé », a-t-il confié à Epoch Times.

Un péril imminent

Outre le risque de sanctions américaines de 40 % visant les exportations impliquant du blanchiment d’origine, Mme Pananond souligne qu’un afflux de produits chinois à bas prix pourrait éroder la compétitivité des fabricants locaux, déjà dépendants des intrants à faible coût en provenance de Chine — une situation qu’elle qualifie de « dilemme du sandwich ».
« Les industriels d’Asie du Sud-Est dépendent fortement des importations chinoises, mais les régulateurs de l’ASEAN ne veulent pas voir cette dépendance s’accroître. C’est ce dilemme que ces pays affronteront s’ils ouvrent davantage leur marché aux produits chinois », a-t-elle détaillé.
Ce déferlement de biens à bas prix, conséquence directe de la surcapacité industrielle chinoise, représente la principale menace de l’accord, selon Mmes Chithra Latha Ramalingam et M. Tee Chwee Ming, tous deux maîtres de conférences à la Monash University Malaysia, dans une tribune publiée par The Edge Malaysia.
« Les produits chinois sont souvent vendus à des prix inférieurs à leurs coûts de production, ce qui menace de submerger les fabricants de l’ASEAN, en particulier les petites et moyennes entreprises », écrivent-ils. « Bien que l’accord renforcé contienne des engagements contre les pratiques anticoncurrentielles, ses mécanismes d’application restent flous. »
Les effets de cette surcapacité sont déjà visibles : la Thaïlande a vu plus de 2 000 usines fermer depuis le début de l’année 2025, et le secteur textile indonésien a perdu des dizaines de milliers d’emplois, selon l’[UC Institute on Global Conflict and Cooperation].
M. Rezasyah observe lui-même ce bouleversement : Bandung, sa ville natale et cœur de l’industrie textile indonésienne, voit ses usines locales disparaître, remplacées par des produits chinois bon marché.
Selon lui, les États membres de l’ASEAN doivent revoir leur approche avec la Chine, faute de quoi sa surcapacité continuera de vider la région de son tissu industriel.
« L’ASEAN doit élaborer un plan d’action. Oui, la Chine dispose de la technologie, de la capacité de gestion et des réseaux, mais nous ne devons pas nous placer en position de simples concurrents. Si la Chine veut vendre ses produits, elle devrait construire des usines dans les pays de l’ASEAN et former des coentreprises qui permettent aux gouvernements d’équilibrer son influence tout en donnant du pouvoir aux populations locales. »

La souveraineté de l’ASEAN menacée

Avant la signature de l’accord, le 27 octobre, le président philippin M. Ferdinand Marcos Jr. a dénoncé les actions agressives de la Chine en mer de Chine méridionale, où les tensions entre les deux nations se sont multipliées à travers des incidents répétés.
Le ministère chinois des Affaires étrangères a réitéré sa position, rejetant la faute sur les Philippines pour ces affrontements dans sa zone économique exclusive.
Le 1er novembre, le secrétaire américain à la Défense, M. Pete Hegseth, a critiqué Pékin pour avoir intensifié ses « actions déstabilisatrices » en mer de Chine méridionale, promettant de fournir aux nations d’Asie du Sud-Est les ressources technologiques nécessaires pour coordonner leur réponse face aux provocations chinoises, déjà jugées illégales par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye en 2016 au titre de la [Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM)].
M. Julio S. Amador III, directeur général du cabinet de conseil géopolitique Amador Research Services, basé à Manille, avertit que ce renforcement des liens économiques pourrait saper le soutien régional à la souveraineté des Philippines.
« Si les États membres collaborent étroitement avec la Chine dans le cadre de l’ASEAN, cela diluera le soutien potentiel à Manille », a-t-il expliqué à Epoch Times. Ancien chercheur au East-West Center de Washington D.C., il estime que l’intégration économique accrue avec la Chine risque d’encourager Pékin à maintenir, voire accentuer, ses pratiques coercitives.
« C’est pourquoi Manille cherche à élargir ses partenariats de défense. Par exemple, nous signerons un accord sur les forces en visite avec le Canada le 2 novembre, et d’autres pays européens souhaitent également conclure des accords similaires avec les Philippines », a-t-il précisé.
Les Philippines ne sont pas le seul pays vulnérable face aux revendications de Pékin : le Vietnam, la Malaisie et Brunei — tous membres de l’ASEAN — subissent également des incursions chinoises sur leurs territoires revendiqués.
Si les États de l’ASEAN privilégient leurs liens économiques avec la Chine communiste au détriment de leur coopération sécuritaire avec Washington, leur capacité à contrer l’expansion maritime de Pékin sera considérablement affaiblie, prévient M. Amador.
« Plus Pékin se sent en position de force pour imposer sa domination sans rencontrer de résistance efficace, plus ces pays comprendront qu’ils doivent agir. Cet accord pourrait donc affaiblir, voire réduire, la cohésion interne du bloc. »
Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.

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