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L’ère post-monopole chinois des terres rares approche, la stratégie de Pékin se retourne contre lui : analyse d’experts
Les États-Unis et leurs alliés occidentaux s’emploient à établir une chaîne d’approvisionnement indépendante en terres rares pour contrer le monopole chinois.

Un conducteur de chargeur déplace du sol chargé de minéraux de terres rares destiné à l’exportation à Lianyungang, province du Jiangsu, Chine, le 5 septembre 2010.
Photo: STR/AFP via Getty Images
Alors que la Chine utilise son monopole des terres rares pour menacer la survie de l’industrie militaire américaine, des semi-conducteurs et de l’automobile, elle provoque l’avènement d’une ère post-monopole chinois. Les États-Unis œuvrent avec leurs partenaires pour bâtir une filière d’approvisionnement indépendante de Pékin.
Les experts ont également conçu des mécanismes visant à garantir la pérennité de la chaîne occidentale face à la stratégie chinoise des prix bas.
Le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent a déclaré au Financial Times le 31 octobre que la menace brandie par Pékin de suspendre les exportations de terres rares représentait « une véritable erreur », soulignant que la Chine ne pourra bientôt plus user des terres rares comme instrument de coercition. Selon lui, la marge de manœuvre des Chinois ne s’étendra pas au-delà de 12 à 24 mois.
Si les avis divergent sur le délai nécessaire à la constitution d’une chaîne d’approvisionnement américaine, de nombreux experts et responsables estiment que l’usage du monopole comme levier contre Washington risque de provoquer un retour de bâton. Kenneth Rogoff, ancien chef économiste du Fonds monétaire international et professeur à Harvard, confie à Epoch Times : « Je peux garantir que la position monopolistique de la Chine sera considérablement affaiblie par ses agissements, car les autres pays finiront par diversifier leurs sources d’approvisionnement. »
Vincent Harris, professeur à la Northeastern University, estime que le recours chinois aux terres rares comme arme d’intimidation, bien qu’impressionnant, pourrait placer Pékin dans une position périlleuse.
« C’est comme une partie de poker. La Chine a utilisé ce monopole comme outil géopolitique », commente M. Harris. « On parle d’une arme d’influence : Pékin restreint ou accorde des quotas pour imposer sa volonté. Il y est parvenu avec succès depuis une vingtaine d’années. Mais il doit s’en méfier : pousser trop loin l’Union européenne ou les États-Unis, c’est prendre le risque qu’ils se tournent vers des alternatives aux aimants de terres rares, privant la Chine de son principal moyen de pression. »
Les leçons du Japon
Le régime chinois a déjà usé des terres rares comme moyen de pression, notamment face au Japon. En septembre 2010, un navire de pêche chinois entre en collision avec un garde-côte japonais près des îles Senkaku, entraînant la détention du capitaine chinois. Pékin exerce alors une pression sur Tokyo en suspendant temporairement ses exportations de terres rares, dont l’industrie japonaise des véhicules électriques est fortement dépendante.
« Le Japon s’est juré de ne plus jamais se retrouver piégé ainsi. Dès 2011‑2012, il met en place une politique active de constitution de stocks d’aimants de terres rares pour ne plus dépendre du bon vouloir de Pékin », explique M. Harris. « Cette stratégie a porté ses fruits. »
Outre le stockage, le recyclage et la promotion de technologies alternatives, le pays a massivement investi hors de Chine, notamment chez Lynas Rare Earths, producteur australien et principal concurrent mondial de Pékin.
Selon Argus Media, la dépendance japonaise aux terres rares chinoises est passée de plus de 90 % au moment de l’incident à moins de 60 % aujourd’hui.
« L’Union européenne et l’industrie automobile américaine ont tiré les leçons de Tokyo », estime M. Harris. « Ainsi, chaque fois que la Chine use de pratiques commerciales déloyales, elle s’expose à ce que les industriels européens et américains multiplient les sources et investissent dans de nouvelles solutions. »
M. Harris ajoute : « Si l’Occident agit et réussit, Pékin n’aura plus de cartes en main ; la Chine doit donc se garder d’aller trop loin. »
Cette année encore, Pékin emploie l’arme des terres rares dans la guerre commerciale qui l’oppose aux États-Unis. Le 9 octobre, le ministère chinois du Commerce a publié l’Annonce n° 61 de 2025, instaurant des contrôles d’exportation d’une sévérité inédite sur les terres rares et les aimants permanents. Désormais, toute entreprise étrangère qui exporte des aimants contenant la moindre trace de terres rares extraites ou traitées en Chine, ou recourant à une technologie chinoise, doit obtenir l’aval des autorités de Pékin.
La domination chinoise dans le secteur — environ 70 % de l’extraction mondiale, 90 % de la séparation et du raffinage, 93 % de la fabrication d’aimants — rend ces mesures particulièrement lourdes pour l’industrie de la défense américaine : avions F-35, sous-marins Virginia et Columbia, missiles Tomahawk, radars, drones Predator et bombes intelligentes Joint Direct Attack Munitions, tous sont plus dépendants que jamais de l’approvisionnement chinois.
Comment garantir la chaîne occidentale des terres rares ?
M. Harris juge les États-Unis et leurs alliés capables de bâtir une chaîne indépendante, mais rappelle que l’obstacle majeur demeure l’écart considérable de prix entre les aimants occidentaux et chinois.
« Sur le marché, les prix américains sont cent fois plus élevés que ceux de Baotou », indique-t-il. Cet écart s’explique par l’extrême toxicité de l’extraction, les États-Unis imposant des normes environnementales très strictes tandis que la Chine privilégie sa position monopolistique, quitte à sacrifier la santé publique.
« Un tournant majeur a eu lieu entre 1980 et 1990 : la Chine a choisi de traiter ces matériaux à moindre coût, quelles que soient les conséquences, et jusqu’à la dévastation écologique de son territoire pour produire les meilleurs aimants du monde. »
M. Harris estime que les aimants américains pourraient coûter 100 à 500 fois plus chers que ceux produits en Chine.
L’ancien conseiller du département d’État recommande de s’inspirer du Processus de Kimberley — conçu pour lutter contre les « diamants du sang » extraits en Afrique — afin de tracer les terres rares et d’interdire aux entreprises occidentales d’acquérir des matières chinoises, même bradées.
Les « diamants du sang » possèdent des motifs uniques permettant de remonter à leur origine, une caractéristique que l’on retrouve également pour les éléments extraits en Mongolie intérieure, facilitant leur traçabilité. M. Harris suggère que les alliés instaurent une boucle fermée dans leur chaîne d’approvisionnement, où l’adhésion imposerait de ne pas acheter de terres rares à Pékin, même si le surcoût est cent fois supérieur.
« Un consortium de cinq pays offrirait la sécurité d’approvisionnement en contrepartie d’un prix élevé — on paie plus cher, mais on garantit la stabilité », précise-t-il.
Le département américain de la Défense met ce plan à exécution : en juillet, MP Materials, société spécialisée basée à Las Vegas, a conclu un accord de plusieurs milliards de dollars avec Washington garantissant un prix d’achat minimum de 110 $ le kilo pour deux des éléments les plus utilisés, soit près du double du prix pratiqué par la Chine.

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