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Le rap français

Le rap français, un « empire » parfois dans l’ombre du narcobanditisme

Le rap français n'est plus seulement une affaire de musique. "L'Empire"*, fruit de deux années d'investigation menée par les journalistes Paul Deutschmann, Joan Tilouine et Simon Piel, dévoile les coulisses inquiétantes du genre musical le plus populaire de l'Hexagone. Derrière les millions de streams se cache une réalité glaçante : celle d'artistes devenus des cibles pour le crime organisé.

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Un concert dans le cadre d'un événement de rap français de quatre jours appelé Centrale Place, organisé par La Place, sous La Canopée de Châtelet-Les Halles, à Paris, le 11 octobre 2025.

Photo: MARTIN LELIEVRE/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 4 Min.

L’exemple du rappeur SCH illustre dramatiquement cette nouvelle donne. Fin août 2024, l’un de ses proches est abattu par balles après un concert à La Grande-Motte. Une tragédie qui symbolise la face sombre d’un succès devenu synonyme de danger. Certains artistes vivent désormais presque clandestinement, recourent à des voitures leurres pour leurs déplacements et ne se produisent sur scène qu’entourés d’une dizaine de gardes du corps.

L’infiltration des « narcoproducteurs »

L’explosion financière du rap français depuis une décennie a attiré des acteurs pour le moins inquiétants. Les contrats se chiffrent désormais en millions d’euros par album, des sommes qui ont fait naître le phénomène des « narcoproducteurs ». Ces entrepreneurs de l’illégal se sont habilement insérés dans le circuit de financement du rap, créant des structures d’apparence légale pour coproduire des artistes.
« Il est faux de dire que le narcobanditisme est partout dans le rap, mais certains acteurs en sont profondément imprégnés et ce ne sont pas des cas isolés », précise Paul Deutschmann. La sophistication de ces organisations criminelles est frappante : elles constituent des sociétés écrans qui deviennent coproductrices officielles, recevant ainsi de l’argent blanchi directement des mains des majors du disque.

La complicité silencieuse des multinationales

Le scandale ne s’arrête pas aux portes des studios d’enregistrement. Les grandes maisons de disques, certaines cotées en Bourse et bénéficiaires de fonds publics français, versent des millions à ces structures douteuses sans réel contrôle. « Le vrai problème, c’est que ces multinationales sont incapables de détailler leur processus de conformité », dénonce Joan Tilouine. « Elles ferment consciemment les yeux sur certaines zones grises. »
Cette complaisance interroge sur la responsabilité de l’industrie musicale officielle dans le blanchiment d’argent sale. Comment des entreprises internationales peuvent-elles ignorer l’origine de leurs partenaires financiers au point de faciliter, même involontairement, les opérations du crime organisé ?

Une créativité asphyxiée par la violence

Les répercussions de cette infiltration criminelle dépassent les questions de sécurité personnelle. La production musicale elle-même s’en trouve paralysée. À Marseille, berceau historique du rap français, la scène s’est considérablement tarie. Des artistes renoncent à sortir leurs albums par peur du racket. « Aujourd’hui, la production rap s’amenuise et l’écosystème pourrait finir asphyxié par cette violence », alerte Joan Tilouine.

La revanche entrepreneuriale des rappeurs

Paradoxalement, le livre documente aussi une réussite économique sans précédent. Au milieu des années 2010, des figures comme Jul et PNL ont révolutionné le modèle en devenant leurs propres producteurs, ne laissant aux majors que la distribution. Ce renversement leur permet désormais d’empocher jusqu’à 90% des revenus, contre 20% auparavant.
« Les rappeurs sont devenus des entrepreneurs à succès alors que la société française ne leur a pas tendu la main », souligne Joan Tilouine. « Aucun secteur économique en France n’a fait émerger autant de multimillionnaires parmi les enfants des quartiers populaires et de l’immigration. » Un modèle si efficace qu’il inspire désormais des stars de la pop comme Angèle.

La menace du crime organisé

« L’Empire » révèle ainsi un univers à double tranchant : celui d’une réussite entrepreneuriale exceptionnelle menacée par les griffes du crime organisé, avec la complicité passive d’une industrie qui préfère l’aveuglement au courage.
* »L’Empire » de Paul Deutschmann, Joan Tilouine et Simon Piel, éditions Flammarion.*
Avec AFP