L’Assemblée rejette à la quasi-unanimité le budget de l’État
Fait inédit sous la Ve République : dans la nuit de vendredi à samedi, la quasi-totalité de l’Assemblée nationale a rejeté le budget de l’État, un vote attendu mais qui compromet sérieusement son adoption avant la fin de l’année.

Paris, 22 novembre 2025 : affichage du résultat du vote à l’Assemblée nationale. Les députés ont presque unanimement rejeté en première lecture le budget 2026.
Photo: ALAIN JOCARD / AFP via Getty Images
Après 125 heures de débats parfois houleux sur la fiscalité du patrimoine et des grandes entreprises, 404 députés ont refusé la partie « recettes » du texte (un pour, 84 abstentions), entraînant l’échec de l’ensemble du projet de loi, sans même que la partie « dépenses » ne soit examinée.
Les groupes de gauche et le Rassemblement national (RN) ont voté contre, tandis que les députés du camp gouvernemental se sont partagés entre votes négatifs et abstentions. Seul le député centriste Liot Harold Huwart a voté pour.
Un rejet d’une ampleur inédite
L’Assemblée nationale avait déjà refusé le budget en 2024, événement inédit sous la Ve République, mais jamais avec une telle ampleur. Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, a salué ce « travail utile » issu du « plus long débat budgétaire » sous cette République, tout en déplorant « un certain nombre de mesures inconstitutionnelles, irréalistes ou inapplicables ». Sur le réseau X, elle a dénoncé « l’attitude cynique » des « extrêmes », restant cependant « convaincue » qu’un compromis demeure possible.
Le camp gouvernemental s’est appuyé sur la complexité des mesures adoptées par les oppositions, qualifiées d’« horreurs économiques » par Paul Midy (Renaissance), pour justifier son absence de soutien au projet. Sébastien Lecornu, Premier ministre, a dénoncé « des coups tactiques des extrêmes qui rendent la copie insincère ».
Fiscalité, déficit : points de tension
L’exécutif cible plusieurs hausses d’impôts, dont un « impôt universel » sur les multinationales censé rapporter 26 milliards d’euros, une hausse de la taxe sur les rachats d’actions, et une contribution sur les dividendes. Selon Amélie de Montchalin, avec ces mesures, le déficit s’établirait à « 4,1% » du PIB (contre 4,7% initialement), sans elles il s’élèverait à « 5,3% », tout en jugeant ces perspectives fragiles.
Eric Coquerel, président LFI de la commission des Finances, a rejeté l’argument, estimant que le texte original était voué à « déplaire à tout le monde ». Marc Fesneau, président du groupe MoDem, a rétorqué : « Ce texte n’est le texte de personne en totalité, mais chacun doit prendre une part. » Jean-Philippe Tanguy (RN) a dénoncé une « diversion », estimant que le gouvernement imposera son texte par ordonnance ou via l’article 49.3.
Négociations avortées et mesures sociales
Le Parti socialiste, qui avait accepté de ne pas censurer le Premier ministre en échange de la suspension de la réforme des retraites et de l’abandon du 49.3, espérait obtenir une avancée sur la justice fiscale, notamment la « taxe Zucman ». Les principales propositions ont été rejetées et la taxe sur les holdings adoucie par la droite. Au cœur de la nuit, les socialistes ont arraché le vote d’un impôt sur la fortune improductive, à la rédaction incertaine.
Les députés ont également adopté une hausse de deux milliards d’euros de la surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises, la taxation accrue des géants du numérique, ainsi que le plafonnement de niches fiscales comme le pacte Dutreil. Boris Vallaud (PS) estime toutefois que « le compte n’y est pas », jugeant les « recettes » insuffisantes pour compenser des économies sur les politiques publiques. Le PS poursuivra cependant « la recherche du compromis ».
Le Sénat à l’épreuve de la majorité
Le budget doit maintenant passer l’épreuve du Sénat, qui débutera ses débats dès jeudi, à partir du projet initial. Son adoption avant la fin de l’année paraît compromise, autant pour des raisons de calendrier que faute de majorité claire. Malgré ces incertitudes, le gouvernement maintient son cap : « Il faut que cela fonctionne », martèle Sébastien Lecornu.
Philippe Juvin (LR), rapporteur général, propose de mobiliser l’article 49.3 pour faire adopter un budget avant le 31 décembre, estimant que le PS serait plus enclin à ne pas censurer l’exécutif qu’à soutenir le texte, symbole de la majorité. Le gouvernement pourrait aussi présenter une « loi spéciale » pour assurer la collecte des impôts existants et reprendre les débats en début d’année, un scénario jugé peu souhaitable par Sébastien Lecornu, tandis que le recours aux ordonnances reste, à ce stade, écarté.

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