Opinion
« L’approche centralisatrice et technocratique est aujourd’hui complètement désuète pour les écoles françaises », selon Anne Coffinier

Anne coffinier ©DR
ENTRETIEN – Ce mercredi 3 septembre, à l’occasion d’une conférence de presse, Créer son école faisait sa rentrée au Petit cours du Rocher dans le VIIIe arrondissement de Paris. L’association qui défend le lancement d’établissements scolaires hors contrat constate avec enthousiasme une augmentation importante du nombre d’élèves dans ce type d’établissements et une croissance soutenue de ces derniers en 2025.
Anne Coffinier est présidente de Créer son école et fondatrice de la fondation Kairos pour l’innovation éducative-Institut de France. Si les écoles libres rencontrent un certain succès depuis plusieurs années, c’est notamment parce que de plus en plus de parents sont à la recherche d’établissements qui ne sont pas étouffés par la technocratie de l’État.
Epoch Times – Il y a actuellement 2594 écoles libres en activité contre 1000 en 2014. Pourquoi les écoles hors contrat ont-elles le vent en poupe ?
Anne Coffinier – Les écoles libres ont le vent en poupe depuis environ dix ans, notamment en raison du besoin de diversité qui parcourt la société en général. Je crois qu’une offre unique ne passe plus très bien, quel que soit le sujet. C’est encore plus vrai en éducation, domaine sensible s’il en est.
Je pense également que certains parents prennent conscience que l’école publique peut être une source de souffrance précoce pour leurs enfants. Les enfants sont par exemple harcelés très jeunes et sont ensuite dans l’incapacité presque physique de supporter le système ordinaire. Ils développent une phobie scolaire. L’école hors contrat arrive alors comme une solution alternative salutaire.
Et puis parfois, les attentes religieuses familiales font que certains enfants rejoignent ces établissements scolaires libres. Mais ce n’est pas le moteur essentiel, d’autant que les établissements confessionnels sont minoritaires (40 % de l’ensemble des écoles existantes).
Plus généralement, il y a aussi l’idée qui séduit de plus en plus de bénéficier d’une école à taille humaine, plus facilement pilotable, qui ne dépend pas des décisions du rectorat ou du ministère de l’Éducation nationale. Small is beautiful.
Je crois que les gens sont fatigués de cette complexité qui leur semble inutile. Ils veulent un endroit où ils ont un interlocuteur avec lequel ils peuvent évoquer tout type de problème et qui aura les marges de manœuvre nécessaires pour résoudre les difficultés rapidement.
Ils cherchent une fluidité dans la relation entre les parents et l’école. Et ça, les écoles libres sont en mesure de leur fournir.
Elles sont en croissance malgré les difficultés, notamment le renforcement des contrôles et le choc de l’affaire Bétharram.
Les difficultés sont multiples et ne sont pas nouvelles. Elles s’accumulent parce que le cadre législatif est de plus en plus lourd et que la loi séparatisme de 2023 et le constat anxiogène de l’entrisme islamiste alimentent chez le régulateur public une réflexion de suspicion.
Nous avons aussi le sentiment, comme vous l’avez rappelé, qu’il y a de la part de l’Éducation nationale une forme de crispation en matière de contrôles. Certaines écoles font l’objet de contrôles à répétition alimentés par une volonté a priori de la fermer, en cherchant le premier prétexte venu pour ce faire. Encore une fois, il est nécessaire et fondamental que les écoles libres soient contrôlées, mais ce doit être fait de manière neutre, transparente et respectueuse de la liberté d’enseignement et de la liberté de religion, qui sont des principes à valeur constitutionnelle.
On demande aux écoles indépendantes de respecter de plus en plus de règles, notamment en termes de recrutement des enseignants, mais en même temps, on ne leur donne pas les moyens de le faire correctement.
Et souvent, les sanctions judiciaires sont fortes quand elles ne sont pas respectées. Cette situation nous inquiète particulièrement. Nous attendons des progrès de l’État en la matière.
Le regard des parents sur ces établissements a-t-il positivement évolué avec les années ?
C’est certain. Autrefois méconnues ou renvoyées aux clichés des établissements réservés aux enfants en difficulté, en situation de handicap ou issus de familles très religieuses, les écoles libres ont aujourd’hui une bien meilleure réputation.
Certains parents percevaient aussi ces écoles comme des « boîtes à bac » dans lesquelles les cancres issus de milieux aisés étaient envoyés décrocher aux forceps leur « bachot ».
Toutes ces idées reçues ont progressivement disparu.
Le regard des gens a également évolué avec le développement très médiatisé des écoles libres Montessori, proposant une méthode d’enseignement différente de celles des établissements publics, favorisant notamment la bienveillance, l’autonomie de l’élève et la répétition, mais aussi des écoles bilingues et internationales, que les parents rêveraient d’avoir dans le cadre des établissements publics.
Peut-on dire qu’il y a eu chez certains parents une perte de confiance dans l’école publique ?
Cette tendance s’est malheureusement généralisée. Non seulement les parents n’ont plus confiance dans l’école publique, mais les enseignants, les syndicats et les hauts fonctionnaires de la rue de Grenelle non plus. Ils savent que le dispositif n’est plus pilotable, et que la technocratie a écrasé les libertés et les initiatives. La solution réside dans une forte autonomie des établissements.
On rejoint l’approche « étatiste, volontariste, planificatrice » d’Élisabeth Borne que vous avez récemment dénoncée dans le Journal du Dimanche…
L’approche centralisatrice et technocratique, qui a fonctionné dans les pays en voie de développement accusant un grand retard en matière d’Éducation et ayant un haut niveau de discipline des élèves, est aujourd’hui complètement désuète pour les écoles françaises. L’OCDE a publié de nombreuses études sur ce fait bien établi par la recherche. Les chefs d’établissement doivent pouvoir recruter leurs équipes et les managers, adapter leurs programmes, gérer leur organisation interne, leurs finances, leur projet éducatif précis.
Cette approche étatiste s’est-elle renforcée sous Emmanuel Macron ou est-ce une tendance plus profonde ?
Elle est née sous la Révolution française, a été renforcée sous la IIIe République qui était très ‘militaire’ dans sa vision de l’encadrement des masses. Plus récemment, le pilotage par des énarques biberonnés à l’étatisme ces 40 dernières années n’a rien arrangé.
Certaines dérives idéologiques de l’Éducation nationale inquiètent-elles aussi les parents ?
Je pense que les parents sont avant tout attentifs à ce que leur enfant ait un professeur à la rentrée, et durant toute l’année scolaire.
Aujourd’hui, il y a beaucoup d’enfants dans le primaire qui se retrouvent sans professeur pendant des mois ou alors avec des professeurs remplaçants qui se succèdent et qui ne sont pas toujours triés sur le volet.
Le manque d’enseignements est fondamentalement ce qui inquiète le plus les parents. Et bien sûr leur qualité.
Il y a aussi la problématique de la discipline. De plus en plus d’enfants souffrent du manque de silence, de respect, du manque de bienveillance des autres élèves. L’école publique n’est pas assez souvent un cadre propice à l’étude et à la confiance en soi.
Vient ensuite le problème des programmes trop dispersés qui ne mettent pas suffisamment l’accent sur les fondamentaux, et qui ne permettent pas de répéter suffisamment les exercices alors que c’est indispensable à une assimilation profonde et définitive des connaissances fondamentales. Tous ces motifs sont déjà lourds, avant même qu’on envisage les peurs liées à des dimensions plus idéologiques, comme l’introduction du programme EVAR(S).
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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