Opinion
Jonas Follonier : « Un libéralisme économique bien appliqué permettra d’endiguer le wokisme »

Photo: Crédit photo Nicolas Brodard /Le Regard Libre
ENTRETIEN – Jonas Follonier revient dans son essai La diffusion du wokisme en Suisse (Slatkine, 2024), fruit d’une enquête menée pendant cinq ans sur la manière dont cette idéologie a conquis nos voisins helvétiques.
Jonas Follonier est journaliste, essayiste, rédacteur en chef du mensuel suisse Le Regard Libre et correspondant au Palais fédéral pour L’Agefi. À l’inverse de nombreux intellectuels conservateurs qui estiment que le libéralisme économique est un allié objectif du wokisme, il l’analyse comme un atout pour contrer l’idéologie d’extrême gauche.
Epoch Times : Comment le wokisme est-il arrivé en Suisse ?
Jonas Follonier : Difficile à dire, puisqu’il s’agit d’un mouvement de fond, d’une tendance protéiforme comme j’essaie de le montrer dans mon livre. Mais mon hypothèse est que le wokisme est arrivé, comme aux États-Unis ou en France, par les universités.
C’est une idéologie qui a une prétention intellectuelle et qui mobilise des concepts un peu obscurs, qui ne peuvent être imaginés que par des universitaires. Comme l’a montré Samuel Fitoussi dans son ouvrage récent Pourquoi les intellectuels se trompent, les théories les plus absurdes sont souvent le fait des élites intellectuelles et non des hommes ordinaires.
Les élites universitaires, par définition, rationalisent beaucoup de choses et sont donc capables de rationaliser des bêtises. En même temps, cette idéologie permet à son défenseur d’imposer une supériorité intellectuelle puisqu’elle se forme autour de théories contre-intuitives.
Ensuite, la mobilité académique a largement diffusé cette idéologie. Les enseignants-chercheurs se déplacent, se lisent entre eux, interviennent à l’occasion de colloques ou de conférences. Puis, en dispensant leurs cours, ils forment et d’une certaine manière endoctrinent les futurs enseignants, journalistes et laissent ainsi infuser ce courant d’extrême gauche dans la société.
Tout au long de mon cursus académique en sciences humaines à Neuchâtel, j’ai été témoin de l’arrivée de ce mouvement. Des affiches sur le harcèlement sexuel étaient collées sur les murs de l’université et des thèmes sont devenus incontournables dans diverses disciplines, comme le décolonialisme – y compris en littérature.
Vous avez mené une enquête sur cinq ans. Avez-vous constaté ces dernières années une forte progression du wokisme en Suisse ?
Je pense que la Suisse est autant touchée que les autres pays. Et je réfute l’idée selon laquelle le phénomène serait actuellement en train de disparaître. Le wokisme a très certainement été heurté par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et le virage entamé par certaines entreprises qui voyaient leurs parts de marché fondre comme la Walt Disney Company. Mais il est toujours présent, en particulier dans les milieux urbains.
Que ce soit dans les universités ou les ONG, il va être difficile de revenir en arrière. Ce courant s’est très bien ancré dans les esprits. J’en veux pour preuve l’apparition d’une forme de consensus autour de l’écriture et du langage « inclusifs ». Certaines idées de la gauche radicale sont malheureusement devenues mainstream.
Le monde de la culture et certains médias sont aussi des vecteurs de diffusion de cette idéologie ?
Oui, totalement. En Suisse romande, l’écrasante majorité des grands journaux est soit indifférente, soit valide consciemment ou inconsciemment les thèses du wokisme. Ce qui est très contestable puisqu’une pluralité des médias est nécessaire pour que le citoyen puisse se faire son propre avis sur ces questions.
Cependant, vous avez raison de parler de « certains médias ». Après tout, celui que j’ai créé, Le Regard Libre, certes modeste, est loin de défendre ce courant. La NZZ, grand quotidien de Suisse allemande, est également critique du mouvement.
Et en France, il y a un certain nombre de titres de presse qui s’opposent à cette idéologie. Je pense notamment au Point, à Valeurs actuelles ou au Journal du Dimanche, qui m’ont fait l’honneur de m’interviewer, mais aussi bien sûr Le Figaro ou Causeur.
De quels atouts dispose la Suisse pour enrayer le phénomène woke ?
Je dirais d’abord la démocratie directe. La Suisse est le pays où l’on estime que le peuple doit toujours décider à la fin, et non les juges comme c’est le cas en France avec le Conseil constitutionnel. Institution d’ailleurs inexistante chez nous.
Nous sommes amenés à nous prononcer sur différents sujets plusieurs fois par an. Ce système favorise une culture du débat unique au monde. En Suisse, nous parlons très régulièrement de politique. C’est loin d’être le cas dans toutes les démocraties occidentales, comme les États-Unis, où je me suis rendu récemment.
Les débats récurrents en famille et entre amis favorisent le bon sens et la rationalité. Tant que ceux-ci seront majoritaires, nous serons en mesure de contrer cette vague woke.
Parmi les autres atouts de mon pays, je citerais également le libéralisme économique. Certains estiment qu’il est au contraire un accélérateur de cette idéologie, mais j’ai la conviction qu’un libéralisme économique bien appliqué permettra justement d’endiguer le wokisme.
N’oublions pas une règle élémentaire : pour prospérer, une entreprise doit prendre en compte les désirs du consommateur. Encore une fois, c’est ce qu’a finalement choisi de faire Disney.
Par ailleurs, les employeurs soucieux du succès de leur entreprise sont obligés de recruter des salariés en fonction de leurs compétences et n’ont pas le luxe de le faire pour cocher telle ou telle case anti-discriminations.
Enfin, contre vents et marées, la Suisse demeure un pays relativement libéral sur le plan philosophique et culturel. Cet autre atout nous est donc précieux pour contenir le wokisme, qui met en danger la liberté d’expression, le pluralisme ou encore la présomption d’innocence.
En France, les partis de droite et souverainistes sont désormais vent debout contre le wokisme. Qu’en est-t-il en Suisse ?
Seul le mouvement de droite souverainiste UDC en a vraiment fait un thème de campagne. C’est le premier parti de Suisse. Il représente près d’un tiers de l’électorat.
En outre, hormis certains de ses élus ou de ses sections jeunesse, la droite traditionnelle incarnée par le Parti libéral-radical n’y accorde que peu d’importance, ce qui est dommage.
Même chose pour les centristes ou les Socialistes. À mon grand regret, puisqu’il n’y a pas que des arguments conservateurs à opposer au wokisme, mais aussi des arguments sociaux et libéraux.
On aurait pu imaginer que tous ces partis, au nom de l’attachement aux institutions modernes, s’unissent contre cette idéologie. Malheureusement, la prise de conscience n’a pas vraiment eu lieu chez la plupart de nos politiques et l’UDC agit seule sur le terrain, parfois maladroitement.
Il n’est jamais trop tard pour rectifier le tir.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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