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Industrie automobile« Ils vont racheter nos usines et seront acclamés comme des sauveurs » : l’avertissement de Carlos Tavares sur la Chine
Alors que les constructeurs européens vacillent sous le poids des réglementations environnementales et de la concurrence asiatique, les groupes chinois se positionnent pour reprendre des sites industriels menacés de fermeture. Un scénario qui pourrait transformer les rivaux d'hier en sauveurs d'aujourd'hui.

Carlos Tavares, ancien patron de Stellantis.
Photo: SAMEER AL-DOUMY/AFP via Getty Images
L’avertissement est sans ambiguïté. Interviewé par BFTV, Carlos Tavares, ancien patron de Stellantis, prédit que « le jour où un constructeur automobile occidental sera en grande difficulté, avec des usines au bord de la fermeture et des manifestations dans la rue, un constructeur automobile chinois viendra dire ‘Je vais le reprendre et garder les emplois’ et il sera considéré comme un sauveur ». Ce scénario, loin d’être une fiction, pourrait bien devenir réalité dans les prochaines années.
Les normes européennes avantagent la concurrence chinoise
La situation actuelle du marché européen illustre parfaitement cette dynamique. « Pourquoi le marché européen recule ? Pourquoi les classes moyennes n’arrivent pas à acheter des voitures propres ? », interroge Carlos Tavares. Selon lui, « la solution très simple » serait « de ne pas être dogmatique » face aux réglementations européennes.
Les normes strictes sur les émissions de CO2 et l’interdiction programmée des motorisations thermiques en 2035 ont ouvert un boulevard à la concurrence asiatique, qui représente déjà près de 10% des parts de marché. « Cette règlementation n’est pas neutre en technologie, elle impose une technologie excessivement onéreuse », déplore-t-il, soulignant que les Chinois sont à l’inverse « ceux qui sont les mieux préparés, qui travaillent le plus » dans le domaine de l’électrification.
L’Allemagne dans le viseur
Les autorités et industriels chinois observent avec attention les difficultés des usines allemandes. Les sites de Volkswagen, en particulier, suscitent un intérêt marqué. Racheter ces installations permettrait à la Chine d’accroître considérablement son influence dans l’industrie automobile allemande, réputée pour ses marques prestigieuses et son savoir-faire séculaire, précise Les Échos. Un tel investissement constituerait l’opération la plus sensible politiquement jamais réalisée par Pékin en Europe.
L’avantage est double pour les groupes chinois : produire sur le sol allemand leur éviterait de payer les droits de douane imposés sur les véhicules électriques importés depuis la Chine, tout en menaçant davantage la compétitivité des constructeurs européens restants. Toutefois, les entreprises chinoises restent prudentes face aux syndicats allemands, qui détiennent la moitié des sièges dans les conseils consultatifs et exigent des garanties étendues sur le maintien des sites et des emplois.
Une stratégie d’implantation progressive
Jusqu’à présent, la plupart des constructeurs chinois cherchant à contourner les droits de douane européens ont privilégié la construction de nouvelles usines dans des pays où les coûts sont moindres et les syndicats moins puissants. BYD s’est ainsi installé en Hongrie et en Turquie. Mais le rachat d’installations existantes représente une opportunité différente.
Des géants comme BYD, Geely ou NIO profitent de la faiblesse actuelle pour se positionner stratégiquement, d’après Les carnets du business. Leaders dans les technologies des batteries et de l’électrification, ces entreprises cherchent à s’ancrer durablement sur le marché européen, synonyme de qualité et de prestige. Racheter des usines modernes leur permettrait « d’accélérer cette intégration tout en réduisant leurs coûts logistiques ».
Un précédent révélateur
L’intégration de Leapmotor au sein de Stellantis en 2023 illustre parfaitement cette dépendance croissante. Carlos Tavares reconnaît aujourd’hui avoir « invité le loup dans la bergerie » comme certains le disent, rapporte L’Automobile magazine. Le premier véhicule Leapmotor assemblé en Europe sortira d’une usine espagnole dès 2026, et des rumeurs évoquent déjà des modèles chinois qui pourraient être rebadgés sous des marques européennes comme Opel. Cet accord « technologie contre actions » illustre « la dépendance grandissante de l’Europe vis-à-vis de la Chine », une dépendance que l’ancien patron avait lui-même contribué à nouer.
Carlos Tavares n’écarte pas le pire scénario pour Stellantis : « Un jour, un constructeur chinois pourrait racheter les activités européennes, pendant que les Américains reprendraient le Nord. » Si un grand groupe européen venait à trébucher gravement, son partenaire chinois, comme Leapmotor, pourrait naturellement devenir l’acheteur le plus logique de ses actifs.
Entre opportunité et menace
Cette situation soulève des questions fondamentales pour l’avenir industriel du continent. D’un côté, l’avance technologique chinoise dans les batteries et l’électrification pourrait dynamiser l’innovation européenne et accélérer la transition vers une mobilité plus verte. Ces investissements apporteraient aussi des capitaux pour moderniser des infrastructures vieillissantes.
De l’autre, plusieurs préoccupations majeures émergent, pointe Les carnets du business. D’abord, une « dépendance économique » accrue qui « pourrait fragiliser l’autonomie industrielle européenne ». Ensuite, des « tensions géopolitiques » : « Le rachat d’usines stratégiques par des groupes étrangers alimente les débats sur la souveraineté économique. » Enfin, un « impact social » inquiétant : « les syndicats craignent une perte d’emplois et de savoir-faire local si les nouvelles productions ne répondent pas aux standards européens. »
Carlos Tavares dénonce le « dysfonctionnement plus que patent » des trois institutions européennes sur la réglementation des émissions et interroge : « Est-ce que quelqu’un a demandé des comptes à l’Union européenne sur les 50-100 milliards qui ont été gaspillés dans cette aventure ? Des investissements faits par les constructeurs et qui probablement ne vont pas être rentabilisés. »
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