Opinion
Haut-Karabagh : « La politique d’effacement de la culture arménienne se poursuit plus que jamais », alerte Benjamin Blanchard

Benjamin Blanchard, directeur général de SOS Chrétiens d’Orient.
Photo: DR
ENTRETIEN – Le 19 septembre 2023, les soldats azéris ont déferlé sur la République arménienne du Haut-Karabagh maintenant dissoute, poussant à l’exil 120 000 personnes vers l’Arménie. Désormais annexée, la région montagneuse voit les traces de la culture arménienne, pourtant millénaire, être effacées par le leader azerbaïdjanais, Ilham Aliyev.
Benjamin Blanchard est directeur général de SOS Chrétiens d’Orient. La politique d’effacement de la culture arménienne dans l’Artsakh n’a pas suscité de réactions internationales, déplore-t-il.
Epoch Times – SOS Chrétiens d’Orient a participé à l’accueil des réfugiés de l’Artsakh (Haut-Karabagh) en Arménie il y a deux ans. Dans quelles régions du pays vivent-ils et dans quelles conditions ?
Benjamin Blanchard – Les réfugiés vivent partout en Arménie. Ils ont été volontairement dispersés par le gouvernement arménien pour éviter qu’ils se rassemblent, forment des groupes de pression et qu’ils aient in fine un poids politique.
Vivre séparés les uns des autres est vraiment difficile, notamment pour la préservation de leur identité et de leur culture. Ils sont certes Arméniens, mais avec une culture propre à la région de l’Artsakh.
Et puis, ils vivent dans des conditions précaires. Le gouvernement arménien est venu à leur secours lorsqu’ils sont arrivés, mais aujourd’hui, ce soutien commence à s’estomper.
À SOS Chrétiens d’Orient, nous leur venons en aide avec nos programmes d’aide alimentaire, agricoles ou encore culturels.
Comment l’actuel Premier ministre arménien Nikol Pachinian est-il aujourd’hui perçu par ces réfugiés et les Arméniens ? Il avait provoqué la colère des Arméniens après la chute du Haut-Karabagh.
Un sondage publié au mois de juin indiquait que seuls 8 % des Arméniens exprimaient une opinion positive à l’égard du Premier ministre.
Il bénéficie d’une certaine popularité auprès des habitants de la capitale Erevan, mais est particulièrement impopulaire dans les campagnes et auprès des réfugiés d’Artsakh.
Il n’est cependant pas du tout certain qu’il soit le grand perdant des élections qui vont se tenir l’année prochaine puisque pour l’instant, la seule opposition organisée est celle composée de partisans de l’ancien régime. Et cet ancien régime s’était décrédibilisé à cause de multiples affaires de corruption. Je doute fort que les électeurs leur fassent confiance.
La majorité de la population ne partage pas sa vision des tensions avec l’Azerbaïdjan ?
Oui, mais personne n’a vraiment de solution. L’Arménie n’a pas beaucoup de cartes en main. Pour l’heure, elle ne peut que gagner du temps et attendre que la situation internationale s’améliore.
Dans un rapport publié en juillet 2024, l’ONG chrétienne ECLJ dénonçait « l’effacement culturel » organisé par Bakou dans la région. Aujourd’hui, cette politique d’effacement se poursuit-elle ?
Cette politique se poursuit malheureusement plus que jamais. Les villes arméniennes sont rebaptisées et prennent des noms azéris. Les bâtiments religieux datant du Vᵉ siècle sont transformés. Par exemple, les coupoles typiquement arméniennes sont retirées.
Cet effacement de la culture arménienne dans la région est visible sur les photos prises par satellite. C’est vraiment tragique.
SOS Chrétiens d’Orient a alerté des responsables politiques français sur ce sujet ?
Nous essayons, et pas que sur ce sujet. Il y a également le problème des prisonniers de guerre et des prisonniers politiques qui ont été arrêtés et qui font l’objet à Bakou d’un procès stalinien interminable pour génocide dans une langue qu’ils ne comprennent pas.
Depuis quelques mois, la Croix-Rouge est interdite de territoire et ne peut donc plus leur rendre visite, ce qui en dit long sur leurs conditions de détention et peut laisser imaginer le pire… Malheureusement, personne n’en parle, y compris le Premier ministre arménien.
Et pour l’heure, cette politique de négation de l’histoire et de la culture arménienne dans l’Artsakh n’a pas suscité de réactions internationales ?
Non, aucune réaction. Un colloque absurde s’est même tenu à l’université pontificale grégorienne de Rome sur les « Albanais du Caucase ». Cet événement a été financé par Bakou et a évidemment repris les arguments du régime.
Aujourd’hui, quand il [Ilham Aliyev] évoque l’Arménie, il parle d’« Azerbaïdjan occidental ». Pourquoi n’irait-il pas au bout de son projet ? », avez-vous écrit dans le Journal du Dimanche. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan a les moyens d’envahir l’Arménie ?
Aujourd’hui pas nécessairement. Mais Ilham Aliyev est dans une stratégie d’affaiblissement progressif de l’Arménie. Il prend petit à petit des territoires et donne des coups au moral de son voisin.
Et à l’évidence, les forces militaires de Bakou sont bien plus puissantes …
Oui. Après sa défaite en 1994 et ce jusqu’en 2020, Bakou a vraiment modernisé et développé son armée. De son côté, Erevan n’a toujours pas tiré les leçons des défaites de ces dernières années. Le budget militaire demeure assez faible.
Et il va même baisser ! Le 15 septembre dernier, à l’occasion de la conférence internationale « Sécurité globale et résilience 2025 », Nikol Pachinian a déclaré : « L’armée ne devrait pas être le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième ou le cinquième outil de sécurité. Elle devrait être le tout dernier outil pour notre sécurité… » Quelques jours après, le gouvernement annonçait une baisse probable du budget militaire de 15 % pour l’année 2026.
L’Azerbaïdjan bénéficie également du soutien d’Ankara …
Oui, mais pas seulement. L’Union européenne, les États-Unis et Israël fournissent beaucoup d’armes à Bakou.
Je note que les relations entre l’Azerbaïdjan et Moscou ne sont plus aussi bonnes qu’avant, mais Ilham Aliyev n’a plus tellement besoin de son allié russe.
L’Arménie, quant à elle, à part la France, n’a pas vraiment d’alliés. Ce qui rend la situation difficile pour elle.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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