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Gaza

Gaza : Le deuil impossible sous 61,5 millions de tonnes de décombres

Les larmes coulent sur le visage d'Ahmed Salim. Devant lui, un amoncellement de béton et de ferraille : tout ce qui reste de son ancienne maison de cinq étages dans le quartier de Zeitoun, à l'est de Gaza-ville. Sous ces ruines reposent trente membres de sa famille, emportés par un bombardement le 25 décembre 2024.

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Des personnes traversent une zone de bâtiments détruits dans la ville de Gaza, dans la bande de Gaza, le 10 novembre 2025.

Photo: SAEED JARAS/Middle East Images/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 5 Min.

« Ma femme, mes enfants, ma mère, mon père et d’autres… il n’y a que moi qui ai survécu », témoigne cet homme de 43 ans, la voix brisée. Son seul souhait désormais : pouvoir offrir une sépulture digne à ceux qu’il aimait. Mais depuis près d’un an, cette dernière volonté lui est refusée.

Un territoire enseveli sous l’équivalent de 6.000 Tours Eiffel

L’histoire d’Ahmed se répète des milliers de fois à travers Gaza. Selon une analyse de l’ONU réalisée par l’AFP, deux années de conflit ont engendré une catastrophe sans précédent : 61,5 millions de tonnes de débris recouvrent désormais le territoire palestinien, résultat de la destruction des trois quarts des bâtiments par l’armée israélienne. Un volume qui équivaut à 6.000 fois le poids de la Tour Eiffel.
Mahmoud Bassal, porte-parole de la Défense civile de Gaza, évoque le défi titanesque : « Il faut soulever des toits entiers, des tonnes de ciment qui recouvrent les corps. » Son estimation est glaçante : environ 10.000 personnes gisent encore sous les décombres.
Le matériel de déblaiement fait cruellement défaut pour mener ces opérations de recherche.

Des bulldozers pour les uns, l’abandon pour les autres

Depuis l’entrée en vigueur de la trêve le 10 octobre, une scène alimentée l’amertume des Palestiniens. Israël a autorisé l’entrée de bulldozers égyptiens, mais uniquement pour rechercher ses otages décédés, comme le prévoyait l’accord de cessez-le-feu. La Défense civile palestinienne, elle, affirme toujours manquer d’équipement pour ses propres recherches.
« Le monde est injuste », s’indigne Amal Abdel Aal, 57 ans. « Nous voyons des bulldozers fouiller pour retirer les prisonniers israéliens tandis que personne ne se soucie des milliers de nos martyrs. » Son fils et son frère sont enterrés quelque part dans Gaza-ville depuis le début de la guerre. Déplacée dans le sud de la bande de Gaza avec des centaines de milliers d’autres réfugiés, elle ne peut les rejoindre.
« Ils ne quittent jamais mes pensées », confie-t-elle. « Mon cœur se tord en imaginant que des chiens pourraient atteindre leurs corps. Je ne serai soulagée que lorsque je les aurai enterrés, même s’il ne restait qu’un seul os. »

« Aidez-moi à les retrouver » : l’appel désespéré des familles

Iyad Rayan se tient devant ce qui fut sa maison à Gaza-ville, détruite début octobre selon lui. « Ma femme, mon fils Samir et ma fille Lana sont toujours ici », dit-il. « Je veux lancer un appel au monde entier : aidez-moi à les retrouver. »
Sa question résonne comme un cri : « Pourquoi le monde ne traite-t-il pas les corps des Palestiniens de la même manière » que ceux des otages israéliens ?

La consolation d’un adieu, refusée à tant d’autres

Pour certains, le cessez-le-feu a offert une opportunité tragique mais précieuse. Amer Abou al-Tarabiche a pu retourner à Beit Lahia, dans le nord, pour extraire « à mains nues » les corps de ses parents des ruines de la maison familiale.
« J’ai sorti leurs corps intacts, ils n’étaient pas décomposés », raconte-t-il, submergé par l’émotion. « J’ai pu les sortir un par un, leur dire adieu, et imprimer leur visage dans mon esprit avant de les enterrer. »
Mais cette forme de consolation pourrait ne jamais être accordée à des milliers d’autres. De nombreuses personnes ont été portées disparues lors des déplacements massifs de population au fil des combats. « Nous ne savons pas s’ils ont été tués ou arrêtés par l’occupation », souligne Mahmoud Bassal.

Des enterrements précipités, un serment solennel

D’autres familles ont dû procéder à des enterrements dans l’urgence, sans pouvoir respecter les rituels funéraires. Beaucoup considèrent ces sépultures comme temporaires.
Mohammed Naïm, 47 ans, a vécu ce déchirement au début de la guerre. Une frappe israélienne a tué 43 membres de sa famille. Par nécessité, il a dû les regrouper dans seulement sept tombes.
« Nous avons placé les restes de chaque famille dans une tombe », explique-t-il. « Mais nous avons juré devant leurs tombes que nous les sortirions et les réenterrerions dignement dans la ville de Gaza. »
Un serment qui résume le combat de milliers de Gazaouis : celui de pouvoir, un jour, faire leur deuil.
Avec AFP