Opinion
Emmanuel Lincot : « Donald Trump ne pourra pas faire pression seul sur la Chine »
ENTRETIEN – Donald Trump et son homologue chinois, Xi Jinping se sont rencontrés le 30 octobre à Busan en Corée du Sud en marge du sommet de la coopération économique Asie-Pacifique. Une poignée de main et des discussions qui interviennent dans un contexte de tensions commerciales entre Washington et Pékin.

Photo: Crédit photo : Emmanuel Lincot
Emmanuel Lincot est sinologue, professeur à l’ICP et directeur de recherche à l’IRIS, co-responsable du Programme Asie-Pacifique. Il estime que Xi Jinping est sorti renforcé de sa rencontre avec le président américain en Corée du Sud.
Epoch Times – Qu’avez-vous retenu de cette rencontre entre les deux principaux leaders mondiaux?
Emmanuel Lincot – Je note d’abord que Donald Trump a obtenu un sursis d’un an sur la livraison des terres rares.
Mais d’une certaine manière, le président américain s’y était préparé puisqu’en amont de cette rencontre, il s’était rendu au sommet de l’ASEAN à Kuala Lumpur, au cours duquel il a d’ailleurs signé un accord avec la Malaisie et la Thaïlande, sécurisant ainsi l’approvisionnement des États-Unis en terres rares.
Ce qui est évidemment crucial pour le locataire de la Maison-Blanche, les terres rares sont nécessaires pour la fabrication des microprocesseurs.
Donald Trump a aussi obtenu des Chinois la suppression des droits de douane sur les produits agricoles américains, dont le soja. En même temps, ce n’est pas non plus une grande victoire pour Washington. Les Chinois peuvent, en réalité, très bien se passer du soja américain. Ils ont d’autres fournisseurs, à commencer par le Brésil.
Qui de Donald Trump ou de Xi Jinping est sorti vainqueur de cette rencontre ?
Comme l’ont écrit certains de vos confrères, la Chine a pris l’ascendant sur Donald Trump.
Maintenant, je crois qu’il y a un autre sujet qui a de quoi inquiéter, en particulier Taipei. Pas une seule fois, les deux protagonistes, n’ont évoqué la question de Taïwan, en tout cas publiquement.
On peut alors analyser cela de la manière suivante. Il n’est pas exclu qu’à terme, le président américain décide d’abandonner l’île. Cette décision ne serait pas sans contradiction avec certains choix politiques faits lors de son premier mandat, à l’instar de la réactivation du Taiwan Relations Act en vigueur depuis 1979, ou du transfert d’une chaîne de montage de fabrication de F-16 à Taïwan même. Mais avec Donald Trump, tout est possible.
Quelques jours après la rencontre avec Xi Jinping, le président américain a déclaré sur la chaîne CBS que le leader chinois comprenait « les conséquences » d’une invasion de l’île. Comment analysez-vous ce propos de Donald Trump ?
Il fait écho à une déclaration de son secrétaire d’État, Marco Rubio. Quelques jours avant le sommet de Kuala Lumpur, lors d’un déplacement au Proche-Orient, le secrétaire d’État a affirmé qu’il n’était pas question que les États-Unis abandonnent Taïwan.
En même temps, l’île représente à elle seule 80 % de la fabrication des microprocesseurs dans le monde. C’est donc également à la lumière de cet intérêt stratégique qu’il faut décrypter le propos de Donald Trump.
Finalement, le locataire de la Maison-Blanche semble plus se préoccuper de Taïwan que certains analystes l’imaginaient …
Oui, parce que c’est un homme d’affaires. Il n’a pas d’empathie. La quasi-totalité de sa politique passe par des transactions.
S’il fallait placer Trump dans une case de théorie des relations internationales, je dirais que c’est un bismarckien. Il agit seulement dans l’intérêt de la souveraineté américaine, et considère que tout le reste peut être remis en cause.
Et puis, il sait que Taipei et Washington sont liés par le Taiwan Relations Act et que les Japonais, alliés historiques des Américains, ont rappelé à plusieurs reprises qu’ils interviendraient en cas d’invasion de l’île. D’un point de vue constitutionnel, il est désormais possible pour Tokyo de venir en aide à Taïwan.
Donald Trump a signé cette semaine un décret abaissant de 20 à 10 % une surtaxe douanière imposée à des produits chinois. De son côté, la Chine a annoncé prolonger d’un an la suspension des surtaxes de 24 % sur des produits américains. Sommes-nous entrés dans une période d’apaisement des tensions commerciales entre les deux puissances ?
On peut voir, en effet, en apparence un apaisement. Mais j’y vois surtout un moyen, pour les uns comme pour les autres, de gagner du temps.
Mais que va-t-il se passer dans un an et demi ? À mon sens, la configuration aura complètement changé. Par ailleurs, je pense que chacun est aussi en train d’éprouver ses partenariats internationaux. Pékin teste la solidité de ses relations avec le Sud global.
Du côté des États-Unis, on peut espérer que Donald Trump prenne conscience qu’il ne pourra pas faire pression seul sur la Chine.
Il a besoin de ses partenaires du Sud-Est asiatique, mais aussi du Japon, avec lequel il vient de signer un accord pour l’acheminement d’un gazoduc qui partira de l’Alaska pour ravitailler l’Empire du Soleil Levant.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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