Opinion
Edoardo Secchi : « Dans un pays où les partis politiques historiques ont échoué sur tous les plans, Giorgia Meloni incarne la volonté de donner un nouvel élan »

Photo: Crédit photo : Edoardo Secchi
ENTRETIEN – À la tête de l’Italie depuis presque trois ans, Giorgia Meloni n’a pas manqué d’imprimer sa marque et de se démarquer de ses homologues européens. Jouissant d’une popularité flatteuse, moins alarmiste sur la politique protectionniste de Donald Trump et très active sur la scène internationale, la présidente du Conseil des ministres n’en finit pas de faire parler d’elle.
Edoardo Secchi est conseiller économique et du commerce extérieur, fondateur et président du Club Italie-France. Souvent dépeinte comme personnalité politique « populiste » ou « d’extrême droite » la présidente du Conseil des ministres a montré qu’elle était compétente, analyse-t-il.
Epoch Times : Edoardo Secchi, fin juillet, un accord a été trouvé entre Bruxelles et Washington, notamment sur les droits de douane souhaités par le président américain. Une taxe de base de 15 % sur les exportations européennes aux États-Unis sera mise en place. Certains secteurs clés sont épargnés. Mais les entrepreneurs européens et italiens restent inquiets. Comment Giorgia Meloni gère-t-elle la situation ?
Edoardo Secchi : Il est encore trop tôt pour savoir si ces droits de douane auront un impact négatif sur les entreprises européennes et italiennes. Le patronat italien craint que les droits de douanes mêlés à la dévaluation du dollar pourraient faire perdre entre 20 et 22 milliards d’exportations et menaceraient par conséquent 140.000 emplois. Il n’oublie pas également le fait que les États-Unis représentent environ 70 milliards d’euros d’exportations italiennes, c’est-à-dire 10 % du commerce extérieur du pays.
Toutefois, restons concentrés sur les faits. Prenons par exemple le premier semestre qui vient de s’écouler. Les exportations italiennes ont augmenté de 4,0 %, soit 322,6 milliards d’euros d’exportations de marchandises. À cela s’ajoutent les exportations de services, 70,6 milliards d’euros, en hausse de 7,3 % par rapport à 2024. Les principales destinations des exportations italiennes ont été les États-Unis (+10,3 %), la Suisse (+18,4 %), l’Espagne (+12 %), la Belgique (+15,8 %), la France (+6,7 %) et le Royaume-Uni (+10,1 %). Attendons donc la fin de l’année pour analyser l’éventuel impact des tarifs douaniers sur les exportations.
Et puis nous connaissons tous le tempérament du président américain : il peut prendre une décision un jour et revenir dessus le lendemain !
C’est sa méthode. Il tape du poing sur la table, regarde les réactions et se dit ensuite prêt à négocier. Mais Giorgia Meloni préfère rester prudente. Pour l’instant, les inquiétudes du patronat relèvent du virtuel et ne se sont pas matérialisées.
Nous pouvons également imaginer qu’en cas de ralentissement des exportations italiennes outre-Atlantique, ces dernières pourraient être compensées en bonne partie chez d’autres partenaires commerciaux comme les États membres du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, etc…) ou encore l’Inde, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud, l’Afrique du Nord, et l’Asie du Sud-Est.
In fine, je pense surtout que Trump souhaite rappeler à tout le monde qu’il est le maître du commerce mondial et profite de la faiblesse de ses concurrents pour le faire. Il sait pertinemment que les Européens sont désunis, faibles et choisissent systématiquement de se ranger derrière l’Amérique.
Et Giorgia Meloni cherche à faire perdurer sa bonne entente avec Donald Trump…
Oui et dès le départ, les deux se sont très bien entendus et continuent aujourd’hui de s’apprécier mutuellement. Donald Trump ne tarit pas d’éloges à l’encontre de Giorgia Meloni.
Il faut dire qu’elle est la première femme à la tête d’un gouvernement italien. J’ajouterais qu’elle a un bon bilan économique et qu’elle a fait renouer l’Italie avec une forme de stabilité gouvernementale, ce qui était loin d’être gagné !
Et aujourd’hui, elle bénéficie d’un retour en grâce après avoir subi pendant longtemps les critiques des médias européens. Giorgia Meloni était présentée comme une fasciste incompétente. Finalement, des années plus tard, elle démontre qu’elle est en mesure d’apporter des réponses aux problèmes des Italiens, même s’il y a encore beaucoup de travail à faire.
Par ailleurs, elle est consciente qu’elle ne peut pas décider de tout. Le commerce est une compétence exclusive de l’UE. Elle a donc opté pour cette posture de médiatrice entre Bruxelles et Washington, et essaye d’être une solution pour éviter de fâcher son allié historique.
Vous dites que le patronat italien est inquiet. Comment réagit-il à l’approche de Giorgia Meloni ?
Comme je vous le disais, le patronat est inquiet, mais en même temps, il ne peut pas s’en prendre à la cheffe du gouvernement. Elle ne peut pas, à elle toute seule, régler un problème qui concerne l’ensemble de l’Europe. Et au fond, les grands patrons savent que les tarifs douaniers de l’administration Trump sont en quelque sorte le prix à payer s’ils veulent continuer à avoir de bonnes relations commerciales avec l’Amérique.
Pour l’heure, il n’y a donc pas de risque de baisse de popularité, notamment auprès des entrepreneurs italiens ?
Non, parce qu’elle se bat pour l’économie, pour la stabilité et le retour de l’Italie sur la scène internationale. L’Italie était le seul membre du G7 à enregistrer un excédent primaire. Le déficit public est passé de 7,2 % à 3,4 % et la dépense publique a été réduite.
Tous ces éléments répondent à des priorités mais aussi aux objectifs que son gouvernement s’était fixés. Enfin, c’est la meilleure réponse à ses détracteurs nationaux et internationaux, qui ont traité la Présidente du Conseil avec superficialité et suffisance, sans analyser ni le contexte italien ni son programme. Et puis ajoutons un élément politique qu’il me semble important de rappeler : dans un pays où les anciens partis politiques ont échoué sur les dossiers les plus importants (économie, emplois, immigration, sécurité), Giorgia Meloni incarne la volonté de donner un nouvel élan.
Au regard des partis d’opposition actuels, je pense que Mme Meloni va rester longtemps au pouvoir.
La présidente du Conseil des ministres est aussi très présente sur la scène diplomatique. Lors du sommet à Washington la semaine dernière, elle a mis l’accent sur les garanties de sécurité de l’Ukraine et de l’Europe. Sur le conflit israélo-palestinien, elle a pris le contre-pied d’autres leaders européens en ne souhaitant pas la reconnaissance immédiate d’un État palestinien. Comment analysez-vous la stratégie de la cheffe du gouvernement italien, à la fois sur la situation au Moyen-Orient et l’Ukraine ?
L’Italie et Israël ont toujours entretenu des relations économiques et amicales profondes. Ce que Meloni cherche à préserver à tout prix. Puis, la présidente du Conseil des ministres a estimé que le moment était mal choisi pour reconnaître un État palestinien puisque la guerre fait toujours rage et que le Hamas a toujours refusé la solution à deux États. Je rappelle aussi que Rome entend conserver des liens étroits avec les pays arabes et certains ne soutiennent pas la création d’un État palestinien.
Concernant le dossier ukrainien, Mme Meloni réclame une paix juste, durable et soutenue par des garanties de sécurité crédibles, inspirées de l’Article 5 de l’OTAN, sans toutefois aller jusqu’à l’adhésion formelle à l’Ukraine. Elle s’oppose catégoriquement à l’utilisation des armes fournies à l’Ukraine pour frapper le sol russe, qualifiant cela de sujet à aborder avec une extrême prudence. Enfin, elle ne soutient pas l’envoi de troupes européennes de maintien de la paix, jugeant l’option trop complexe, risquée et inefficace.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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