Logo Epoch Times

Dons anonymes à la fondation de l’OMS : les politiques de santé publique influencées par des donateurs privés ?

top-article-image

Photo symbolique montrant le logo de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Depuis que l'OMS a créé sa propre fondation en mai 2020 afin de collecter des dons, des soupçons de conflits d'intérêts sont évoqués. (Fabrice Coffrini/AFP via Getty Images)

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 14 Min.

Une analyse de transparence menée par des chercheurs britanniques sur le financement de la fondation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a révélé des tendances remarquables. Depuis la création de la fondation en 2020, de plus en plus de donateurs ont insisté sur l’anonymat.
L’origine de 62,3 % du total des dons – soit environ 83 millions de dollars – qui ont été versés jusqu’à fin 2023 reste ainsi inconnue. En 2023, la proportion de donateurs anonymes a même atteint près de 80 %.
Ces informations soulèvent des inquiétudes quant à la transparence et au financement relatifs à l’OMS et à l’influence des donateurs privés sur les politiques de santé publique.
La fondation de l’OMS à Genève, des fonds destinés à l’organisation des Nations Unies
Cette analyse de transparence a été menée par les trois chercheurs en santé mondiale Nason Maani, Emily R. Adrion et Jeff Collin, qui sont tous les trois rattachés au département de politique de santé mondiale de la faculté des sciences sociales et politiques de l’université d’Édimbourg en Écosse.
Leur analyse, publiée le 23 juillet 2025 dans la revue spécialisée BMJ Global Health (BMJ : British Medical Journal), a pour but d’examiner la transparence ainsi que les modèles et tendances des dons reçus par la fondation de l’OMS. The Guardian a été l’un des premiers grands journaux à rendre compte de cette étude.
L’origine de 51,6 millions de dollars est inconnue
Environ 48 % des revenus de la fondation de l’OMS, soit environ 39,8 millions de dollars, correspondent à un certain modèle double au cours des deux premières années et demie suivant la création de la fondation en 2020. Premièrement, les donateurs ont refusé de divulguer leur nom ; deuxièmement, les montants correspondants étaient chacun supérieurs à 100.000 dollars. S’y ajoutent des fonds anonymes de moindre ampleur, qui ont finalement représenté 11,8 millions. L’origine des dons a ainsi été cachée au public pour un total d’environ 51,6 millions de dollars (62,3 %). En 2023, la proportion de dons anonymes a même atteint près de 80 %.
La raison pour laquelle les noms de nombreux donateurs, ayant versé la plus grande partie de ces fonds, n’ont pas été publiés reste incertaine. Du point de vue des auteurs, il reste donc difficile de savoir si « des entreprises de l’industrie des combustibles fossiles, des producteurs d’alcool, des fabricants de boissons sucrées et des entreprises de cigarettes électroniques » pourraient également figurer parmi les grands donateurs. En effet, selon les directives de la fondation, seuls les fabricants de tabac et d’armes seraient expressément exclus en tant que donateurs.
Les grands donateurs nommés étaient essentiellement des acteurs importants tels que la Fondation Bill et Melinda Gates ou des entreprises des secteurs des médias sociaux, de la médecine, de l’alimentation, de la banque, de l’industrie pharmaceutique ou de l’énergie. La Fondation Bill et Melinda Gates fait également partie des donateurs qui soutiennent régulièrement l’OMS directement.
Forte baisse de la transparence au fil du temps
Selon l’analyse de Maani, Adrion et Collin, une proportion croissante de dons a été versée de manière anonyme chaque année. En 2023, 79,8 % des dons ont été versés par des donateurs anonymes qui ont donné plus de 100.000 dollars.
Selon les auteurs, la transparence financière de la fondation était donc déjà en 2023 comparable à celle d’organisations « qualifiées de think tanks financés par des fonds occultes ».
Pour évaluer la transparence, les chercheurs ont utilisé une version adaptée du système d’évaluation à cinq niveaux « Who Funds You ? » (PDF) développé à l’origine pour les think tanks privés par la plateforme médiatique britannique Open Democracy.
Alors qu’Open Democracy attribuerait la quatrième meilleure note « D » dès lors que moins de la moitié des donateurs (en valeur) ayant versé 5000 livres sterling au cours d’une année sont cités nommément, cette limite était fixée à 100.000 dollars américains pour les auteurs britanniques de l’étude.
Selon les auteurs, avec cette échelle ajustée, la Fondation de l’OMS aurait encore mérité la deuxième meilleure note de transparence « B » pour les années 2020 à 2021. Mais au cours des deux années suivantes, la note aurait chuté à « D ».
Contestation du dirigeant de la fondation
Anil Soni, PDG de la Fondation de l’OMS, a répondu à l’accusation de manque de transparence en 2023 lors d’un entretien avec l’agence Associated Press en affirmant que le comité directeur de la fondation, dont fait toujours partie un représentant de l’OMS, connaissait l’identité de tous les donateurs, et qu’en cas de conflit d’intérêts potentiel, aucun don provenant d’une personne souhaitant rester anonyme ne serait accepté. Il a défendu l’insistance de nombreux donateurs à rester invisibles, affirmant qu’ils veulent éviter d’être sollicités ou même ciblés en raison de leur richesse :

« Ils veulent rester anonymes, car sinon, ils risquent d’être sollicités ou même ciblés, parce qu’ils sont considérés comme une source de richesse. Et je respecte cela. »

Anil Soni, PDG de la Fondation de l’OMS

Pour les auteurs de l’étude, la déclaration de M. Soni « contredit les normes et pratiques de l’OMS elle-même, qui divulgue tous les dons à l’OMS provenant de chaque donateur et leur destination via son portail web consacré au budget des programmes ».
Le manque de transparence des donateurs expose ainsi tant la fondation de l’OMS que l’OMS « au risque potentiel d’une atteinte à leur réputation ou d’une influence inappropriée », concluent les trois auteurs du BMJ à partir des résultats de leur enquête.
L’affectation des fonds comme levier pour la ligne de l’OMS ?
La majeure partie des dons – près de 40 millions de dollars américains – a été affectée, pendant la période étudiée, au « soutien opérationnel de la Fondation de l’OMS », c’est-à-dire sans destination précise pour des initiatives spécifiques de l’OMS.
Selon les auteurs de l’étude, l’utilisation des fonds était généralement liée dès le départ à un appel aux dons de la fondation, à un fonds spécial correspondant ou à un problème particulier.
Après l’affectation des fonds, le deuxième poste le plus important au cours des 32 mois étudiés jusqu’à fin 2023 était celui des vaccinations (16,6 millions).
En troisième position, on trouve les dons destinés à être utilisés dans le cadre de la crise du coronavirus, avec près de 12 millions de dollars, suivis par les fonds d’aide fournis par l’OMS à l’Ukraine (7,7 millions).
Entre mai 2020 et décembre 2023, beaucoup moins d’argent constituait les fonds versés à la fondation pour le conflit à Gaza (0,7 million), la région Turquie/Syrie (0,67 million) ou le Soudan (11.000) ont été nettement moins importants.
Une part de plus en plus faible pour les programmes directs de l’OMS
Les auteurs britanniques ont constaté que plus on avançait dans le temps après la récente création de la fondation pour l’OMS, plus la part des dons comptabilisés par la fondation pour le « soutien opérationnel de l’OMS » était élevée chaque année. Les données suggéraient « que les fonds affectés à des fins spécifiques étaient de plus en plus utilisés pour couvrir les frais de fonctionnement de la fondation plutôt que pour soutenir des programmes spécifiques de l’OMS ou pour financer de manière flexible l’OMS elle-même ». Moins de programmes de l’OMS auraient reçu des dons devenus de plus en plus rares et de plus en plus modestes.
Les revenus totaux de la fondation de l’OMS pendant la période étudiée :
Dons à la fondation de l’OMS
entre mai 2020 et décembre 2021 : 28.225.400 dollars américains (PDF)
en 2022 : 38.438.331 dollars américains (PDF)
en 2023 : 16.120.198 dollars américains (PDF)
Selon l’équipe d’auteurs, il n’est toutefois pas possible de donner plus de détails sur la base des données divulguées volontairement par la fondation.
« En raison du manque d’informations, nous ne pouvons ni évaluer la nature des différents accords de partenariat, ni déterminer dans quelle mesure ceux-ci ont été initiés ou dirigés en fonction des priorités de la Fondation de l’OMS, des priorités des différents donateurs ou d’une combinaison des deux. »

Nason Maani, Emily R. Adrion et Jeff Collin, chercheurs en santé mondiale 

Des dépendances mutuelles ?
En principe, il n’était pas toujours évident de savoir si les objectifs du bénéficiaire en matière d’utilisation des fonds correspondaient aux souhaits des donateurs ou si, parfois, c’était l’inverse qui se produisait.
« Dans certains cas, les informations fournies indiquent une orientation stratégique vers les priorités des donateurs, en particulier en ce qui concerne les entreprises privées », indique l’analyse.
Les nouvelles priorités programmatiques fixées de temps à autre par l’OMS pourraient également jouer un rôle dans l’augmentation ou la diminution, le ciblage ou la diffusion de l’engagement d’un grand donateur.
Deux exemples pour illustrer ce propos : une entreprise du secteur de l’énergie donnera-t-elle plus ou moins d’argent à la Fondation de l’OMS si celle-ci lance une nouvelle offensive en faveur de la protection du climat ? Et comment se comporterait un géant des médias sociaux aussi puissant financièrement que Meta si l’OMS accordait une priorité encore plus grande à la lutte contre la désinformation ?
Le gouvernement allemand a plaidé en faveur d’un financement accru et d’une plus grande indépendance de l’OMS
Face à la crainte d’une influence d’acteurs externes, le gouvernement allemand de coalition (« feu tricolore ») avait décidé en mai 2023, soit peu après la création de la fondation, non seulement d’accorder davantage de pouvoirs à l’OMS, mais aussi d’encourager les autres pays membres à verser volontairement des contributions obligatoires plus élevées (document parlementaire 20/6712, PDF) .
L’objectif est de permettre à l’OMS de retrouver, d’ici 2030/2031, la capacité de financer au moins la moitié de son budget de base par des contributions des pays membres plutôt qu’aux dons privés, qui peuvent être motivés par des intérêts particuliers.
Si l’OMS devenait de plus en plus dépendante des dons – ont alors fait valoir les partis rouge-vert-jaune – les bailleurs de fonds publics ou privés pourraient exercer une influence croissante, ce qui pourrait entraîner une modification des priorités de l’OMS. L’organisation onusienne pourrait « se concentrer dans une moindre mesure sur les priorités liées aux défis mondiaux en matière de santé publique ».
Afin de mieux relever ces défis, le règlement sanitaire international, qui a depuis été révisé par l’Assemblée mondiale de la santé, devrait être adopté par le Conseil fédéral (Bundesrat) le 29 septembre. Le cabinet fédéral les avait déjà adoptées à la mi-juillet. Cependant, il faudra encore un certain temps avant que le « traité sur les pandémies » de l’OMS, également lancé dans le cadre de la crise du coronavirus, ne soit transposé dans le droit allemand.