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Attentat du Bataclan

Les victimes tardives du Bataclan : de l’horreur du 13 Novembre au suicide

Huit ans après les attentats du 13 novembre 2015, le bilan s'alourdit. Deux survivants du Bataclan ont succombé au poison invisible du psychotrauma, révélant les failles d'un système de soins inadapté.

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Paris le 20 octobre 2016, la bande dessinée « Mon Bataclan » de Fred Dewilde, graphiste âgé de 50 ans, qui y décrit son expérience effroyable à la salle de concert du Bataclan pendant la nuit des attentats de Paris. Il se suicidera 9 ans plus tard.

Photo: BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 6 Min.

Guillaume Valette avait 31 ans lorsqu’il a mis fin à ses jours en 2017, deux ans après avoir survécu à l’horreur du Bataclan. Ce soir-là, au concert des Eagles of Death Metal, le jeune chimiste a vécu l’indicible : les rafales de kalachnikov, les cris, la terreur absolue de l’assaut le plus meurtrier qui a fait 90 victimes.

Un avertissement tragique

« Jamais je n’oublierai le bruit de ces mitraillettes », avait-il confié à ses parents, Arlette et Alain. Une phrase qui résonne encore aujourd’hui comme un avertissement tragique.
Après cette nuit d’épouvante, Guillaume a perdu son sourire. Diagnostiqué avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT), il tentait de maintenir une vie normale, de continuer à travailler. Mais son corps trahissait ses angoisses : hypervigilance constante, cauchemars répétés, peur panique de sortir, reviviscences incessantes.

Fred Dewilde : dessiner l’indicible pour survivre

Fred Dewilde, dessinateur de bande dessinée et pilier de l’association Life for Paris, a lui aussi combattu pendant des années contre ce poison invisible. Avec ses crayons, il s’est battu pour donner forme à l’incommunicable.
« Il voulait faire comprendre à l’autre cette souffrance intérieure qui isole dans le désespoir les victimes, qui les désocialise et aggrave la rupture de vie », explique sa compagne, Marianne Mazas.
Ses illustrations sont devenues un témoignage poignant du psychotrauma : cette blessure qui ne se voit pas mais qui détruit de l’intérieur. En mai 2024, neuf ans après les attentats, Fred a lui aussi mis fin à ses jours.
« L’illustration dramatique de ce que cause ce poison qui est très long, très insidieux, parfois très invisible », souligne Marianne Mazas.

Un risque suicidaire multiplié par huit

Les chiffres sont glaçants : selon le psychiatre Thierry Baubet, spécialiste au Centre national de ressources et résilience (Cn2r), le TSPT multiplie par huit le risque suicidaire par rapport à la population générale.
Une troisième victime des attentats s’est également donnée la mort en 2021, bien que le lien avec le 13 Novembre n’ait jamais été officiellement établi par la famille.
« Si les traumatismes graves ne sont pas correctement soignés, ils restent aussi intenses et provoquent la même détresse des années après », alerte le Dr Baubet. « Ce n’est pas comme un mauvais souvenir dont la force s’atténuerait avec le temps. »

« Ils me l’ont rendu mort, mon fils »

Pour les parents de Guillaume, la douleur est double. Non seulement leur fils a été victime de l’attentat, mais il a aussi été victime d’un système de soins défaillant.
« Il ne pouvait pas aller où il y avait vraiment les spécialistes », déplore Alain Valette. Son épouse Arlette est plus directe encore : « Je leur ai confié et ils me l’ont rendu mort, mon fils. » Elle évoque l’absence de psychiatre pendant plusieurs mois dans l’établissement où Guillaume était hospitalisé, un sentiment d’abandon total.

Un système de soins imparfait et tardif

En 2015, la France n’était pas préparée. « Il n’y avait pas suffisamment de personnes formées à la prise en charge des psychotraumas », reconnaît Thierry Baubet.
Depuis, l’État a créé des centres régionaux spécialisés et le Cn2r pour informer victimes, proches et professionnels. Mais dans certaines régions, il reste « compliqué de trouver des soins » : manque de psychiatres, structures publiques saturées, délais d’attente interminables.
Un autre obstacle majeur persiste : la peur des victimes de ne pas être comprises, de ne pas être prises au sérieux.

« Il n’est jamais trop tard »

Aujourd’hui encore, des survivants du 13 Novembre souffrent en silence, sans avoir osé chercher de l’aide. Le message du Dr Baubet est pourtant clair : « Il n’est jamais trop tard. »*
Des thérapies efficaces existent : les thérapies cognitivo-comportementales, la psychothérapie EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). Ces traitements peuvent transformer des vies.
« On peut ne plus avoir de symptômes. Ou quasiment plus. Ou garder une légère hypervigilance qui n’empêche pas de vivre, d’aimer, de prendre du plaisir », assure le psychiatre.

Les 131e et 132e victimes enfin reconnues

Après la mort de leur fils, Arlette et Alain Valette se sont battus pour que Guillaume soit reconnu comme la 131e victime décédée des attentats du 13-Novembre. Aujourd’hui, son nom est gravé aux côtés de celui de Fred Dewilde sur les plaques commémoratives.
Deux noms qui rappellent que les attentats continuent de tuer, longtemps après le silence des armes. Deux noms qui interpellent sur l’urgence de mieux soigner les blessures invisibles de la violence.
 
*Si vous ou l’un de vos proches êtes en souffrance, n’attendez pas. Des professionnels formés au psychotrauma peuvent vous aider. Il n’est jamais trop tard.
Avec AFP