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Cuba

Cuba : la chute d’un ex-ministre, porté disparu, ranime les fantômes des procès politiques

Neuf mois après son éviction brutale, l'énigme entourant Alejandro Gil vient de prendre une tournure spectaculaire. Cet ancien ministre de l'Économie, limogé en février 2024, fait désormais face à une avalanche d'accusations qui ébranlent le pouvoir cubain. Le Bureau du procureur général a réclamé sa mise en accusation pour espionnage et atteintes graves à l'économie nationale.

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Le ministre cubain de l'Économie, Alejandro Gil, s'exprime lors d'une interview avec l'AFP au ministère de l'Économie à La Havane, le 17 décembre 2019.

Photo: YAMIL LAGE/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 4 Min.

Depuis sa destitution, l’homme de 61 ans a purement et simplement disparu de la circulation. Personne ne sait s’il est détenu, assigné à résidence ou placé ailleurs. Le silence des autorités alimente toutes les suppositions.

Une liste d’accusations sans précédent

Le réquisitoire du parquet ressemble à un inventaire à la Prévert version judiciaire : espionnage, corruption, détournement de fonds, falsification de documents, évasion fiscale, trafic d’influence, blanchiment d’argent, violation du secret-défense… La liste semble ne jamais finir.
Pourtant, le communiqué officiel reste d’une sobriété troublante. Aucun détail sur le pays qui aurait bénéficié de cet espionnage présumé. Pas un mot sur la nature exacte des préjudices économiques. Même le nombre de co-accusés demeure secret. Cette opacité nourrit les interrogations sur la véritable nature de cette affaire.
Les charges d’espionnage, à elles seules, exposent l’ancien ministre à des peines allant de 10 à 30 ans de prison, voire la réclusion à perpétuité ou la peine capitale.

Un homme proche du pouvoir

Ingénieur spécialisé dans les transports, Alejandro Gil était considéré comme un fidèle du président Miguel Díaz-Canel. Il a dirigé le ministère de l’Économie et de la Planification pendant six ans, une période cruciale marquée par la succession de Raúl Castro et l’aggravation de la crise économique.
Sa chute survient dans un contexte explosif : Cuba traverse sa pire débâcle économique depuis trois décennies. L’ouverture timide au secteur privé s’accompagne d’une inflation galopante, d’un appauvrissement massif de la population et d’inégalités croissantes.

L’histoire se répète : les purges du régime

Cette affaire n’est qu’un nouveau chapitre dans la longue tradition des disgrâces mystérieuses qui jalonnent l’histoire du régime cubain. En 1999, Roberto Robaina, ministre des Affaires étrangères et membre du Bureau politique, avait été balayé pour « déloyauté » envers Fidel Castro.
En 2009, Felipe Pérez Roque et Carlos Lage, deux poids lourds du gouvernement de Raúl Castro, avaient été éjectés pour comportement « indigne ». Mais le précédent le plus dramatique reste celui du général Arnaldo Ochoa, héros de guerre fusillé en 1989 après un procès expéditif pour trafic de drogue.

Un signal politique en temps de crise

Arturo López-Levy, politologue cubain à l’Université de Denver, décrypte cette affaire comme un avertissement aux élites de l’île. Selon lui, Alejandro Gil incarnerait ces dirigeants qui ne croient plus en l’avenir du système et se préparent à l’après-communisme en sécurisant leurs intérêts personnels.
« Dans un contexte de crise et d’ouverture économique, le fait qu’un haut responsable adopte un comportement de fin de partie envoie un signal négatif que le pouvoir cherche à neutraliser », analyse le chercheur.

La fille de l’accusé brise le silence

Dans un geste rare à Cuba, Laura María Gil a pris la défense de son père sur Facebook dès l’annonce de son inculpation. Elle affirme qu’il nie catégoriquement toutes les accusations et exige un procès public retransmis en direct à la télévision, avec la présence de médias officiels et indépendants.
« Concernant l’espionnage, le peuple mérite davantage d’informations », écrit-elle, réclamant des précisions sur le pays bénéficiaire, les compensations reçues et les preuves détenues par le parquet.

Un procès à huis clos ?

Pour Arturo López-Levy, l’accusation d’espionnage pourrait servir de prétexte au régime pour organiser un procès à huis clos, permettant ainsi un contrôle total sur les informations divulguées. Une manière de préserver les secrets du pouvoir tout en éliminant un élément devenu gênant.
Aucune date de procès n’a été annoncée. L’attente continue, entretenant le mystère autour de cette affaire qui révèle les fractures d’un régime aux abois.
Avec AFP