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Boyan Radoykov : « La politisation de l’UNESCO a un bel avenir devant elle »

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Photo: Crédit photo : Boyan Radoykov

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Durée de lecture: 14 Min.

ENTRETIEN – Le 22 juillet dernier, Washington a annoncé le retrait des États-Unis de l’UNESCO, jugeant l’organisation trop « woke » en « total décalage avec les politiques de bon sens pour lesquelles les Américains ont voté en novembre » et un parti pris contre Israël. Le retrait sera effectif le 31 décembre 2026. Ce n’est pas la première fois que Donald Trump décide de quitter l’organisme onusien. Lors de son premier mandat, en 2017, le républicain avait déjà pris cette décision avant que Joe Biden revienne dessus en 2023.
Boyan Radoykov est docteur en sciences politiques de la Sorbonne, expert en relations internationales et stratégie, ancien diplomate et a travaillé plus de vingt-cinq ans à l’UNESCO.
Epoch Times – Quel est votre avis sur la décision américaine de quitter à nouveau l’UNESCO et les motifs évoqués par Washington ?
Boyan Radoykov – Il n’y a pas eu de surprise. Le président Trump l’avait annoncé pendant sa campagne électorale, et il l’a fait une fois élu. Il existe des dirigeants qui, contrairement à d’autres politiciens, disent ce qu’ils pensent et font ce qu’ils disent. Les raisons invoquées ont peu changé depuis le premier retrait des États-Unis en 1983. À mon avis, cette décision affaiblira considérablement et durablement l’UNESCO, tant sur le plan financier que politique.
Les relations entre les États-Unis et l’UNESCO sont donc historiquement houleuses. Les États-Unis s’étaient déjà retirés sous Ronald Reagan en 1983 …
Tout à fait. Les États-Unis ont toujours entretenu une relation complexe avec l’UNESCO. Fondée en 1945 principalement par des pays occidentaux afin de promouvoir l’alphabétisation, l’éducation et la culture, l’organisation a pu compter dès le début sur le soutien américain. Puis, Washington a décidé de se retirer après avoir conclu que l’UNESCO s’était laissée transformer en un forum politisé de propagande anti-américaine inspirée par l’Union soviétique. En conséquence, les États-Unis ont quitté l’UNESCO, emportant avec eux leur part de 25 % de son budget ordinaire. La Grande-Bretagne et Singapour ont suivi deux ans plus tard.
Après une absence de près de vingt ans, les États-Unis ont réintégré l’organisation en octobre 2003. En 2011, l’administration Obama a ouvert la voie à la décision du président Trump de se retirer de l’UNESCO en gelant les contributions américaines après que la Conférence générale de l’UNESCO a voté l’admission de la Palestine en tant qu’État membre de l’organisation.
Par la suite, en octobre 2017, le président Trump a annoncé que les États-Unis se retireraient de nouveau de l’UNESCO à la fin de l’année 2018. Cette décision a été annulée par son successeur Joe Biden en 2023, mais deux ans plus tard, la décision de Biden de révoquer le retrait des États-Unis a été à son tour annulée par le président Trump après sa réélection. Seul l’avenir nous dira s’il s’agit là du dernier rebondissement dans la relation houleuse entre l’UNESCO et Washington.
L’organisation a-t-elle toujours été aussi politisée et aussi divisée sur le plan idéologique ?
En réalité, elle l’a été beaucoup plus pendant la guerre froide. Sa politisation concernant Israël, par exemple, remonte bien avant le premier retrait américain. En novembre 1974, la 18e Conférence générale de l’UNESCO condamna Israël pour son attitude, jugée contraire aux objectifs de l’organisation, et vota l’imposition de sanctions pour avoir prétendument modifié la ville de Jérusalem lors de fouilles archéologiques. Le Congrès américain suspendit immédiatement le financement de l’UNESCO, contraignant l’agence à assouplir sa position. En 1976, Israël fut réadmis et, en 1977, le financement américain reprit.
Autre exemple. En 1980, lors de la Conférence générale de l’UNESCO à Belgrade, une majorité de pays communistes et en développement ont appelé à la création d’un « nouvel ordre mondial de l’information » afin de compenser le prétendu parti pris pro-occidental des agences de presse internationales. Les objectifs étaient de mettre en place un système d’octroi de licences pour les journalistes, un code international d’éthique journalistique et un contrôle accru des gouvernements sur le contenu des médias. Bien que l’UNESCO ait reculé sous la pression des pays occidentaux, elle a tout de même alloué quelque 16 millions de dollars américains à un programme de deux ans visant à étudier les « réformes des médias ».
Après 2011, les difficultés financières ont exacerbé la crise politique et programmatique. Sans le financement américain, l’UNESCO a été contrainte de réduire ses activités, de supprimer des postes et de financer la retraite anticipée de son personnel. Pour survivre, elle a commencé à fonctionner principalement grâce à des fonds extrabudgétaires fournis par les États. Au lieu de réduire les tensions budgétaires, cela a conduit à une politisation encore plus grande de l’UNESCO. Les gouvernements ont financé l’organisation « à la carte » en fonction de leurs priorités politiques nationales et ont imposé une série de conditions sine qua non à l’UNESCO avant de verser leurs contributions « volontaires ». La politisation de l’UNESCO a donc un bel avenir devant elle.
Dans un communiqué, la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay a réagi à la décision américaine. « Si regrettable qu’elle soit, cette annonce était attendue et l’UNESCO s’y est préparée », a-t-elle déploré avant d’ajouter que « par les efforts conduits par l’Organisation depuis 2018, la baisse tendancielle de la contribution américaine a été compensée, pour ne plus représenter que 8 % du budget total de l’Organisation ». Qu’en pensez-vous ?
C’est une façon typiquement politique de présenter une réalité alternative. Il s’agit d’un calcul budgétaire visant à démontrer que ce retrait aura peu d’impact sur l’organisation, grâce au travail d’anticipation effectué par la haute direction. De plus, le retour des États-Unis était considéré comme le plus grand succès politique. Or, avec leur nouveau retrait, le bilan sur ce plan est à nouveau bien maigre.
En juillet 2023, lorsque les États-Unis sont revenus sous la présidence de Biden, le calcul effectué par la même direction générale était différent. À l’époque, la directrice générale avait souligné que les États-Unis financeront l’équivalent de 22 % du budget ordinaire de l’Organisation. En deux ans, leur contribution serait tombée à 8 % ? Cela ne tient pas la route.
Pour arriver à ce chiffre de 8 %, l’équipe de direction a calculé la contribution des États-Unis sur la base du budget intégré de l’UNESCO, qui comprend à la fois les contributions obligatoires et les contributions « volontaires ». Ce subterfuge, largement relayé par les médias, occulte le fait que les contributions obligatoires des États membres sont calculées exclusivement sur la base de leur pourcentage respectif du budget ordinaire de l’UNESCO, et non sur la base du budget intégré.
Le mandat de la Directrice générale actuelle de l’organisation onusienne va prendre fin cet automne à l’occasion des élections pour désigner son successeur. Quel bilan faites-vous des deux mandats de l’ex-ministre de la Culture de François Hollande ?
J’ai fréquenté de près tous les directeurs généraux de l’UNESCO depuis 1991. Les comparer serait incongru. Chacun avait ses forces et ses faiblesses. Quant à Mme Audrey Azoulay, elle partira comme elle est arrivée, sans avoir vraiment compris ce que signifie être à la tête de l’UNESCO, ni les valeurs et l’intégrité que cette fonction exige. Son bilan est plutôt mitigé. D’un côté, c’est grâce à elle que l’UNESCO est mieux représentée haut en couleur et en robes de grandes marques aux festivals de Cannes et de Venise, et qu’elle est devenue si axée sur les célébrités, mais d’un autre côté, rarement une équipe de direction s’est montrée aussi frileuse lorsqu’il s’agissait d’entreprendre de véritables réformes ou de définir une vision et un contenu à la hauteur des défis contemporains.
De plus, la gestion de l’UNESCO sans respect des règles et des procédures – et je suis bien placé pour le dire, puisque le Tribunal administratif de l’OIT (la plus haute instance judiciaire du système des Nations Unies) m’a récemment donné raison sur ce point – combinée à une aversion chronique pour toute critique, a créé un climat démotivant. La directrice générale a passé son temps à ostraciser ceux qui pensaient différemment, tant au sein du Secrétariat que parmi les délégations des États membres, alors que sa fonction exigeait d’elle qu’elle encourage la liberté de pensée et d’expression et qu’elle fédère ainsi des synergies autour de sa vision du monde et de l’organisation. Cela n’a pas été le cas.
L’UNESCO est aujourd’hui une agence onusienne qui a abîmé son rayonnement, sa visibilité et sa crédibilité. Qui n’avance pas, recule et qui recule disparaît. Il est là le risque. La toute-puissance de la direction générale utilisée à contre-courant de l’esprit de l’UNESCO a fini par se retourner contre elle.
Depuis plusieurs années, l’UNESCO s’oriente vers les plateformes numériques touristiques à l’instar d’Airbnb pour promouvoir un tourisme durable. Mais certains dénoncent une politique qui a entraîné, notamment à cause des algorithmes, du surtourisme dans certaines villes ou sites. Comment voyez-vous la situation ?
La question primordiale concerne les critères institutionnels utilisés pour sélectionner les entreprises qui se voient accorder le privilège de s’associer à l’UNESCO à des fins lucratives. Depuis quelque temps, l’UNESCO est très sollicitée pour donner une plus grande visibilité aux grandes marques de mode, de luxe et de tourisme sans contrepartie réelle.
Espérons que le nouveau directeur général fera le point sur la situation et peut-être même réexaminera tous ces partenariats. Quant au surtourisme, il s’agit d’un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis la démocratisation des voyages individuels à bas prix, et l’UNESCO n’y est pour rien, même si le partenariat que vous mentionnez dans votre question peut à juste titre prêter à confusion et surprendre.
L’Égyptien Khaled El-Enany et le Congolais Firmin Édouard Matoko sont les deux candidats en lice. Quel regard portez-vous sur ces candidatures. Leur élection marquerait-elle une rupture avec le mandat d’Audrey Azoulay ? Ou seront-ils dans une forme de continuité ?
Commençons par dire qu’il n’y a jamais eu aussi peu de candidats au poste de directeur général. C’est sans précédent. Avec seulement trois candidats au départ, et après le retrait de la candidate mexicaine, l’élection se décidera en un seul tour et l’Égypte l’emportera.
Je ne connais pas personnellement le candidat égyptien, mais j’espère pour lui et pour l’UNESCO qu’il y aura une rupture avec le modus operandi d’Audrey Azoulay. Par contre, je connais bien le candidat congolais. Nous avons été collègues pendant plus de vingt ans. De la culture de la paix à la culture de la peur résume son changement en 2017, après des années de collaboration fructueuse entre nous. Néanmoins, je lui souhaite le meilleur après sa défaite aux élections du mois prochain.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.