« Une ville de conte de fées », « la ville aux cent églises », « un trésor caché » : autant d’expressions employées pour qualifier cette ville enchanteresse nichée dans les douces collines de la Toscane. Moins célèbre que Florence ou Pise, Lucques révèle, derrière ses remparts de la Renaissance, une beauté variée, nourrie d’histoire, d’art et de patrimoine religieux. Légèrement à l’écart des circuits touristiques les plus fréquentés, elle offre des merveilles préservées de l’agitation des cités voisines. Paisible, riche culturellement, Lucques serait sans doute submergée de visiteurs si la renommée de Florence et de Pise ne détournait pas l’attention. Ce déséquilibre fait le bonheur des voyageurs avertis, qui y trouvent un véritable refuge.
Des rues où le temps suspend son cours
Riches d’architecture romaine, médiévale et Renaissance, Lucques déroule un labyrinthe de ruelles sinueuses qui transportent le visiteur dans un décor demeuré intact depuis des siècles. Dans ce mélange saisissant d’ancien et de moderne, scooters, boutiques élégantes et terrasses de café s’insèrent au milieu d’un patrimoine remarquablement préservé : arcs médiévaux, briques sculptées, lanternes, colonnes et façades d’églises abondamment décorées de fresques.
Flâner dans ces rues et sur ces places pavées, c’est glisser hors du temps. Les siècles semblent s’y superposer, s’y confondre en une identité unique, d’où émane une beauté intemporelle où chaque époque vient enrichir la précédente.
La vie moderne à Lucques se déroule dans un décor architectural et traditionnel séculaire. (Walker Larson)
Vestiges de maisons et d’amphithéâtres romains, cathédrales médiévales et fortifications de la Renaissance cohabitent avec bistrots chics et boutiques contemporaines. Les habitants de Lucques, tout en vivant pleinement leur modernité, préservent avec soin ce patrimoine. C’est ce qui fait le charme de cette ville où les heures disparaissent dans le dédale des ruelles, des piazzas et des marches de pierre usées par le temps.
Des strates d’histoire
Les Étrusques sont les premiers habitants connus de la région, comme le rappelle Brian R. Lindquist dans The Wanderer’s Guide to Lucca. La cité est née à la frontière entre Étrusques et Ligures, sur un banc rocheux entouré de marécages formés par le fleuve Serchio. Au IIIᵉ siècle av. J.-C., les Romains en prennent le contrôle et Lucques joue un rôle dans les guerres puniques : après leur défaite à la Trébie, les troupes romaines s’y sont repliées.
Les toits rouges des bâtiments de Lucques sont encore préservés par leurs murs Renaissance. (Walker Larson)
À la chute de Rome, les Lombards s’installent et convertissent la ville au catholicisme, inaugurant une tradition religieuse fervente. Charlemagne les a vaincu, mais leur permet de conserver une partie de leur pouvoir. Lucques devient une cité-État, république indépendante jusqu’à l’arrivée de Napoléon.
Ce dernier offre la ville à sa sœur Élisa, qui y fait aménager la Piazza Napoleone, vaste place aujourd’hui bordée de restaurants, de commerces et dominée par la statue de Maria Luisa di Borbone, une princesse qui a gouverné la cité après la chute de l’Empereur. Enfin, au début des années 1860, Lucques rejoint le Royaume d’Italie nouvellement unifié.
Marchands et pèlerins
Pendant de nombreux siècles, Lucques fut une grande cité marchande, réputée dans le monde entier pour sa soie. Elle devient également un haut lieu de pèlerinage : les fidèles affluaient vers la basilique San Frediano et la cathédrale San Martino. La multiplication des saints locaux a renforcé son attrait spirituel. Aujourd’hui encore, des visiteurs viennent de loin pour prier devant le corps intact de sainte Zita, servante médiévale, ou découvrir la maison de la mystique sainte Gemma Galgani.
Sa position sur la Via Francigena, l’un des grands itinéraires de pèlerinage médiévaux reliant Rome à l’Europe de l’Ouest, assurait à Lucques un flux constant de voyageurs, de pèlerins et de marchands. Malgré des périodes d’invasions et de déclin économique, la cité prospère au fil des siècles. Les palais fastueux, les églises et les œuvres d’art témoignent encore aujourd’hui de la richesse des familles locales. Certaines activités bancaires nées à cette époque perdurent encore aujourd’hui.
Des amphithéâtres romains aux fortifications de la Renaissance, le paysage urbain de Lucques reflète plusieurs strates d’histoire. (Walker Larson)
Une destination enchanteresse
Les remparts de la Renaissance, épais et imposants, constituent l’un des symboles les plus reconnaissables de Lucques. Conçus pour résister à l’artillerie, ils forment aujourd’hui une promenade circulaire, à parcourir à pied ou à vélo, offrant des vues splendides sur les toits rouges de la vieille ville.
Depuis le sommet de la Torre Guinigi, coiffée de chênes verts, le panorama est encore plus spectaculaire. Cette tour, rare vestige d’une époque où marchands et notables dressaient des dizaines de tours comme signes de prestige, rappelle la « skyline » médiévale qu’esquissent certaines miniatures anciennes.
Au cours des siècles passés, le paysage urbain de Lucques était caractérisé par les tours construites par les familles les plus riches. Aujourd’hui, la plupart de ces tours ont disparu. (Walker Larson)
La tour Guinigi, l’une des rares tours subsistant à Lucques, a été construite dans la seconde moitié du XIVe siècle. Des chênes verts ont été plantés à son sommet pour symboliser la renaissance et le renouveau. (Animaflora PicsStock/Shutterstock)
Lucques abrite aussi plusieurs musées notables : le musée Puccini, consacré au compositeur natif de la ville, et le Musée national de la Villa Guinigi, qui expose des œuvres allant de l’époque étrusque à la Renaissance.
Autre curiosité, la Piazza Anfiteatro, vaste place circulaire construite sur les ruines d’un amphithéâtre romain. Les bâtiments qui la ceinturent épousent sa courbe. Aujourd’hui, on y trouve marchands, galeries et restaurants où il fait bon s’attarder en terrasse. Lors de notre visite, l’esplanade accueillait marchands de vêtements et d’œuvres d’art, entourés d’un cercle de restaurants élégants où l’on savoure une cuisine raffinée. Partout dans la ville, les espaces ouverts invitent à la flânerie et à la convivialité.
Le centre historique de Lucques regorge d’éléments romains, médiévaux et Renaissance. (Giannis Papanikos/Shutterstock)
Un festin pour les sens
La réputation de la gastronomie italienne n’a pas besoin d’être vantée davantage. Mais qu’il suffise de dire que les restaurants, bistrots, bars et cafés qui bordent presque toutes les rues et places de Lucques en sont à la hauteur. Grâce à des ingrédients frais et des recettes simples, ancrées dans la tradition, les saveurs chantent sur le palais : intenses sans être écrasantes, riches sans tomber dans l’excès.
Les douceurs méritent une mention particulière. Le visiteur attentif repérera peut-être un camion de rue proposant une spécialité locale : le frate lucchese, sorte de beignet chaud, fraîchement frit, parfumé au citron, roulé dans le sucre glace et nappé de chocolat.
Forno a Vapore Amedeo Giusti est une boulangerie à vapeur historique fondée en 1830. La focaccia, la schiacciata (un pain plat toscan) et d’autres pains sont cuits selon des méthodes traditionnelles. (spatuletail/Shutterstock)
Cannoli d’une boulangerie de Lucques. Ce type de cannoli est une pâtisserie frite en forme de tube, fourrée d’une garniture sucrée. (Patrick Civello/Shutterstock)
La ville aux cent églises
Lucques conserve encore aujourd’hui des dizaines d’églises et chapelles, héritage de son surnom de « ville aux cent églises ». Leurs architectures romane, gothique et toscane dessinent le paysage urbain. À l’intérieur, colonnes de pierre et autels marquetés s’élancent vers la voûte. Les toiles baroques, aux saints en poses théâtrales baignées de lumière, témoignent de la richesse spirituelle et artistique de la ville.
Parfois, le regard s’arrête sur le corps d’un saint ou d’un martyr, exposé sous verre dans une chapelle latérale. Ces reliques, objets de prières séculaires, rappellent la ferveur intacte qui anime la ville.
Surnommée la « ville aux cent églises », les lieux sacrés de Lucques préservent à la fois leur héritage architectural et des siècles de dévotion. (Walker Larson)
La cathédrale San Martino de Lucques se trouve dans le centre historique. Elle date du VIe siècle, bien que des aménagements y aient été apportés au fil des ans. (Walker Larson)
De ses guerres contre Pise à son âge d’or dans le commerce de la soie, en passant par sa diplomatie habile face à Napoléon, Lucques a toujours su conjuguer confiance et foi. Une assurance qui s’exprime dans ses monuments historiques et religieux, omniprésents à chaque coin de rue. Cette cité à taille humaine, accessible et hospitalière, enchante autant par sa beauté et son histoire que par l’esprit de foi, de persévérance et d’espérance qui la façonnent encore aujourd’hui.
Walker Larson enseigne la littérature et l'histoire dans une académie privée du Wisconsin, où il réside avec sa femme. Il est titulaire d'une maîtrise en littérature et langue anglaises, et ses écrits sont parus dans The Hemingway Review, Intellectual Takeout, et dans son Substack, "TheHazelnut".