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La revanche des téléphones « basiques » : pourquoi refont-ils surface ?
Longtemps relégué au rang de relique technologique, le téléphone basique fait un retour remarqué. Portée par une génération en quête de simplicité et par des utilisateurs lassés de l’hyperconnexion, cette tendance reflète un paradoxe de notre époque : se couper du numérique est devenu un privilège que tous n’ont plus les moyens - ni la discipline - de s’offrir.

Photo: Zia Soleil/Getty Images
Il n’y a pas si longtemps, la possibilité d’emporter partout avec soi un téléphone de la taille d’une poche et de pouvoir appeler n’importe qui dans le monde paraissait une prouesse technologique stupéfiante, la concrétisation des rêves les plus audacieux de la science-fiction. Nous avions enfin donné vie, dans le monde réel, au communicateur ultramoderne de la vieille série Star Trek. Tout le monde s’est empressé d’en acquérir un et d’entrer ainsi dans une nouvelle ère futuriste.
Mais très vite, cette machine merveilleuse est elle-même devenue obsolète : les téléphones basiques ont été rapidement supplantés par les smartphones – que l’on devrait d’ailleurs plutôt appeler de véritables ordinateurs miniatures, tant la fonction d’appel est aujourd’hui éclipsée par les applications de réseaux sociaux, la navigation web, les jeux et les textos. Vers le milieu des années 2010, quiconque utilisait encore un téléphone à clapet paraissait désespérément démodé. Ceux qui se promenaient avec ces « antiquités » étaient perçus soit comme des technophobes incurables, soit comme des criminels s’en servant de téléphones « jetables ».
Mais aujourd’hui, les téléphones portables suivent le même cycle que les coupes de cheveux ou la mode : ce qui fut tendance, puis ringard, redevient tendance. Le téléphone basique a peut-être été mis à terre, mais il n’a jamais quitté le ring. Le voici de retour, plus déterminé que jamais.
Retour vers… le passé
Le nom de téléphone basique n’est pas tout à fait juste, même s’il sert de raccourci commode pour désigner tout téléphone portable qui n’est pas un smartphone. De plus en plus de personnes commencent à se demander si revenir au téléphone à clapet ne serait pas, en réalité, une décision intelligente dans un monde saturé de technologie et dopé à la dopamine. Ces appareils – que l’on devrait plutôt qualifier de téléphones « minimalistes » ou « à fonctions essentielles » – offrent la possibilité de se déconnecter un peu, de rompre une relation addictive à la technologie et d’être davantage présent à l’instant.
Bien que cela demeure un phénomène de niche, l’intérêt croissant pour les téléphones minimalistes est indéniable. La génération Z, en particulier, aspire à revenir à une époque plus simple – même si elle est trop jeune pour s’en souvenir – où les téléphones étaient dépourvus des applications élégantes, sophistiquées et addictives qui font aujourd’hui leur succès. Les recherches sur Google de « téléphone basique » affichent d’ailleurs une tendance à la hausse constante depuis cinq ans.
Ammy Archer, responsable des relations médias et de la recherche pour la société de comparaison de forfaits téléphoniques WhistleOut, a décrit pour Epoch Times les résultats de ses études de marché sur cette tendance émergente :
« Dans une enquête menée plus tôt cette année, nous avons découvert que plus de la moitié (59 %) de la génération Z souhaite passer au téléphone basique cette année, tout comme 49 % des millennials. Une personne sur quatre intéressée par ces téléphones ne se soucie même pas de conserver des applications, ce qui traduit un véritable désir de déconnexion », explique-t-elle.

Les téléphones basiques et minimalistes sont à nouveau recherchés. (ArieStudio/Shutterstock)
« Il existe bien des avantages à rester connecté à tout – comme se tenir informé de l’actualité mondiale ou entretenir sa vie sociale —, mais cette connexion permanente engendre aussi une grande fatigue, due à un flux constant d’informations, qui finit par affecter notre vie au-delà de nos écrans. Il y a seulement quelques années, nous avons découvert que plus de la moitié des utilisateurs se considèrent comme dépendants de leur téléphone », ajoute Ammy Archer.
La frustration croissante liée à la dépendance au téléphone a poussé de nombreux utilisateurs désabusés à fouiller sur eBay à la recherche d’anciens BlackBerry, à modifier leurs appareils pour en supprimer les applications distrayantes, ou encore à acheter l’un des nouveaux téléphones minimalistes haut de gamme proposés par des entreprises de ventes en ligne, qui ne conservent que les fonctions essentielles : envoyer des messages, passer des appels et utiliser les cartes.
Des utilisateurs lassés adoptent de nouvelles habitudes numériques
Qu’est-ce qui explique le retour inattendu du téléphone basique ? Au-delà de la nostalgie du début des années 2000, des raisons plus profondes entrent en jeu : une prise de conscience croissante du public quant aux effets négatifs des smartphones, qu’il s’agisse de la santé physique et mentale, du lien social ou du développement des enfants. La conseillère familiale Tessa Stuckey a confié à Epoch Times :
« Je pense que ce que nous observons, c’est un soupir collectif. Depuis des années, nous nageons tous dans ce courant numérique, constamment connectés, constamment en train de faire défiler nos écrans. Parents, adolescents, professionnels – nous avons tous ressenti cette fatigue mentale, cette distraction, cette anxiété, mais aussi ce sentiment d’être prisonniers. Les smartphones se sont tellement intégrés à notre quotidien qu’y renoncer paraissait irréaliste. »
Mais la montée de l’anxiété et de la lassitude liées aux réseaux sociaux et aux téléphones portables a fini par pousser les gens à envisager des alternatives, redéfinissant ainsi ce que beaucoup considéraient jusque-là comme réaliste. « Ce qui a changé, explique Tessa Stuckey, c’est que de plus en plus de personnes s’autorisent enfin à prendre du recul. Les recherches ont rattrapé leur retard, les conversations culturelles ont évolué. Et, pour être franche, la crise de santé mentale – surtout chez les jeunes – a contraint les familles à réévaluer ce qu’elles considèrent comme ‘normal’. »
On observe désormais une reconnaissance publique croissante des nombreux effets néfastes des smartphones et des réseaux sociaux. Yaron Litwin, expert en bien-être numérique et directeur marketing de Canopy, une application de contrôle parental, a énuméré certains de ces effets : comparaisons sociales toxiques, perturbation du sommeil, altération de la mémoire, baisse de l’attention et affaiblissement des liens sociaux.
« Pour les enfants en particulier, ces appareils présentent plusieurs menaces importantes, comme le cyberharcèlement, le vol d’identité ou la sextorsion », a-t-il précisé. À l’instar de Yaron Litwin, Tessa Stuckey a relevé les aspects négatifs des smartphones, notant qu’ils sont devenus de véritables « tétines émotionnelles » qui entravent notre capacité à faire face à l’inconfort, à l’ennui ou à la solitude. Cela peut nuire à la régulation émotionnelle, au contrôle des impulsions et à la résilience – sans parler de l’anxiété engendrée par la comparaison constante avec les autres.
À mesure que ces inquiétudes s’accumulent, l’attrait pour un téléphone à clapet rétro ou pour un modèle minimaliste de nouvelle génération devient évident. Pour beaucoup, passer à un appareil de communication plus simple signifie moins d’anxiété, davantage de pleine conscience et d’attention au monde, plus de temps libre (et une utilisation plus réfléchie de ce temps), moins de fatigue oculaire, un sommeil plus sain, ainsi que des échanges en personne plus nombreux et de meilleure qualité.
Ce dernier point est peut-être le plus essentiel. Tessa Stuckey a souligné que l’un des plus grands coûts liés aux smartphones est la déconnexion sociale. « Cela peut sembler ironique, mais plus nous essayons de ‘nous connecter’ en ligne, plus les gens se sentent isolés dans la vie réelle », a-t-elle observé. « Je le vois constamment dans les familles : tout le monde est dans la même pièce, mais chacun est ailleurs mentalement, absorbé par son propre fil d’actualité. »
Quiconque a observé un groupe de personnes dans un salon, une salle d’attente, un restaurant ou dans les transports en commun reconnaîtra ce phénomène. Pour reprendre le titre d’un ouvrage de la professeure du MIT et spécialiste des technologies Sherry Turkle, nous sommes souvent « seuls ensemble ». Il se pourrait bien que les téléphones basiques aient aujourd’hui le pouvoir de remplir enfin la mission première des téléphones portables : nous relier, plutôt que nous isoler.

Walker Larson enseigne la littérature et l'histoire dans une académie privée du Wisconsin, où il réside avec sa femme. Il est titulaire d'une maîtrise en littérature et langue anglaises, et ses écrits sont parus dans The Hemingway Review, Intellectual Takeout, et dans son Substack, "TheHazelnut".
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