Les sœurs Ross, quand la médecine se fait musique et réconfort sur les hauts plateaux andins
Aux côtés de leur père chirurgien orthopédique, Cassie, Jessie et Alexis Ross sillonnent chaque année certaines des zones les plus précaires d’Amérique du Sud. Entre soins médicaux d’urgence, traductions et distributions de jouets, elles offrent aux villages isolés un rare mélange de guérison, de légèreté et de chaleur humaine.
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Les sœurs Ross ont développé leur caractère et leur compassion en aidant les autres.
Beronica, une Équatorienne d’âge mûr, était incapable de dire au médecin américain sa date de naissance ou son âge. Avec douze frères et sœurs, elle avait grandi dans une pauvreté telle que ses parents n’avaient ni les moyens d’offrir des cadeaux ni d’organiser des fêtes d’anniversaire. Aucun des enfants n’avait été scolarisé. Pour éviter la honte et la souffrance de ne pouvoir offrir la moindre célébration, ses parents n’avaient tout simplement jamais évoqué les anniversaires au sein de la famille.
Témoins de cette conversation, les trois filles du médecin – Cassie, Jessie et Alexis Ross – peinaient à retenir leurs larmes, mesurant la dureté d’un destin qui touchait Beronica et des millions d’autres. Sur leur plage de Huntington Beach, en Californie, imaginer une jeunesse sans fête d’anniversaire, pis encore sans même connaître le jour où l’on était né, relevait de l’inconceivable.
Les sœurs Ross tenaient pourtant à offrir à Beronica une forme de consolation. Elles lui ont ainsi préparé ce rituel fondateur de l’enfance qu’elle n’avait jamais connu : une fête d’anniversaire. Avec des jouets recueillis grâce à la générosité de leurs camarades d’école, elles ont rassemblé médecins, infirmiers et bénévoles, avant d’entonner pour elle « Happy Birthday (Bon Anniversaire) ». Elles lui ont remis ses premiers cadeaux : une poupée, un livre de coloriage et une peluche.
Submergée d’émotion, Beronica a fondu en larmes et serré dans ses bras chacune des trois jeunes filles, qui lui ont promis de célébrer un autre anniversaire avec elle l’année suivante. Cet élan de bonté a eu un effet durable : son fils, jeune adulte, a ensuite aidé sa mère à entreprendre un voyage jusqu’au registre national de Quito, afin de retrouver son acte de naissance. Elle a alors enfin découvert sa véritable date d’anniversaire.
Sur le terrain, au plus près des réalités
L’épisode s’inscrit dans une longue série d’expériences marquantes, accumulées par les trois sœurs et leur père, chirurgien orthopédique, au fil de missions médicales au Mexique, au Guatemala, en Équateur et au Pérou. Ces expéditions les amènent vers des hameaux de montagne, des orphelinats et des séminaires isolés. Cassie, Jessie et Alexis, âgées respectivement de 28, 17 et 16 ans, accompagnent leur père depuis l’âge d’environ huit ans.
Cassie Ross (C) dans un orphelinat au Guatemala, en 2005. (Crédit photo de la famille Ross)
Ces missions de soin reposent aussi, désormais, sur la présence des sœurs Ross, indispensables pour soutenir aussi bien les patients que les équipes médicales, par leur énergie, leur gentillesse et leurs talents musicaux – sans compter l’aide apportée lors de soins et des traductions essentielles qu’elles assurent sur place. Jessie, 17 ans, a résumé au journal The Epoch Times l’importance de leur présence : « Parfois, ce qui fait défaut n’est pas un geste médical précis, mais simplement de l’attention, de l’affection, une forme d’humanité. Et cela peut tout changer dans une vie. » Un constat partagé par les organisateurs, qui comptent sur leur participation année après année.
Les trois sœurs se chargent de tâches variées : assistance à de petites interventions chirurgicales, injections, transport de patients, soutien moral aux enfants, jeux, chants et danses improvisés pour alléger la souffrance – y compris pour leurs camarades bénévoles. Leur fier papa soulignait : « Leurs câlins, leurs cadeaux, leur compagnie et leurs échanges réguliers après les missions laissent une trace, au même titre que l’amélioration de l’état de santé grâce aux soins reçus. »
Sans formation médicale formelle, elles contribuent aussi à des interventions déterminantes. Un jour, Jessie a pris l’initiative de donner un test de grossesse à une patiente qui souffrait d’hémorragies persistantes. Le test a révélé une fausse couche en cours. La jeune fille a alors organisé son transfert immédiat vers l’hôpital. Le personnel médical a par la suite indiqué que sans cette détection précoce, la patiente n’aurait probablement pas survécu au-delà de quelques jours.
Là où tout a commencé
L’engagement familial s’était amorcé non dans des dispensaires, mais dans un stade de baseball. Passé la trentaine, le médecin Ross avait proposé à un confrère de l’accompagner voir la finale des World Series. Son ami avait décliné. Puis il lui avait lancé : « Tu ne peux pas y aller non plus. Je viens de lancer une mission médicale au Guatemala. Maintenant que je sais que tu as du temps, tu n’as aucune chance d’y échapper. Prends un sac de couchage, tu pars une semaine au Guatemala. »
Le médecin avait bel et bien fait le voyage. Et lors des missions suivantes, il avait demandé à pouvoir emmener Cassie, son aînée, alors âgée de 8 ans. Les organisateurs avaient accepté et Cassie s’est révélée d’une grande aide, malgré son jeune âge. Avec les années, Jessie puis Alexis ont rejoint le duo, consolidant une habitude devenue tradition.
Alexis Ross (à droite) avec sa meilleure amie en Équateur, 2022. (Crédit photo de la famille Ross)
Le choc des premiers voyages
Lors des premières missions, les sœurs Ross ont éprouvé un choc face à l’étendue de la pauvreté. Elles découvraient des maisons faites d’adobe et de quelques planches de contreplaqué, recouvertes d’une bâche en guise de toit. Elles rencontraient des populations souffrant de malnutrition, partageant parfois un régime frugal composé principalement de riz, accompagné, les jours fastes, de poulet, de carottes ou de pommes de terre. Elles prenaient dans leurs bras des personnes paraplégiques, amputées ou atteintes d’infirmité motrice cérébrale, nombre d’entre elles se déplaçant grâce à des fauteuils roulants, cannes ou déambulateurs de fortune, bricolés à la hâte – quand ces aides existaient. Elles ont vu les mains rugueuses et rêches d’hommes et de femmes qui avaient mené une vie de dur labeur et d’exposition au soleil. Elles ont frissonné en s’endormant sous des piles de couvertures en alpaga qui ne parvenaient pas à les protéger du froid glacial tout en pensant à leurs douches chaudes, à leurs moquettes et à l’eau courante chez elles.
Ces expériences ont enseigné aux sœurs des leçons essentielles d’empathie et d’humilité. Alexis a confié à Epoch Times : « Il importait de garder en tête la réalité des autres, ce qu’ils avaient, ce qui leur manquait. Dans ces régions où les ressources se font rares, où les jouets n’existent pas… Je retenais surtout la nécessité de ne pas céder à l’ego, à l’arrogance ou à un sentiment de supériorité. »
« Parce que nous considérons tant de choses comme acquises, nous n’avons pas conscience de l’usage excessif que nous faisons de nos propres ressources », a-elle ajouté.
Cassie (à gauche), Alexis (au centre) et Jessie Ross (à droite) avec trois enfants péruviens, en 2025. (Crédit photo de la famille Ross)
Une conscience aiguë de la fragilité du monde
Leurs voyages dans des contrées isolées ont éveillé chez les sœurs une compassion profonde pour les plus vulnérables et une gratitude accrue pour leur vie confortable. Jessie a résumé ce sentiment à Epoch Times : « Là-bas, chaque mission nous ouvrait les yeux. Nous rentrions ensuite à la maison avec l’envie de rappeler à quel point tout cela n’avait rien d’évident. Pouvoir se brosser les dents à l’eau du robinet ou la boire sans crainte, prendre une douche chaude, ou simplement respirer dans un environnement où le taux d’oxygène dans le sang dépassait 92%, tout cela représentent une bénédiction dont nous ne mesurons pas la portée. »
Un engagement au long cours
Les sœurs Ross s’efforcent de lutter contre la misère et la pauvreté en apportant réconfort et joie.L’une de leurs principales actions humanitaires lors de ces voyages consiste à rapporter des jouets donnés des États-Unis et à les distribuer aux enfants – et même à certains adultes qui n’ont jamais vu de jouet auparavant – dans les régions de mission.Jessie a lancé cette initiative, profondément touchée par le manque de jouets chez les enfants, et elle a rencontré un vif succès.Les sœurs collectent les dons et étiquettent chaque colis avec les coordonnées du donateur.Elles se filment ensuite en train de remettre le jouet (souvent une peluche) à un enfant ou un adulte fou de joie qui n’en a jamais possédé un, puis elles envoient les vidéos et les photos au donateur afin qu’il puisse voir le bonheur illuminer le visage de la personne qui reçoit son cadeau.Dans ces touchantes vidéos, enfants et adultes, souvent de petite taille et vêtus de costumes traditionnels, éclatent soudain en sanglots et sourient à la réception des jouets.Ils serrent souvent les sœurs dans leurs bras.
Richesses invisibles et contrastes
Pourtant, malgré la pauvreté matérielle à laquelle les sœurs Ross sont confrontées et qu’elles s’efforcent de combattre, elles ont également constaté que, parfois, les personnes démunies possèdent une plus grande richesse spirituelle que leurs homologues américains aisés.Comparant les Occidentaux – qui tiennent pour acquis l’accès à Internet, les smartphones, les voitures, le chauffage et une abondance de nourriture – aux familles pauvres d’Amérique du Sud, Jessie a remarqué : « Chez nous, ces choses matérielles semblent avoir beaucoup plus d’importance à nos yeux. Nous sommes sujets à la colère au volant et nous nous énervons plus facilement. Là-bas, les communautés cultivent la patience. Chez nous, nous apprenons plutôt l’impulsivité. »
La place laissée au collectif
De même, les sœurs constatent que l’individualisme est plus répandu chez les Américains, tandis que les populations d’Amérique du Sud sont plus enclines à s’entraider, à compter les unes sur les autres et à coopérer.« Les communautés là-bas sont beaucoup plus soudées qu’ici aux États-Unis », a souligné Jessie.
Les jeunes filles affirment avoir appris l’humilité, la patience, la coopération et la foi grâce à l’exemple des populations locales qu’elles vont servir.« Depuis que je participe à ces missions, j’ai le sentiment de grandir à chaque fois, de devenir plus patiente, ou encore plus croyante », a dit Jessie tandis que sa sœur acquiesçait.
Une vie mise au service d’autrui
Les voyages missionnaires ont également permis aux sœurs de découvrir la joie d’aider autrui.Elles souhaitent poursuivre cette vocation de service dans leur vie professionnelle.Cassie est déjà avocate, Alexis envisage de travailler dans le domaine médical, et Jessie hésite encore entre les deux.Une chose est sûre : leurs expériences missionnaires ont profondément influencé leurs choix de carrière.
Dans l’ombre des monts et des forêts
Entre-temps, la famille poursuit ses voyages annuels pour venir en aide aux oubliés et aux délaissés.Des villages reculés perchés sur les montagnes aux jungles denses, en passant par les régions arides où ne poussent aucun arbre, le père et ses filles continuent leur chemin. Leurs voix s’élevaient parfois en chanson, un chant ténu mais déterminé, porté par un amour sincère pour les plus démunis.
Walker Larson enseigne la littérature et l'histoire dans une académie privée du Wisconsin, où il réside avec sa femme. Il est titulaire d'une maîtrise en littérature et langue anglaises, et ses écrits sont parus dans The Hemingway Review, Intellectual Takeout, et dans son Substack, "TheHazelnut".