Opinion
« Paroles de campagne » : la fierté de vivre sur son territoire, malgré l’abandon de l’État

Illustration d'un village français dans les Alpes.
Photo: Shutterstock
En France, un tiers de la population, soit environ 22 millions de personnes selon l’Insee, vit dans des territoires ruraux. Pourtant, la ruralité reste souvent absente des grands débats nationaux, reléguée à l’arrière-plan face aux dynamiques des métropoles et des banlieues.
Les habitants des campagnes, qu’ils soient agriculteurs, artisans, retraités ou jeunes actifs, souffrent d’une forme d’invisibilisation, malgré la fierté qu’ils portent à leur terre, à leur plaine, à leur histoire.
Malgré ces frustrations, l’étude met en lumière une réalité positive : les ruraux aiment leur mode de vie. Quelque 78 % des répondants affirment être heureux de vivre à la campagne, citant des avantages comme la tranquillité, la proximité avec la nature et la force des liens sociaux. S’ajoutent à cela des initiatives locales pour dynamiser les territoires et garder la solidarité des campagnes.
Le think tank Destin Commun, en partenariat avec les associations Bouge ton Coq, InSite et Rura, vient de publier une étude intitulée « Paroles de campagne » qui dresse le portrait de la France rurale dans plusieurs régions du territoire.
Une ruralité plurielle
Le rapport « Paroles de campagne » permet de déconstruire l’idée d’une ruralité monolithique et passive. Les campagnes françaises ne se résument pas à des villages endormis autour d’exploitations agricoles, mais à une vitalité intrinsèque et à un rythme de vie proche du terroir et de la vie en pleine nature.
L’étude révèle une diversité de profils et de modes de vie : des agriculteurs traditionnels aux néo-ruraux ayant quitté la ville pour un cadre de vie plus apaisé, en passant par des entrepreneurs locaux, des artisans ou des jeunes qui choisissent de rester ou de revenir dans leurs territoires d’origine.
Pour capturer cette diversité, l’étude s’est appuyée sur une méthodologie rigoureuse. Une enquête d’opinion a été menée auprès de plusieurs milliers de répondants dans les zones rurales, complétée par des groupes de discussion organisés dans des régions aussi variées que la Creuse, le Lot, les Alpes-de-Haute-Provence ou encore la Meuse. Cette approche a permis de combiner des données chiffrées et d’offrir une vision à 360 degrés des réalités rurales.
Les résultats montrent que 78 % des habitants interrogés se disent fiers de vivre à la campagne, valorisant la qualité de vie, le lien avec la nature et la solidarité communautaire. Cependant, cette fierté coexiste avec un sentiment d’injustice face à leur marginalisation dans les politiques du gouvernement.
Un sentiment d’invisibilisation et d’abandon
L’un des enseignements centraux de l’étude est le profond sentiment d’invisibilisation qui traverse les campagnes françaises. Les ruraux se sentent souvent oubliés par les décideurs politiques, qui concentrent leurs efforts sur les grandes agglomérations.
Ce ressenti est ancré dans des réalités concrètes : déserts médicaux, fermetures d’écoles, réduction des services publics comme les bureaux de poste ou les gendarmeries, ou encore un accès limité à des infrastructures numériques performantes.
Par exemple, l’étude révèle que 42 % des habitants des zones rurales déclarent avoir des difficultés d’accès à des soins médicaux de proximité, un chiffre qui grimpe à 58 % dans les territoires les plus isolés, comme certaines communes de l’Ardèche ou de la Lozère.
Ce sentiment d’abandon ne se limite pas aux questions matérielles. Il est aussi symbolique. Les ruraux ont l’impression que leur mode de vie est caricaturé, réduit à des clichés romantiques ou péjoratifs.
Dans les médias, la campagne est souvent dépeinte soit comme un havre de paix idyllique, soit comme un espace en déclin, marqué par la pauvreté ou les tensions identitaires. L’étude cite des exemples récents, comme les polémiques autour de projets d’accueil de migrants dans des communes rurales telles que Callac (Côtes-d’Armor) ou Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique). Ces débats occultent les préoccupations quotidiennes des habitants, comme l’accès à l’emploi ou aux services essentiels.
Les groupes de discussion révèlent également une frustration face à la manière dont les ruraux sont représentés dans la culture populaire. « On nous montre soit comme des ploucs, soit comme des gens qui vivent dans un décor de carte postale », confie un participant de la Haute-Vienne.
Cette double caricature alimente un sentiment de déconnexion avec le reste de la société, renonçant à l’idée que la France rurale peut être un gardien de l’identité du pays, de sa culture et de sa solidarité.
Une fierté face aux défis structurels
Contrairement à une idée répandue, la ruralité n’est pas synonyme de désespoir ou de déclin. Les habitants valorisent la solidarité locale, illustrée par des initiatives comme les épiceries collaboratives, les associations culturelles ou les entraides entre voisins. « Quand quelqu’un a un problème, tout le village se mobilise », raconte une habitante du Lot-et-Garonne.
Cependant, cette fierté coexiste avec des défis structurels majeurs. L’étude souligne que les ruraux, en particulier les jeunes, font face à des obstacles concrets : un manque d’emplois qualifiés, des difficultés de mobilité dues à l’absence de transports publics, et un accès limité à la culture ou aux loisirs.
Par exemple, 65 % des jeunes interrogés estiment que « la société ne leur offre pas les mêmes opportunités qu’aux urbains ». Dans certaines régions, comme la Nièvre ou les Ardennes, le chômage des jeunes atteint des niveaux bien supérieurs à la moyenne nationale, poussant certains à quitter leur territoire, ce qui désertifie les campagnes et sépare les familles.
L’accès au numérique est un autre point noir. Si la couverture 4G et la fibre optique progressent, de nombreuses zones rurales souffrent encore de connexions instables, ce qui freine le développement économique et l’attractivité des territoires. « Sans internet fiable, comment voulez-vous qu’on travaille à distance ou qu’on attire des entreprises ? », s’interroge un entrepreneur de la Drôme. Ces contraintes alimentent un sentiment de relégation, qui, s’il n’est pas adressé, risque d’aggraver la fracture entre ruraux et urbains.
Le dynamisme et la solidarité
Le rapport détaille des initiatives locales qui transforment les campagnes françaises en laboratoires d’innovation sociale, économique et culturelle. Ces projets, souvent soutenus par des associations comme Bouge ton Coq, témoignent de la capacité des ruraux à prendre leur destin en main.
Dans de nombreuses communes, la fermeture des commerces de proximité a créé un vide économique et social. Pour y répondre, des habitants se mobilisent pour créer des épiceries collaboratives. À Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), par exemple, l’association « Épi’C Tout » a ouvert une épicerie gérée par les habitants, où chacun peut participer à l’approvisionnement, à la vente ou à l’animation du lieu.
Ce modèle, qui favorise les circuits courts et les producteurs locaux, est plébiscité par 72 % des répondants de l’étude, qui voient dans ces initiatives une alternative aux grandes surfaces. Ces épiceries ne sont pas seulement des lieux d’achat : elles deviennent des espaces de rencontre, où se tissent des liens intergénérationnels.
Les tiers-lieux, qui combinent espaces de coworking, cafés associatifs et activités culturelles, se multiplient dans les campagnes. Dans le Tarn, le tiers-lieu « Le Moulin » à Saint-Antonin-Noble-Val est devenu un modèle.
Créé par un collectif d’habitants, il propose des bureaux partagés pour les télétravailleurs, des ateliers d’artisanat et des événements culturels, comme des projections de films ou des concerts.
Selon l’étude, 65 % des ruraux interrogés souhaitent voir plus de tiers-lieux dans leurs territoires, car ils favorisent l’attractivité économique et la créativité. Ces espaces attirent aussi des néo-ruraux, qui y trouvent un équilibre entre vie professionnelle et qualité de vie.
Les festivals ruraux, comme le Festival de théâtre de rue d’Aurillac (Cantal) ou le Festival du livre de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), montrent que la culture peut être un levier de dynamisme. Ces événements attirent des visiteurs de toute la France, tout en valorisant l’identité locale.
L’étude note que 58 % des ruraux estiment que la culture est un facteur clé pour rendre leur territoire attractif. À travers des initiatives comme des ateliers d’écriture ou des expositions d’artistes locaux, ces festivals renforcent le sentiment d’appartenance et brisent l’isolement.
L’agriculture, pilier historique des campagnes, se réinvente grâce à des projets portés par des habitants. Dans la Drôme, des collectifs de jeunes agriculteurs ont créé des fermes partagées, où plusieurs producteurs mutualisent terres, outils et savoir-faire pour développer une agriculture durable.
Ces initiatives, souvent soutenues par des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), répondent à la demande croissante de produits locaux. L’étude révèle que les ruraux soutiennent les circuits courts, qu’ils perçoivent comme un moyen de préserver l’économie locale et l’environnement.
La solidarité est une valeur forte dans les campagnes, comme en témoigne l’essor des réseaux d’entraide. Dans la Creuse, par exemple, une association locale a mis en place un système de covoiturage solidaire pour les personnes âgées, permettant d’accéder aux services médicaux ou aux commerces.
Ces initiatives, souvent informelles, sont plébiscitées par 76 % des répondants, qui y voient une réponse concrète à l’absence de transports publics.
Les solutions proposées par Destin Commun
Parmi les recommandations, le renforcement des services publics dans les zones rurales figure en tête. L’étude plaide pour un retour des médecins de campagne, via des incitations financières ou des formations adaptées, ainsi que pour la réouverture d’écoles dans les petites communes.
Elle appelle également à investir dans les transports publics, comme des navettes inter-villages, pour réduire la dépendance à la voiture, un enjeu crucial dans un contexte de hausse des prix du carburant.
Le numérique est un autre levier prioritaire. L’étude recommande d’accélérer le déploiement de la fibre optique dans les zones blanches et de former les habitants, notamment les seniors, à l’usage des outils numériques. Ces mesures permettraient non seulement d’améliorer l’accès aux services en ligne, mais aussi d’attirer des télétravailleurs et des entreprises dans les campagnes.
L’étude souligne également le rôle des médias dans la réconciliation entre ruraux et urbains. En évitant les stéréotypes et en donnant plus de visibilité aux initiatives positives, les journalistes peuvent changer le regard porté sur la campagne.
Destin Commun appelle ainsi à une « transition informationnelle », où l’information serait davantage ancrée dans les réalités locales et moins dans les polémiques nationales.
Par exemple, mettre en avant des portraits d’entrepreneurs ruraux ou de jeunes qui innovent dans leurs territoires pourrait contribuer à réconcilier les Français des villes et les Français des champs.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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