Opinion
Michaël Sadoun : « Le ‘front républicain’ constitue un vrai problème pour notre démocratie »
ENTRETIEN – La situation de blocage politique dont la France n’est toujours pas sortie ne cesse de défrayer la chronique et d’alimenter de nombreux débats. Certains voient en Emmanuel Macron la cause de cette crise. D’autres estiment qu’elle est le résultat d’une Ve République à bout de souffle et appellent à un changement de république.

Photo: Crédit photo : Michaël Sadoun
Michaël Sadoun est expert en communication et intervient régulièrement dans différents médias. Le « front républicain » avait certainement du sens à l’époque de Jean-Marie Le Pen, mais ne rime plus à rien aujourd’hui, explique-t-il. Pour lui, il ne fait aucun doute que le « front républicain » est en grande partie responsable de cet enlisement politique.
Epoch Times – « La cause réelle du blocage politique actuel n’est ni notre Constitution, ni la dissolution, mais bien le « front républicain », qui fausse depuis quelques années un certain nombre d’élections », avez-vous analysé dans Le Figaro. Votre prise de position détonne. Les acteurs et commentateurs politiques ont souvent tendance à pointer du doigt la Ve République ou Emmanuel Macron.
Michaël Sadoun – Oui. Pour moi, les institutions de la Cinquième République ne sont absolument pas responsables du blocage actuel, bien au contraire. En donnant un rôle prépondérant à l’exécutif par le biais de divers outils, elles permettent de débloquer les situations politiques houleuses. Je pense notamment à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution ou encore au référendum, utilisé à plusieurs reprises par le général de Gaulle en son temps.
Je pense également que la dissolution décidée par Emmanuel Macron n’est pas la cause principale de cette crise. Toutes les dissolutions, même ratées, n’ont pas mené à un tel désordre politique.
Celle de 1997 en est le parfait exemple. Elle n’a pas conduit au résultat espéré par Jacques Chirac, mais s’est conclue par une majorité stable.
Et je rappelle au passage que de nombreux partis politiques avaient appelé Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale en cas de défaite du parti présidentiel aux élections européennes.
Il n’y a donc pour moi qu’un seul responsable de la situation que nous connaissons actuellement : le « front républicain. » Depuis une vingtaine d’années, les Français attendent l’arrivée au pouvoir d’une droite, à certains égards, conservatrice, mais en sont privés par cette mauvaise habitude politique qu’est le barrage anti-RN.
Ce « front républicain » avait certainement du sens à l’époque de Jean-Marie Le Pen, mais ne rime plus à rien aujourd’hui.
Ce « front républicain » avait certainement du sens à l’époque de Jean-Marie Le Pen, mais ne rime plus à rien aujourd’hui.
Il n’est plus qu’une posture morale et un confort pour certains hommes politiques qui se disent que pour gagner, ils n’ont qu’à se retrouver en face d’un candidat RN au second tour d’une élection. Il constitue un vrai problème pour notre démocratie.
Ce barrage anti-RN est-il le fruit de postures morales dépassées ou de simples calculs politiques ?
Je pense que certains responsables politiques y croient encore sincèrement. Ce sont des gens qui ne comprennent pas l’époque dans laquelle ils vivent et croient que le RN est toujours un parti situé en dehors de l’arc républicain.
Évidemment, il reste au RN des figures problématiques. Nous l’avons vu au moment des élections législatives anticipées. Le parti à la flamme continue d’attirer des individus sulfureux,
séduits non pas par ce qu’il est devenu, mais par ce qu’il a été. Toutefois, ces « brebis galeuses » ont rapidement été écartées.
séduits non pas par ce qu’il est devenu, mais par ce qu’il a été. Toutefois, ces « brebis galeuses » ont rapidement été écartées.
Mais contrairement à ce que disent les adeptes des postures morales, le Rassemblement national est tout à fait républicain. Il joue le jeu des institutions et ses députés se comportent très bien à l’Assemblée nationale.
On ne peut pas en dire autant de la France insoumise. Les deux partis n’ont d’ailleurs strictement rien à voir. Les parlementaires RN sont irréprochables, alors que du côté des Insoumis, nous pouvons observer des comportements de racailles.
Quand je vois les macronistes renvoyer dos à dos les deux formations politiques, je pense qu’ils commettent une faute morale.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous dire que malgré la constitution du « front républicain », les électeurs avaient toujours la possibilité de voter pour le candidat RN au second tour des élections législatives anticipées, et qu’ils ont délibérément choisi de ne pas offrir de majorité au parti à la flamme ?
Il est vrai que dans une démocratie, les électeurs sont considérés comme des adultes responsables de leurs actes.
Et parfois, je me dis qu’ils devraient l’être davantage. On ne peut pas se plaindre de l’élection et de la réélection d’Emmanuel Macron, et en même temps, céder aux sirènes du « front républicain. »
Néanmoins, je crois qu’il existe aujourd’hui un véritable dysfonctionnement des médias au moment des élections.
C’est-à-dire qu’en temps normal, on nous présente Marine Le Pen comme une personnalité politique acceptable, et lorsque viennent les seconds tours d’élections présidentielles et législatives, une machine médiatique puissante se met en place et elle veut nous faire croire que l’arrivée au pouvoir du RN marquerait le retour du fascisme.
Et ce matraquage médiatique n’est pas sans effets sur les électeurs qui parfois cèdent sous la pression.
Un débat apaisé, renseigné et adulte doit impérativement remplacer ce théâtre antifasciste. Il en va de la bonne santé de notre démocratie.
Selon vous, les médias participent d’une certaine manière au « front républicain » ?
Oui, ils participent à ce jeu malsain. Dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2017, ils n’ont pas réagi quand Emmanuel Macron s’est rendu au Mémorial de la Shoah et à Oradour-sur-Glane, renvoyant ainsi Marine Le Pen au nazisme. Alors que cette comparaison est honteuse et inqualifiable.
Il y a quelques semaines, sur CNews, Bruno Retailleau appelait à ne pas voter pour la gauche au second tour d’une élection législative partielle dans le Tarn-et-Garonne opposant une candidate PS à un candidat UDR. Le « front républicain » n’est-il pas en train de s’effriter aujourd’hui ?
Il s’effrite. Mais vous remarquez que Bruno Retailleau n’a pas appelé explicitement à voter pour le candidat UDR. Il a appelé à ne pas voter pour la gauche.
Sur ce plan, les Républicains avancent, mais trop lentement. C’est assez regrettable quand on sait que Bruno Retailleau et Éric Ciotti sont sur la même longueur d’onde. Le président des Républicains ne devrait pas craindre d’appeler clairement à voter pour un candidat UDR ou RN.
Les Républicains s’honoreraient politiquement à dire qu’il n’y a aucun problème à dialoguer avec Marine Le Pen ou Éric Ciotti.
Le « front républicain » peut-il, malgré tout, refaire surface lors des prochains scrutins nationaux ?
Je pense que le « front républicain » est à bout de souffle. La droite est de moins en moins convaincue par cette fable, à l’exception de quelques personnalités comme Xavier Bertrand.
Et certains médias comme CNews ont participé à la normalisation des idées de droite dans le débat public.
Même si des Français sont encore effrayés à l’idée de voir Marine Le Pen devenir cheffe de l’État, le temps va faire son œuvre, et ils réaliseront qu’elle n’a rien à voir avec le fascisme.
Maintenant, c’est au RN d’être au niveau intellectuellement et programmatiquement s’il veut accéder aux plus hautes fonctions.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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