Opinion
L’hydrogène en France : un eldorado écologique hors de prix ?

Un banc d'essai de pile à combustible à hydrogène, à Belfort, dans l'est de la France, le 18 octobre 2023.
Photo: SEBASTIEN BOZON/AFP via Getty Images
En 2024, des chercheurs ont découvert une immense réserve d’hydrogène naturel sous la région de Bulqizë, en Albanie, dans une ancienne mine de chrome. Cette réserve, estimée à au moins 200.000 tonnes, pourrait fournir de l’énergie pendant 170.000 ans à une ville de 5000 habitants.
Cette découverte pourrait révolutionner la transition énergétique, car l’hydrogène est une source d’énergie propre, ne produisant que de l’eau comme sous-produit et pouvant être produit par de l’eau. Cependant, des défis subsistent, notamment pour exploiter cette ressource de manière rentable et durable, et pour explorer d’autres sites similaires dans le monde.
La France s’est éloignée de son objectif de production d’hydrogène décarboné d’ici 2030, malgré un doublement de sa capacité l’an passé. Le secteur très vertueux du point de vue écologique peine à se trouver, tant le prix de revient reste encore beaucoup plus cher que le gaz ou le pétrole.
Plusieurs initiatives ont vu le jour, pour déposer le bilan l’année suivante ou être rachetées par des actionnaires chinois. L’État assure toujours y croire et a relancé récemment les investissements.
L’hydrogène, une filière industrielle en marche et en panne à la fois
Le 8e salon Hyvolution consacré à l’hydrogène qui s’est tenu à Paris en début d’année, a été une vitrine mondiale d’un secteur en marche sur le plan des besoins, mais en panne sur les financements. Illustration de l’appétit de développement du secteur, le salon a accueilli 530 exposants dont 33 % venaient d’autres pays.
En France, « la base manufacturière des giga-usines d’électrolyseurs se développe, on commence notamment à trouver les premières bennes à ordure à hydrogène à Dijon, une grande flotte d’un millier de taxis à Paris et des stations de recharge […] mais il ne s’est rien passé en 2024 sur le plan institutionnel, nous attendons toujours la révision de la stratégie hydrogène nationale, ainsi que les soutiens budgétaires prévus à la production », a expliqué le président de France Hydrogène, Philippe Boucly, qui coordonne le secteur.
Dans le monde entier, des volumes considérables d’hydrogène, appelé « vert », « renouvelable » ou « bas-carbone », seraient nécessaires pour décarboner l’industrie lourde, la chimie, la sidérurgie, le ciment, la chaux, les engrais, ainsi que des pans entiers du transport, maritime ou aérien notamment.
En Europe, l’hydrogène vert est jugé stratégique par la plupart des grands acteurs du secteur, aussi bien pour respecter les engagements climatiques de l’UE que pour la pérennisation de l’industrie lourde sur le vieux continent.
Ceci suppose entre autres l’installation en amont d’usines fabriquant les électrolyseurs ou les composants, et, en aval, d’usines fabriquant les stations de recharge pour les véhicules à hydrogène, ainsi que la création de réseaux d’acheminement de l’hydrogène qui devra être importé de l’étranger. Soit la création ex nihilo d’une filière industrielle qui nécessite de gigantesques capitaux.
« Moins de 3 % » des projets d’infrastructures d’hydrogène annoncés en Europe ont obtenu un feu vert final pour l’investissement en 2024, ce qui représente environ 300.000 tonnes d’hydrogène décarboné sur les 10 millions de tonnes que l’Union européenne a prévu de produire d’ici 2030, souligne Alexis Gazzo, partenaire du cabinet de conseil EY.
« Un certain nombre de projets ont été décalés en 2024, en termes d’autorisations de financement, et même si on a de beaux actifs industriels, on est dans le dur avec un grand chemin à parcourir », ajoute-t-il.
Au sujet de la production d’hydrogène vert
La méthode historique de production de l’hydrogène industriel, dite de « réformage de méthane à la vapeur » qui constitue plus de 95 % de la production mondiale, est très dommageable pour l’environnement et fortement émettrice de gaz à effet de serre.
La production totale d’hydrogène en 2023 s’est ainsi accompagnée de l’émission de presque 920 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles combinées de l’Indonésie et de la France, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Aussi pour fabriquer de l’hydrogène vert, il faut changer de méthode et passer par l’électrolyse de l’eau pour séparer l’hydrogène de l’oxygène contenus dans la molécule d’eau (H20), avec de l’électricité.
À condition aussi que l’électricité soit elle-même vertueuse sur le plan climatique, produite par des sources d’énergie faiblement émettrice de CO2 comme l’énergie solaire, éolienne, hydro-électrique ou nucléaire. Mais des doutes s’accumulent, notamment au sujet de la compétitivité de l’hydrogène vert.
Selon une étude publiée mi-janvier par l’Institut de Potsdam pour l’impact climatique (PIK), les problèmes de la montée en puissance d’une filière industrielle de l’hydrogène vert peuvent être attribués à trois sources : l’augmentation des coûts, un manque de volonté des clients de payer l’hydrogène vert plus cher que l’hydrogène gris issu du vapo-réformage, et des incertitudes sur le montant des soutiens publics.
Au plan mondial, l’institut a calculé que des subventions de 1000 milliards de dollars sont nécessaires pour réaliser tous les projets annoncés d’ici 2030, selon un des chercheurs, Falko Ueckerdt, responsable de l’étude qui recommande la fixation de quotas pour booster le démarrage de la filière.
La filière hydrogène française en voie de « consolidation »
Après un trou d’air dans la filière industrielle française de l’hydrogène, marquée par des faillites et des cessions d’entreprises, le secteur est désormais en voie de « consolidation », estime Matthieu Guesné, président du groupe d’hydrogène vert Lhyfe.
« Nous entrons dans une période de consolidation du marché, les entreprises les moins bien financées, les plus fragiles disparaissent car le marché est devenu plus dur, mais il se consolide autour d’acteurs qui deviennent de plus en plus forts », a déclaré M. Guesné à l’AFP.
Malgré l’engouement sur l’hydrogène depuis la crise sanitaire – vu comme solution pour décarboner l’industrie et les transports lourds – le secteur, émergent, accumule les ratés : non réalisation ou retards de projets, faillites et cessions se succèdent en France.
Alors que les technologies ne sont pas encore toutes matures, l’hydrogène décarboné reste encore beaucoup trop cher, et pas compétitif face aux produits gaziers et pétroliers qu’il aspire à supplanter, notamment en raison du prix élevé de l’électricité sur le vieux continent, résument les analystes.
Après le report par Airbus du projet emblématique d’avion à hydrogène, l’unique constructeur français de bus à hydrogène Safra, basé dans le Tarn, est passé en mai sous pavillon chinois après sa mise en redressement judiciaire. Et mi-mai, le producteur d’électrolyseurs McPhy a été placé en liquidation, moins d’un an après l’inauguration d’une usine flambant neuve à Belfort.
Les seuls besoins de décarbonation de l’industrie lourde suffisent à justifier le retour de l’optimisme. Dans les transports, l’annonce lors du dernier sommet Choose France d’une joint-venture franco-allemande installée à Fos sur Mer pour décarboner l’aviation va dans ce sens.
Le développeur français de gigafactories de production d’hydrogène vert H2V et le producteur allemand d’hydrogène Hy2gen investissent ensemble 1,5 milliard d’euros, afin de produire du carburant d’avion durable, à base d’hydrogène.
De son côté, Lhyfe vient de décrocher 53 millions d’euros de financement bancaire pour quatre sites d’électrolyse, trois en France et un en Allemagne. Dépendant jusqu’à présent de ses clients, de financements industriels et de subventions, Lhyfe peut ainsi espérer sortir de la « vallée de la mort » des start-up émergentes qui peinent à se transformer en entreprise de taille conséquente par manque de financements.
Une aide de 100 millions d’euros de l’État pour Gen-Hy dans le Doubs
L’État a débloqué une aide de 99,84 millions d’euros pour la startup Gen-Hy qui construit une usine de membranes et d’électrolyseurs à Allenjoie (Doubs), a annoncé le ministre de l’Industrie Marc Ferracci lors d’une visite en avril 2025, en prévoyant la création à terme de 250 emplois.
« L’État aide Gen-Hy à produire des membranes, des électrolyseurs, des bancs pour tester ces électrolyseurs avec une aide qui atteint 100 millions d’euros », a indiqué le ministre. « Ici, à Allenjoie, ce sont 250 emplois qui seront créés et nous avons l’ambition d’en créer 8000 à horizon 2030 grâce aux investissements qui seront consentis par la filière » hydrogène, a ajouté le ministre, saluant l’implication de la région Bourgogne-Franche Comté dans le développement de formations hydrogène dédiées.
Cette stratégie qui doit permettre à terme de structurer une véritable filière de production industrielle d’hydrogène décarboné en France « s’incarne dans un certain nombre de projets concrets », comme celui de Gen-Hy, a-t-il poursuivi.
La société, qui a reçu le soutien d’Eiffage puis de Saint-Gobain, entré à son capital en novembre 2023, s’est félicitée de devenir un « acteur majeur dans la production d’hydrogène vert renouvelable pour accompagner la décarbonation de l’industrie, de la mobilité et des énergies ».
La particularité des technologies promues par Gen-Hy est d’utiliser des matériaux sourçables en France, et pas de matériaux rares.
La mise en service de l’usine est prévue au 1er trimestre 2026 avec une capacité annuelle de 350 électrolyseurs à membrane d’échange anionique (AEM), d’une puissance allant de 100 kilowatts à 2 megawatts. Le site doit créer 150 emplois sur 4 ans, et 250 à terme.
L’aide publique française a été avalisée par Bruxelles et les programmes européens PIIEC (projet important d’intérêt européen commun) destinés à soutenir l’innovation dans des domaines industriels stratégiques.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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